
Nouvelle polémique politico-culturelle en Algérie : quelques semaines seulement après la proposition fantasque d’un député du mouvement El Bina de supprimer la philosophie des épreuves du Bac, c’est au tour d’un autre parlementaire, issu cette fois du MSP, Zakaria Belkheir, de provoquer la controverse.
Ce dernier n’a pas trouvé mieux que d’interpeller le Premier ministre non pas sur une question de gouvernance ou d’économie, mais à propos d’une fête organisée à Riadh El Feth dans le cadre du Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA) qui vient de se clôturer à Alger.
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Durant cet événement, de nombreux jeunes se sont déguisés en héros de mangas, ce qui visiblement n’a pas été du goût de ce député, également président de la Commission de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et des Affaires religieuses à l’Assemblée populaire nationale.
Dans une lettre officielle adressée au Premier ministre, Zakaria Belkheir estime que cette fête constitue « une atteinte à la sacralité du Mémorial du Martyr et à la symbolique des martyrs ».
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« Adorateurs du diable »
Dans son courrier intitulé « Le Mémorial du Martyr est une ligne rouge : une pétition officielle réclame enquête et reddition de comptes », il écrit : « dans le cadre de mes responsabilités de contrôle et d’éthique, j’ai adressé une pétition officielle au Premier ministre concernant la fête organisée le 6 octobre 2025 par des jeunes influencés par les idées des « adorateurs du diable », dans le périmètre du Mémorial du Martyr, ce haut lieu national symbolisant les sacrifices des martyrs de l’Algérie. J’exprime une profonde inquiétude et une vive indignation face aux images et scènes diffusées, qui portent atteinte à la sacralité du monument et aux valeurs religieuses et nationales de notre société ».
Le député appelle le gouvernement à ouvrir une « enquête urgente » sur les conditions d’autorisation de la fête, à prendre des « mesures strictes pour empêcher la répétition de tels événements », à lancer une campagne nationale de sensibilisation pour alerter la jeunesse et les familles sur la gravité de ces « pratiques étrangères » et à renforcer la surveillance culturelle et médiatique afin de « protéger l’identité nationale contre les déviations idéologiques et morales ».
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« L’Algérie, bâtie sur le sang de ses martyrs, ne tolérera aucune profanation de ses symboles nationaux ni aucun détournement de ses valeurs fondamentales », écrit-il encore.
« Ces jeunes ne sont pas des déviants, mais des passionnés »
L’un des premiers à réagir à cette sortie, aussi curieuse qu’intrigante, est le journaliste et écrivain H’mida Layachi, spécialiste du mouvement islamiste algérien.
Pour lui, les accusations du député reposent sur des « jugements hâtifs et une méconnaissance totale du public visé ». Dans un post publié sur les réseaux sociaux, il rapporte les propos d’un jeune participant au FIBDA : « Nous ne sommes ni des adorateurs du diable ni des déviants. Nous sommes juste des passionnés de bandes dessinées, de mangas et de culture visuelle. Nous aimons les costumes, les personnages, l’art et la créativité. C’est notre façon de nous exprimer ».
H’mida Layachi rappelle que le FIBDA rassemble chaque année des milliers de jeunes artistes, étudiants et autodidactes qui trouvent dans cet espace l’un des rares lieux de liberté culturelle en Algérie.
« Plutôt que de stigmatiser ces jeunes, les responsables devraient les écouter. Leur passion est un signe de vitalité, pas de perdition. Ce sont des Algériens qui créent, inventent et rêvent », affirme-t-il.
Même indignation du côté de Lazhari Labter, écrivain et journaliste, qui a réagi dans un texte intitulé « FIBDA / Vos lignes rouges et vos noirs desseins », publié sur sa page Facebook.
Dans ce texte, il dénonce « la campagne de dénigrement » menée sous de faux prétextes : « cette fois, la campagne ne vient pas d’un simple député barbu, mais du président de la Commission de l’Éducation nationale lui-même, qui a partagé une lettre, sans signature ni cachet, demandant au Premier ministre d’ouvrir une enquête sur une prétendue fête d’adeptes de Satan ! ».
Lazhari Labter rappelle que le FIBDA est un festival organisé sous l’égide du ministère de la Culture, et l’un des plus importants du monde arabe et africain.
« Monsieur le député, savez-vous que la bande dessinée est un art à part entière, enseigné dans les écoles et universités ? Savez-vous que l’Algérie a été pionnière dans la BD maghrébine et arabe, et que nombre de nos dessinateurs ont obtenu des prix prestigieux à l’international ? », rappelle-t-il.
Et de conclure : « j’aurais aimé vous voir visiter le FIBDA et encourager la création et la culture. Que vive le FIBDA ! Que vive le neuvième art et tous les arts ! »
Les internautes s’en mêlent
Sans surprise, la polémique n’a pas manqué d’enflammer les réseaux sociaux. Certains internautes ont reproché au FIBDA de « s’être écarté de sa mission première » et de devenir « un repaire pour des personnes sans personnalité, fascinées par des histoires venues de Corée ou du Japon ».
Mais d’autres, en revanche, ont pris la défense des jeunes participants : « le député aurait dû chercher à comprendre ces jeunes avant de les juger. L’idéologie les aveugle et les pousse à condamner tout ce qu’ils ne comprennent pas ».
Un autre internaute ironise : « ce député ne voit pas le Square et les dégâts économiques qui s’y produisent à deux pas du Parlement. Mais il a vu ces jeunes qui expriment leurs passions. Même si on ne partage pas leurs goûts, ils vivent leur jeunesse ».