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« Alger est un musée à ciel ouvert »

« Alger est un musée à ciel ouvert »

Mohamed Arezki Himeur est journaliste. Il est depuis 1982 correspondant de BBC Afrique à Alger. Il vient de publier aux éditions ANEP, « Raconte-moi Alger », un beau livre de 205 pages, riches en textes et en photos, sur la capitale, « El Mahroussa ». Entretien.

Mohamed Arezki Himeur 

Dès le début, vous posez la question dans votre livre : comment va Alger ? On vous pose la même question…

C’est une belle ville. Alger est un musée à ciel ouvert avec des statues et des fresques à l’intérieur des immeubles et sur les murs extérieurs. C’est un musée que je conseille de visiter le vendredi et le samedi matin parce qu’il y a peu de monde dans la rue. La ville renferme une belle architecture pas uniquement néo mauresque, il y a aussi celles des années 1920 et 1930.

Au milieu du XIXe siècle, une maladie avait touché la vigne en France et aux États-Unis. On avait alors demandé aux colons, qui étaient en Algérie, de produire plus de vin. Lorsqu’on regarde certaines entrées d’immeubles à Alger, on voit des dessins de la vigne comme décoration. La raison est que la ville a été construite à partir de cette période. Comme il y avait de l’argent, on avait donné des terrains entiers aux architectes pour dresser des plans et lancer les constructions.

Votre livre est une manière de faire visiter les lieux, parfois peu connus, de la ville…

Effectivement. Les gens ne font, parfois, pas attention à ce qu’il y a dans la ville. Nous n’avons pas été habitués à regarder la ville avec un regard autre que celui de voir les poubelles ! Nous ne regardons pas les fresques, la ferronnerie, les balustrades, les balcons, la faïence à l’intérieur des immeubles, les jardins.

J’ai raconté Alger d’abord à moi-même en circulant dans la ville. Je m’amusais à entrer dans les immeubles et à demander des renseignements aux habitants. J’ai passé presque dix ans à faire des recherches et à collecter de la documentation. Je n’ai pas tout publié. Plus volumineux, le livre aurait été plus cher.

Pensez-vous à un deuxième volume du livre ?

Oui, je pense le faire en me concentrant sur la Casbah. Le livre ne sera pas sur l’histoire de ce vieux quartier mais sur ce qu’on peut voir aujourd’hui. Le 1er novembre dernier, j’ai visité le musée d’Ali La Pointe. À vingt mètres de là, un homme a construit un aquarium sur le bas-côté de la chaussée, bien décoré et avec des poissons à l’intérieur. Il n’y a qu’à la Casbah qu’on peut trouver cela. Personne n’a détruit cet aquarium ou a volé les poissons.

Il y a un plan de réhabilitation et de préservation de la Casbah. Certains endroits ne risquent-ils pas de disparaître ?

Beaucoup de plans ont été retenus pour la sauvegarde de la Casbah. Vers 1979-1980, un plan avait suscité une polémique en raison de la décision des architectes de raser le quartier Lallahoum à la basse Casbah, à côté de Djemâa Ali Betchine à Zoudj Ayoun. Sous cette mosquée, il y avait un bagne où Betchine (un italien converti à l’islam) mettait ses captifs pour les « vendre » après. Ils étaient au nombre de huit cents à une certaine époque.

Plusieurs mosquées ont déjà disparu (certaines détruites par l’administration coloniale française comme la mosquée Assiyida). Le mausolée de Sidi Helâl est peu connu. Hnifa a cité cet endroit dans une chanson. Jusqu’à une quinzaine d’années, les femmes juraient sur la tête de Sidi Helâl qui était un saint respecté.

