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Après six mois de lutte, le hirak à la croisée des chemins

Après six mois de lutte, le hirak à la croisée des chemins

Ce jeudi 22 août 2019, le hirak populaire boucle ses six mois. Né en réaction à la volonté du cercle présidentiel d’imposer le cinquième mandat de Abdelaziz Bouteflika en dépit de son état de santé, le mouvement s’est transformé, après la démission de ce dernier le 2 avril, en contestation plus profonde visant le démantèlement de tout le système politique en place depuis l’indépendance.

Des acquis, il y en a eu durant ces six premiers mois de lutte et ils sont indéniables. D’abord, la mobilisation des Algériens a empêché Bouteflika de rester au pouvoir à vie et surtout son entourage de continuer à jouir en toute impunité des richesses du pays.

Quoi que l’on dise sur les tiraillements internes au pouvoir, il n’en reste pas moins que ce qui s’est passé dans les mois qui ont suivi le déclenchement du mouvement du 22 février s’apparente à une petite révolution. De gros personnages du système, dont certains tout-puissants comme le frère de l’ancien président et le général Toufik, ou omniprésents sur la scène politique ces vingt dernières années comme Ahmed Ouyahia, plusieurs fois ministre et Premier ministre, sont arrêtés et incarcérés. Des hommes d’affaires qui faisaient, disait-on, la pluie et le beau temps sont également derrière les barreaux, entraînant dans leur chute, ministres, fonctionnaires et généraux.

Ce qui était impensable il y a seulement quelques mois est devenu d’une telle banalité qu’on assiste quasi quotidiennement à la convocation d’anciens pontes du régime qui finissent le plus souvent dans les paniers à salade de la police qui les acheminent vers la prison d’El Harrach, symbole désormais de la déchéance du système Bouteflika.

Le hirak a aussi permis de briser un interdit qu’on croyait infrangible en permettant aux citoyens de reconquérir l’espace public comme voie d’expression et de revendication. Chaque vendredi, on marche dans toutes les villes du pays, y compris à Alger où les manifestations étaient interdites depuis près de deux décennies.

Durant ces six mois, le peuple s’est admirablement comporté en veillant à maintenir le caractère pacifique de la contestation qui a suscité l’émerveillement jusque parmi ceux qui appellent à la fin du hirak et en tenant à son unité face aux tentatives de division des mêmes parties. Même l’idée de la désobéissance civile n’a pas beaucoup séduit.

À mettre aussi à l’actif du mouvement, la réconciliation des Algériens avec la politique, après vingt ans de fatalisme et de lassitude générés par la succession des mandats présidentiels et des scrutins monotones loin de tout débat sérieux ou d’illusion de changement.

Contre-révolution et recul sur les libertés

Tous ces acquis ne signifient pas que le mouvement a atteint ses objectifs. La preuve, près de cinq mois après le départ de Bouteflika, les Algériens sont toujours dans la rue et s’apprêtent à manifester en masse pour le vingt-septième vendredi de suite.

Le gouvernement nommé par l’ancien président est toujours aux affaires, le pays est dirigé à titre intérimaire par un symbole du système Bouteflika et les garanties d’une transition démocratique et d’un scrutin honnête ne viennent toujours pas.

Surtout, sur certains aspects, des reculs ont été constatés par rapport à l’avant-2 avril. C’est notamment le cas pour les libertés, avec l’arrestation de manifestants et de personnalités publiques, le musellement des médias publics et privés – plusieurs sites dont TSA sont bloqués – et la restriction de la liberté de circulation.

Une véritable entreprise de contre-révolution s’est mise en place avec aux avant-postes les soutiens les plus zélés de l’ancien président.

En installant la commission de dialogue et de médiation le 25 juillet, le chef de l’État avait promis de décréter une série de mesures d’apaisement mais son engagement n’a pas été suivi d’effet. C’est sans doute ce recul du pouvoir qui a valu à la commission de Karim Younès d’être rejetée par les manifestants et de se voir boudée par la quasi-totalité de l’opposition politique, faisant que l’objectif d’aller vers une élection acceptée par tous demeure illusoire. À moins d’un essoufflement miracle du hirak, seule alternative pour le pouvoir de passer son plan à moindres frais.

Un mouvement qui a résisté à tout

À ses débuts, le mouvement avait connu une mobilisation record. Rien qu’à Alger, il y avait des millions de manifestants dans la rue le 8 et le 15 mars. Mais une conjonction de facteurs fera baisser progressivement le nombre de manifestants.

Il y avait d’abord la démission du président Bouteflika, perçue par certains comme une victoire, tout comme l’arrestation des figures les plus honnies du système. L’attitude du pouvoir est aussi pour quelque chose dans le recul de la mobilisation, avec le blocage des accès à la capitale les jours de marche, l’arrestation de manifestants notamment les porteurs du drapeau amazigh, les tentatives de division…Beaucoup de manifestants ont aussi cessé de marcher durant le ramadhan et surtout pendant l’été qui aura été particulièrement chaud cette année.

En dépit de tous ces aléas, le mouvement a fait montre d’une incroyable résilience. Lors des trois premiers vendredis d’un mois d’août caniculaire, des dizaines de milliers de citoyens ont marché à Alger et beaucoup en déduisent que la capitale et les grandes villes du pays renoueront avec les manifestations records dès la rentrée sociale avec la conjonction de facteurs cette fois favorables, dont le retour de la fraîcheur, la rentrée des étudiants et l’exacerbation des tensions sociales.

Certes, les plus mesurés s’attendent au minimum au maintien du niveau de mobilisation constaté durant les chauds week-ends de l’été, mais le risque de lassitude n’est pas loin après six mois de marches sans avancée notable sur le plan politique.

Les animateurs du hirak risquent de se retrouver face à un nouveau défi, celui d’opter pour de nouveaux moyens de lutte sans sortir du cadre pacifique qui a fait jusque-là la force du mouvement, de surcroît dans une conjoncture sociale qui s’annonce explosive. Le hirak est plus que jamais à la croisée des chemins.

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