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Appel à l’Armée et article 102 : manœuvre et diversion

Appel à l’Armée et article 102 : manœuvre et diversion

CONTRIBUTION. Dans le no politic’land algérien, la présidence n’a jamais constitué le centre névralgique du pouvoir. Juste un maillon, certes important, l’institution présidentielle ne dispose d’aucune autonomie vis-à-vis des autres sphères décisionnelles.

Ni « régime présidentiel », ni dictature militaire classique ni même système totalitaire qui suppose une idéologie élaborée, une forte mobilisation populaire autour d’un parti unique ou hégémonique et une indistinction entre État et société, le régime Algérien est un autoritarisme rentier et sécuritaire fondé sur l’apathie et une forte dépolitisation.

Au cœur de la crise politique du pays, il y a donc l’absence d’un champ institutionnel et politique autonome. Le coup de force de l’armée des frontières a dès l’indépendance dynamité le processus de constitutionnalisation et d’institutionnalisation du pouvoir préfiguré par les résolutions du Congrès de la Soummam. Le renforcement du pouvoir et de son caractère informel et clandestin a fait des institutions de simples façades, cycliquement ravalées.

Parler, avec la désignation de Bouteflika, d’un transfert de la décision vers l’Institution présidentielle est une ineptie politique qui n’a pour finalité que de leurrer l’opinion. S’il faut certes concéder à Bouteflika un certain charisme, un art maîtrisé de l’intrigue et de la magouille, il n’y a pas eu pour autant mutation d’un régime « militaro-bureaucratique » vers un régime « civilo-bureaucratique ». Le poids de l’élite militaro-sécuritaire reste déterminant dans le contrôle politique et la succession à la tête de l’État.

Marquée par l’histoire, l’imaginaire politique des chefs militaires, héritiers de l’armée des frontières, demeure imprégné par l’anti-messalisme des fondateurs du FLN. Un ancien chef de Gouvernement dont la perspicacité n’est pas à démontrer, a perçu dans le caractère clanique et régionaliste du régime un obstacle essentiel à l’émergence d’un « pouvoir personnel » omnipotent. Un hommage de la vertu au vice en quelque sorte.

Évoquer alors une « vacance de pouvoir » n’est en définitive d’aucune pertinence quand on sait que la Nomenklatura au pouvoir est composée de groupes et de coterie liés par des liens de parenté, d’allégeance tribale et de clientélisme qui se disputent, dans l’opacité la plus totale, le contrôle des leviers décisionnels. Ces « forces extra-constitutionnelles » qu’un ancien premier ministre, aujourd’hui passé dans l’ « opposition », semble soudainement découvrir n’ont pas vu le jour avec la désignation de Bouteflika mais sont inscrites dans le génotype du pouvoir.

Dans le même registre, prétendre que l’application au demeurant problématique et même impossible de l’article 102 constituerait l’amorce d’une solution est une duperie qui témoigne, pour les promoteurs d’une telle idée, au mieux d’une myopie politique, au pire de succomber à de fortes tentations aventurières.

Une classe politique, à l’exception des partis historiquement enracinés à l’exemple du FFS, fabriquée par le pouvoir et non pas produite par des dynamiques sociales et populaires ne peut en effet qu’être prisonnière des luttes au sein du sérail et leur servir de caisse de résonance.

Et que dire des appels à faire intervenir l’Armée sinon qu’ils traduisent, incrédulité mise à part, une compromission avec quelques coteries du pouvoir cherchant à négocier leurs positions et leurs intérêts à l’occasion d’une succession qui n’échappera pas, en l’absence d’intervention populaire, aux schémas classiques de l’alternance clanique. Des appels qui émanent également, comble de l’ironie, de personnalités controversées que l’humilité aurait dû inciter à un sérieux examen de conscience, à un courageux et honorable mea-culpa pour avoir servi de marchepied à Bouteflika et s’être rendues complices d’un viol de la conscience populaire lors des présidentielles de 1999 et qui, aujourd’hui avec un tel courage qui contraste piteusement avec l’extrême lâcheté d’hier, reviennent tenter de se racheter une virginité en se livrant à une impétueuse prose politique qui prédispose au final aux mêmes fourvoiements intellectuels et politiques.