Il faudra parler de tous les petits saints d’Alger, Sidi Abderrahmane étant le plus connu. Cela ne veux pas dire qu’ils jouaient « les intermédiaires » entre nous et Dieu. Ils faisaient de bonnes actions de leur vivant. Les gens leur ont alors construit des Gobas en hommage à eux. Le Mausolée de Sidi Helâl a été déserté au début de la colonisation française. Après la Haute Casbah, les Français s’étaient installés au quartier de La Marine où ils avaient ouvert des bars. Donc, les familles algériennes ne fréquentaient plus l’endroit. Avec le temps, le Mausolée de Sidi Helâl a été oublié. Aujourd’hui, on ne peut plus y accéder parce qu’on a construit un mur.

Comment justement faire pour éviter l’oubli et dépoussiérer les lieux qui ont une valeur culturelle, historique et touristique ?

Il faut dire que la Casbah commence à disparaître. C’est une réalité. Chaque hiver, des bâtisses s’effondrent dans ce quartier. Il est donc important de conserver les palais construits par les Ottomans et les belles maisons bâties par les Algériens. La société civile doit pousser vers cela. En plus de l’État, les industriels peuvent apporter une contribution financière à la préservation de la Casbah.

Pour l’écriture de votre livre, vous avez choisi des itinéraires. Expliquez-nous comment avez-vous procédé pour couvrir toute la ville ?

Lorsque je recevais des amis ou des confrères étrangers, ils me demandaient souvent de leur faire visiter la ville. Avec eux, et sans le vouloir, j’ai créé des itinéraires. Je leur ai montré par exemple la cinémathèque d’Alger qui, par le passé, a reçu de grands cinéastes comme Ousmane, Chahine, Hondo….

Plus haut, il y a le théâtre de 15, rue Mogador qui, à l’époque coloniale, s’appelait les trois baudets. Ce théâtre a permis l’émergence de beaucoup d’artistes algériens. En passant par la rue Tanger, plus bas, il y a la mosquée Ibadite que personne ne connaît. Elle dispose d’une bibliothèque formidable à l’intérieur.

Alger, c’est également le square Port Said…

Cet endroit me rappelle la vente des boucles et des bracelets arrachés avec les oreilles et les bras de femmes tuées lors du premier massacre commis par les Français, en avril 1832, à El Harrach contre la tribu Ouffia. Cette tribu a été complètement décimée (le 1er régiment de chasseurs d’Afrique mené par le colonel Schauenburg a égorgé les victimes pendant leur sommeil). Les Français avaient accusé cette tribu d’avoir commis un vol. La tête du cheikh de la tribu a été utilisée comme ballon à l’actuelle place des Martyrs (ex-place du Gouvernement). À la Rue Henri Martin (Patrice Lumumba actuellement), il y avait le bureau du premier avocat à avoir défendu les Algériens, bien avant Jacques Vergès et les autres. Il s’appelait Maurice L’Admiral, un guadeloupéen d’origine.

Dans votre livre, il y a un itinéraire qui va de la basilique Notre Dame d’Afrique à Sidi Bennour. La photo de couverture du livre vous l’avez prise à partir de cet endroit. Racontez-nous un peu son histoire ?

C’est également un endroit moins connu autant que Village céleste, situé plus haut. Les gens traversent l’endroit pour aller vers Bouzaréah sans le connaître réellement. Au début de la colonisation, les mozabites avaient un grand terrain à Alger, avec une mosquée et un cimetière. Ils ont été expropriés lors du lancement des travaux pour la construction de la ville européenne. En contrepartie, ils ont reçu un endroit à Sidi Bennour où existent toujours un mausolée et un cimetière mozabites. Village céleste était un quartier de l’armée coloniale où toutes les armes lourdes avaient été installées pour protéger Alger, comme l’avaient fait les turcs. Par ailleurs, Notre Dame d’Afrique n’était pas dans le lieu actuel. Elle était nichée dans un ravin plus bas. La statut de la Vierge Marie (qui prendra plus tard l’appellation de Notre Dame d’Afrique) a été offerte en 1838 à Mgr Dupuch, premier évêque d’Alger, par le pensionnat des Dames du Sacré Cœur de Lyon (France). Après, un appel aux dons a été lancé pour construire la basilique. La religion a été aussi une arme de colonisation au même titre que la presse et la force militaire.

