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Algérie : le paradoxe de l’agriculture saharienne

Algérie : le paradoxe de l’agriculture saharienne

Alors qu’au nord de l’Algérie de nombreux champs de blé sont desséchés par le manque de pluie, nombreux ceux du sud du pays qui sont resplendissants.

« Tout ce qu’on plante ici réussit », témoigne un investisseur de Ménéa. Le paradoxe de l’agriculture saharienne est de cultiver en zone désertique des produits que le nord peine cette année à produire.

Partout au Maghreb les agriculteurs se plaignent de la sécheresse. Des parcelles de blé sont comme foudroyées avant l’épiaison et laissent place à des plants desséchés.

Dans le même temps, dans le sud algérien, les agriculteurs se préparent à la moisson. Celle de l’orge a même commencé et les épis de blé se gorgent de l’eau déversée à profusion par des rampes-pivots fonctionnant 7 jours sur 7.

Chlef, sauver la production de semences

Plus au nord, des agriculteurs tentent de sauver leur récolte. C’est le cas d’Ahmed à Boukadir (Chlef). Contrairement aux parcelles desséchées de ses voisins, la sienne est bien verte et déjà les épis apparaissent.

« Depuis qu’on a semé, chaque semaine on doit arroser. C’est une année de sécheresse, une année unique comme on n’en a jamais vu », confie-t-il à Ennahar TV.

Derrière lui, un enrouleur est positionné en bordure de parcelle. L’extrémité du tuyau de l’enrouleur est munie d’un canon d’arrosage monté sur des patins. Situé à plusieurs centaines de mètres au milieu de la parcelle, il lance un puissant jet d’eau. Comme dans un mécanisme d’horlogerie, le tuyau s’enroule autour de l’enrouleur et permet l’irrigation de tout un pan du champ.

Toute les 2 à 3 heures, un ouvrier attelle l’enrouleur à un tracteur pour le déplacer une centaine de mètres plus loin.

Du doigt, Ahmed désigne les terres de ses voisins : « Ceux-là n’ont pas d’eau et ne peuvent pas irriguer. »

Chez lui, l’eau coule à flot. L’installation est sommaire. Il n’a pas eu le temps de cimenter son bassin ou de le munir d’une géomembrane. Le bassin se résume en une fosse creusée en pleine terre où l’eau venant d’un forage s’accumule avant d’être reprise vers les champs.

Ses champs sont composés d’une bonne terre, ce n’est pas le sol squelettique du sud qui ne retient ni eau ni engrais. Mais une terre où il n’a pas plu cette année.

Avec 60 % des superficies de céréales sinistrées, Mohamed Abdeli, président de la Chambre d’agriculture de Chlef, indique : « On ne parle plus d’irrigation d’appoint mais d’irrigation tout court. Car l’irrigation aura été nécessaire depuis le début du cycle de la culture. C’est l’irrigation qui a permis au blé de germer ». Plus loin, un agriculteur désespéré alerte : « On arrose, mais cela ne fait rien, il fait trop chaud. »

Ménéa, un eldorado agricole

Depuis 2006, Khaled Belmachrah a investi à Hassi Gara dans l’agriculture saharienne. Un 4×4 Hilux serpente sur la piste sablonneuse qui mène vers sa concession agricole. Dans le véhicule, des journalistes de Dz News en reportage.

L’investisseur témoigne que les débuts n’ont pas été faciles : « On a foré un puits, planté des arbres et commencé à produire du fourrage. Il a fallu enlever des tas de pierres. De cette parcelle de 30 hectares, on a sorti plus de 500 remorques de pierres. »

Fort de son expérience de terrain, il poursuit : « L’agriculture dans le sud, ce n’est pas un investissement où tu viens, tu sèmes et tout fonctionne. Il faut assumer de lourdes dépenses. »

Près d’un tas de bottes de paille, il indique : « On fait du blé et du maïs ensilage ».

Interrogé sur ses rendements, il répond : « Quand l’année est bonne et qu’on a fait le nécessaire, les rendements sont là : 65 à 68 quintaux et même 70. Mais il peut y avoir des exploitations dont le rendement est de 30 voire même 25 quintaux. Plusieurs causes sont possibles : il y a des agriculteurs qui ne s’occupent pas assez de leurs parcelles ou qui n’utilisent pas les engrais au bon moment. »

En fin connaisseur, il détaille : « Puis, il y a des personnes pour qui les coûts sont élevés et dépassent leurs moyens. Auparavant le coût de culture à l’hectare était de 7.000 DA. Il est aujourd’hui de 25.000 et peut même atteindre 30.0000 DA. C’est selon la situation de chacun. Il y en a qui n’ont pas les moyens pour acheter un tracteur et du matériel. Il y en a qui n’ont pas de moyen de transport pour rejoindre leur concession et qui ne disposent même pas de piste agricole. »