Évidemment, il n’est pas question ici d’éluder un débat sur le rôle politique l’Armée. Au contraire, celui-ci est essentiel dans toute réflexion sur les voies et moyens de sortie de crise étant entendu que l’Armée est un partenaire incontournable décisif.

Mais un débat sérieux, fécond, ne doit pas être biaisé à la source et favoriser toutes les diversions, toutes les manipulations.

Or, poser la problématique dans les termes actuels, même de manière inavouée, allusive ou insidieuse et qui nous renvoie à l’hystérique collusion « militaro-démocrate » de janvier 92 pour « sauver la République », revient à avaliser l’idée fallacieuse, propagée à grand renfort de propagande par les officines sécuritaires, d’un retrait effectif et définitif de l’Armée du champ politique en 1999, alors qu’en réalité, il ne s’agissait que d’un simulacre de retrait.

D’un simple retrait tactique dont l’objectif était de faire « profil bas » et neutraliser les accusations de « crime contre l’humanité ». À charge de Bouteflika, à l’époque, de respecter le contrat passé avec les généraux en faisant avaler aux Algériens la pilule amère de l’impunité et de l’amnésie en imposant la loi sur la réconciliation nationale. Les grands « faits d’armes » attribués au « clan présidentiel », notamment la mise à l’écart des « janviéristes » et plus récemment celle du patron du DRS, elle, liée principalement à des facteurs exogènes, enjolivent une légende bien entretenue. L’image d’un Bouteflika matant les généraux, relayée abondamment à l’étranger, se révèle n’être qu’une grosse fumisterie qui, il faut le reconnaître, a bien fonctionné.

La vraie question aujourd’hui n’est donc pas de solliciter l’intervention des chefs militaires pour chasser Bouteflika et son clan, mais précisément de les appeler à cesser d’intervenir en servant de bouclier protecteur à un régime dont Bouteflika n’est que l’incarnation provisoire et finissante et qui chaque jour nous entraîne un peu plus dans l’abîme.

En disant cela, il ne s’agit en aucune manière de pointer du doigt des milliers d’officiers et de Djounouds intègres, dévoués pour leur patrie et qui possèdent un sens élevé du devoir national. Mais, pour être la digne héritière de l’ALN, l’institution militaire doit briser le cycle infernal du coup d’état permanent contre la volonté populaire inaugurée par l’Armée des frontières et les « Boussouf-boys » comme aimait à les qualifier feu Hocine Ait Ahmed.

Aujourd’hui plus que jamais, la défense de l’intégrité et de la souveraineté nationales et la sauvegarde d’un régime, source d’instabilité et de désordre, sont terriblement incompatibles.

Faut-il rappeler cette vérité historique qui veut qu’une Armée n’est puissante que si la nation est dotée d’un État fort et stable ? Que la mobilisation populaire en cas de grave conflit nécessite des institutions politiques légitimes. La fragilité actuelle du « système institutionnel » entraînera mécaniquement celle de l’armée fut-elle dotée d’un armement des plus sophistiqués. L’exemple de l’armée irakienne, considérée alors comme la quatrième armée du monde, est dans tous les esprits.

La séquence Bouteflika qui se referme doit urgemment ouvrir la voie à une réconciliation historique entre l’Armée et son peuple. Le consensus interne prélude au viol récurent de la conscience nationale doit laisser place à un vrai consensus national qui réhabilite l’État et ses Institutions pour en faire le lieu exclusif d’élaboration de la décision politique et libère dans un même mouvement la société de l’emprise des appareils sécuritaires.

D’autant plus que la Pacte rentier pompeusement appelé « Pacte National économique et social de croissance » subira inévitablement des lézardes en raison d’une probable crise d’allocation des ressources.

Le pays a besoin de régler au plus vite la crise politique pour engager de véritables réformes économiques structurelles et en finir avec le Crony Capitalism (capitalisme de clients ou de connivence), et la logique prédatrice qui en découle.

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