Parlez nous aussi des Dars (Résidences) que vous avez évoquées dans votre livre comme « Dar Es Souf », « Dar Pacha », « Dar Aziza »…?

Les Dars sont de vrais châteaux à l’intérieur mais la plupart sont fermées à la population. Dar El Hamra, par exemple, est occupée par un organisme qui s’occupe de l’archéologie. Un institut est installé à Dar Es Souf. Difficile de visiter et d’admirer ce lieu. Normalement, on devrait transformer toutes ces Dars en musées, des résidences pour artistes ou des galeries d’art. Dar El Hamra, située en face de Djemâa Betchine, est un endroit fabuleux.

Il y a encore des trésors enfouis à Alger ?

Oui ! Dans les années 1930, on avait découvert à Alger des pièces de monnaie qui datent de l’époque de l’antiquité. Selon des écrits d’archéologues ou d’historiens français, il y a encore des vestiges en sous sol comme à l’endroit où se trouve le siège du Trésor public (à côté de la place des Martyrs). Certains vestiges sont à deux mètres sous terre. Il faut tout raser pour les récupérer. Je pense que c’est impossible. Il faudra peut-être attendre de nouvelles techniques pour éviter de tout détruire.

Que représente la mer pour Alger ? Il est dit que la ville tourne son dos à la mer. Est-ce vrai ?

À l’époque coloniale, tous les bons cafés d’Alger se trouvaient sur le bord de mer. Comme les cafés de la famille Debaghine, Tlemçani et de La Marine. Certains ont été ouverts dans les années 1920. Ce n’est qu’après que la ville a tourné son dos à la mer. Les nouveaux habitants d’Alger, arrivés après l’indépendance, n’étaient pas intéressés par la mer. Ce n’est que maintenant que les choses commencent à changer. La wilaya d’Alger est en train de refaire toute la façade maritime.

Qu’en est-il des jardins d’Alger ?

Le Jardin d’essai est le plus important. En une journée, vous pouvez voir la majorité des végétaux qui existent dans toutes les régions du monde. Ce jardin botanique a été construit en 1832 par le Haut commandement du corps expéditionnaire français à l’initiative de l’intendant civil Pierre Genty de Bussy. Il a été élargi au fil du temps pour atteindre plus de 80 hectares d’étendue après 1861.

Vous avez pris soin d’illustrer le livre par des photos inédites que vous avez pris vous même

Je n’ai malheureusement pas publié toutes les photos, faute d’espace. J’ai pris des photos de tous les endroits que j’ai visités. Je n’ai pas pu prendre des clichés devant la wilaya d’Alger et l’APN. On m’a demandé d’avoir une autorisation.

Dire qu’Alger est une ville blanche, est-ce une légende ou une vérité ?

Pour moi, c’est une ville blanche malgré la saleté qu’on voit ici et là. Il faut regarder les murs et l’architecture. En passant d’un quartier à un autre, vous constatez l’existence de changements. Mon père était maçon, dans les années 1920, à Bab El Oued. C’était un quartier espagnol. Entre Belcourt et le centre-ville, il y a des différences. On passe d’un style architectural à un autre. Au Boulevard Mohamed V, où Karl Marx avait habité, se trouve le premier bâtiment construit en copropriété en Algérie. Une plaque en cuivre collée au mur précise que l’immeuble a été construit en 1925. En dehors de la Casbah, le premier hammam construit à Alger est celui de Zemzem, à côté de l’Institut Cervantès. Le siège de cet institut était une église. Le centre des chèques postaux était aussi une église anglicane qui a été déplacé là où se trouvait l’ancienne ambassade de Grande Bretagne, au niveau de la place Addis Abeba. Vous voyez, il y a plein de choses à raconter sur Alger…

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