Prenant à témoin son interlocuteur, il demande : « Vous avez vu l’état de la route par laquelle vous êtes venu. Des concessions ne possèdent pas d’accès alors qu’elles peuvent être éloignées de 15 à 20 km. Chaque année, il peut être nécessaire de remplacer son véhicule. »

Il ajoute : « Si on tient compte de l’amortissement du matériel au niveau d’une concession, on arrive au chiffre de 350.000 à 400.000 DA par mois. »

Agriculture saharienne en Algérie : des coûts prohibitifs

A proximité des pivots de Khaled Belmachrah, un immense rectangle composé de dizaines de palmiers dattiers. Vue du ciel, la palmeraie ressemble à un damier avec les palmiers placés harmonieusement à égale distance les uns des autres.

Ils déploient leur corolle de palmes dans un agencement parfait avec à leur côté des touches de couleur plus vertes; celles des citronniers et des orangers qui bénéficient de l’ombre protectrice des palmiers.

L’investisseur est fier du résultat obtenu : « La production des palmiers ne descend pas en dessous d’un quintal de dattes par arbre et celle des agrumes 50 à 70 kg par pied. Depuis que nous sommes ici, nous avons toujours vu nos aînés planter des agrumes. »

D’un air de défi, il ajoute : « Il n’y a pas quelque chose que nous ayons planté à Menéa et qui n’ait pas réussi. On a même réussi à produire du thé et du café. »

Le défi pour les pouvoirs publics

En Algérie, le paradoxe de l’agriculture saharienne est aujourd’hui de venir à la rescousse de l’agriculture du nord pour les légumes, pomme de terre et fourrages. Les régions de Biskra et d’El Oued sont devenues le potager de l’Algérie. Dès le mois d’avril, les pastèques sont disponibles sur les marchés du nord du pays. Et Timinoun pourrait produire les semences de blé qui risquent de manquer au nord.

Si les aînés des investisseurs actuels produisaient une alimentation locale dans le cadre d’une agriculture oasienne, aujourd’hui leurs descendants rêvent d’export. En 2021, il est exporté pour près de 80 millions de dollars de dattes et l’objectif affiché pour 2024 est d’arriver à 250 millions de dollars.

Que ce soit à Menea ou dans les Zibans, la monoculture de palmiers se multiplie. Cette tentative de reconstitution artificielle des palmeraies à côté des pivots ou des serres tunnel repose sur l’eau des forages.

Quant aux céréales produites dans le sud algérien, en 2022 elles n’ont représenté que 2 millions de quintaux sur 40 millions de quintaux produits au nord.

L’Office de développement de l’agriculture industrielle en terres sahariennes (ODAS) a prévu d’accélérer l’attribution de concessions agricoles. En début d’année, le directeur général de l’ODAS, Djoudi Guenoune a annoncé avoir reçu plus de 3.000 dossiers et plus de 97.000 hectares ont été distribués au profit de 77 investisseurs.

Le spécialiste maghrébin Mohamed Taher Sraïri met en garde : « On s’est mis à cultiver les agrumes dans des régions où le niveau annuel de précipitations ne dépasse pas 200 millimètres, alors que ces arbres nécessitent un minimum de 1.000 millimètres. On a fait pousser des pastèques, composées à 95 % d’eau, dans des confins désertiques. »

Si les réserves d’eau au sud sont estimées à plus de 40.000 milliards de m3, dans de nombreuses régions, l’artésianisme a disparu et à Ménéa le niveau d’eau a baissé de plus de 30 mètres.

Les plus récentes recherches en la matière font état de prélèvements inférieurs au renouvellement naturel de la nappe saharienne.

Pour les pouvoirs publics, le défi est d’arriver à conjuguer : réduction des importations de biens alimentaires, amélioration de l’agriculture pluviale au nord, création d’emplois et gestion durable des ressources en eau.

Djoudi Guenoune a indiqué que les dossiers retenus pour l’investissement dans les cultures stratégiques obéissent dorénavant à des critères de choix « très rudes ».

Si le rôle de l’agriculture saharienne est de produire des aliments pour nourrir les régions du nord du pays, les coûts de production sont prohibitifs et les agriculteurs ont besoin d’un soutien massif de l’Etat.

A cela s’ajoute le coût écologique d’une agriculture centrée sur des cultures trop gourmandes en eau  alors que la nappe albienne du sud de l’Algérie ne se renouvelle pas suffisamment en raison des faibles précipitations dans la région.

C’est tout le paradoxe de l’agriculture saharienne qui doit être strictement encadré pour permettre aux régions du sud de produire des cultures stratégiques comme les céréales dont a besoin l’Algérie pour assurer sa sécurité alimentaire, tout en veillant à une exploitation rationnelle des eaux souterraines.

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