Discret mais profondément engagé, Amour Abdenour, musicien, compositeur et interprète algérien, cumule plus de 50 ans de carrière. Considéré comme l’un des piliers de la chanson kabyle, il a effectué à 73 ans un retour triomphal samedi dernier sur la scène du Dôme à Paris.
À l’issue d’une prestation haute en couleur, devant un public nombreux venu l’applaudir, Amour Abdenour n’a pas dissimulé sa joie. Lui qui se montre habituellement peu enclin à fréquenter les plateaux de télévision ou à se produire à la légère, selon ses propres mots – « Je ne me produis pas n’importe où, n’importe comment, avec n’importe qui » – s’est réjoui de constater que son public lui reste fidèle, lui témoignant respect et admiration.
Amour Abdenour, le parcours discret d’un géant de la chanson kabyle
Une fidélité sans doute nourrie par la rigueur constante qu’il s’est imposée tout au long de sa carrière artistique. Mais également par le respect profond qu’il voue à l’art et à l’héritage culturel de ses ancêtres.
« Ce qui importe, ce n’est pas moi, c’est ce que je produis. Si les gens aiment ce que je fais, c’est parce qu’ils s’y identifient (…) la culture, pour moi, n’est pas une cargaison à vendre », répétait-il récemment sur le plateau de Beur FM, comme pour justifier sa discrétion.
Né en 1952 dans le village d’El Flaye, perché sur les hauteurs de la Soummam, Amour Abdenour se passionne dès l’enfance pour la musique. Il tend l’oreille à toutes les chansons diffusées à la radio. Parmi les artistes qui le marquent figurent de grands noms de la chanson kabyle et algérienne : Slimane Azzem, Allaoua Zerrouki, Chérif Khedam, Saddek El Bedjaoui… Très jeune, il s’initie à la flûte, à la darbouka, puis à la guitare, qu’il commence à pratiquer à l’âge de 11 ans, mû par une envie irrépressible de créer.
En 1964, il intègre la JFLN (Jeunesse du FLN) d’El Flaye, une association culturelle locale où il peut exprimer son talent et se faire connaître du public. « Je jouais dans les fêtes du village organisées par l’association », raconte-t-il. Ce tremplin marque le début d’un long parcours artistique, guidé par la passion et la rigueur.
Des années de formation à la révélation algéroise
Après une enfance auprès de ses grands-parents, Amour rejoint en 1968 ses parents installés à Hussein Dey, à Alger. Dans cette capitale en effervescence culturelle, il s’immerge pleinement dans le monde exigeant de la musique. Il ne manque aucun gala d’artistes kabyles à Alger.
« Les salles étaient à chaque fois pleines. Ce qui contrastait avec les prestations d’autres artistes, souvent accompagnés par l’orchestre de la RTA, qui n’attiraient pas autant de monde. Cela prouve la soif et l’attachement du public à notre culture ancestrale. »
Une prise de conscience de l’importance du rôle de l’artiste dans la préservation de la culture berbère. Il se souvient notamment du jour où Idir attira une foule si impressionnante qu’elle suscita même la surprise de l’immense El Anka : « Voyant la foule, El Anka s’exclama : cet artiste a gagné au loto », raconte-t-il.
Après une première apparition dans l’émission radiophonique « Les chanteurs de demain » et une première chanson, Yeǧǧa-tt (Laissée seule), Amour Abdenour décide de poursuivre ses études à Mostaganem pour devenir géomètre, avant de faire son service militaire. Ce n’est qu’à la fin des années 1970 qu’il enregistre ses premiers titres : D lεid et I gettεeddayen, sous la direction du compositeur Mahboub Bati.
Une reconnaissance lente mais durable
Malgré un talent évident, Amour Abdenour ne cherche ni la lumière ni les compromis. « Faire ce qu’aiment les gens devient de l’opportunisme. Moi, je chante ce que je ressens, ce que je vis et vois », affirme-t-il.
Autodidacte revendiqué, il a à son actif plus de 250 chansons. Parmi elles, El vaz (L’aigle), poignante balade sur la séparation, reste emblématique. Grâce à sa persévérance et à sa rigueur, il commence à s’imposer dès la fin des années 1980.
« Il faut beaucoup de temps pour qu’un artiste convainque », explique-t-il avec lucidité. Dans les années 1990 et 2000, il enchaîne les albums marquants : Lɣiḍa n teylut (1987), Snat ay sεiɣ (1989), El Vaz (1992), Ah ya dini (2003). Son style, son timbre proche de celui de Dahmane El Harrachi, et sa fidélité à Tamazignt lui valent un profond respect.
À l’image de nombreux artistes de sa génération, exigeants envers eux-mêmes, Amour Abdenour porte un regard critique sur la scène actuelle algérienne : « Il faut toujours se remettre en cause, innover, apporter du neuf », insiste-t-il. Il déplore notamment le manque de création et de concurrence dans la chanson kabyle contemporaine.
En hommage à Idir, qu’il considère comme un modèle, il lance un appel : « Les jeunes doivent s’inspirer de lui, explorer les secrets de son parcours pour emmener la culture à l’universalité ». Toujours en activité, fidèle à sa mission artistique, il exhorte la jeunesse à ne pas céder à la facilité et à apprendre la musique. À l’ère où tout est accessible en un clic, il martèle : « Je lance un appel aux jeunes : apprenez la musique ! » Une phrase simple qui résume toute une vie au service d’un art vécu avec foi, humilité et exigence.