Au Maroc, la dernière récolte de céréales a été laminée par la sécheresse qui frappe de plein fouet le secteur agricole local, l’un des piliers de l’économie marocaine. Avec 31 millions de quintaux, il s’agit de l’une des plus mauvaises récoltes de ces dernières années au royaume.
Une situation qui fait exploser les importations de céréales et sème le doute chez les agriculteurs marocains mais aussi au-delà de ses frontières.
Dès le mois de mars, Média 24, une publication marocaine, notait qu’une telle campagne était une « des pires campagnes jamais vues depuis les années 1980 ».
Avec seulement 31 millions de quintaux de céréales, la récolte est en baisse de 43 % par rapport aux 55 millions de quintaux récoltés en 2023. Elle est catastrophique par rapport à 2019 alors que 103 millions de quintaux avaient été engrangés.
Durant la campagne écoulée, la pluviométrie a été seulement de près de 237 mm contre une moyenne de 349 mm soit une baisse de 31 %.
Selon les données des services agricoles marocains, les superficies en céréales au cours de la saison 2023-2024 ont été de près de 2,5 millions d’hectares, mais seuls 1,85 million d’hectares ont pu être récoltés.
Des témoignages accablants
Tant dans la presse locale qu’étrangère, les témoignages d’agriculteurs sont accablants.
Agriculteur dans la commune d’Ameur Seflia, dans le bassin agricole de Rabat-Salé, Housni Belhoucine confie à la revue La France Agricole : « Il y a quelques années, la production de blé dans la région était abondante, mais durant les cinq ou six dernières années, les récoltes ont fortement chuté en raison de la sécheresse persistante et, cette année, les rendements sont encore plus faibles que l’an dernier ».
Pour sa part, Driss Limam déclare : « Autrefois, nous récoltions jusqu’à soixante sacs de 50 kg par hectare (soit 30 quintaux à l’hectare), mais aujourd’hui, nous atteignons difficilement dix sacs ».
« Cela fait six années que je pars dans ma région pour constater qu’ils n’ont pas moissonné deux fois et le reste du temps c’étaient de très faibles récoltes », confie à Challenge Maroc un étudiant en agronomie, issu lui-même d’une famille agricole.
Des importations croissantes
Dès le mois de mars, la presse marocaine parlait d’importations « qui seront donc massives pour répondre au besoin national et constituer le stock stratégique » de céréales.
Déjà, en octobre 2023, le Conseil international des céréales (CIC) estimait à 2,82 millions de tonnes (Mt) la production marocaine de blé tendre pour la campagne 2023/24, contre 1,89 Mt pour 2022/23 et s’attendait à une augmentation des importations de l’ordre de 5,40 Mt contre 4,80 Mt en 2022/23.
Selon une compilation de données européennes, le Maroc a importé 2,8 Mt de blé tendre français sur 2022/23, contre 1,7 Mt en 2021/22 et 1 Mt en 2020/21. Les exportateurs français s’interrogent sur les quantités à venir.
En mars 2024, Moulay Alaoui, président de la Fédération marocaine de minotiers (FMN) indiquait dans la presse locale : « L’année dernière, on était à 8,8 Mt d’importation. Cette année, nous serons sur le même niveau si ce n’est plus. On pourrait aller jusqu’à 10 Mt pour les quatre principales céréales pour faire face aux besoins de l’élevage notamment, surtout pour ce qui est du maïs et de l’orge ».
Des importations dont la facture devient préoccupante. Selon l’Office des Changes du Maroc, en 2023 les importations de blé ont été de 19,3 milliards de dirhams (1,9 milliard d’euros).
Une hausse de la facture des importations que la presse marocaine espère pouvoir atténuer grâce à « l’abondance de l’offre en Amérique du Sud et en Russie ».
Au Maroc, faudra-t-il abandonner la culture du blé ?
Début octobre Challenge Maroc s’interrogeait : « Face à une sécheresse devenue structurelle, la culture des céréales a-t-elle encore du sens au Maroc ? ».
Les agriculteurs marocains semblent découragés. Selon les données de la Banque centrale du Maroc, les surfaces de céréales n’ont été que de 2,5 millions d’hectares en 2024 contre 3,5 millions d’hectares l’année précédente.
Des agriculteurs marocains affectés par 6 années de sécheresse évoquent de plus en plus l’éventualité d’arrêter la culture des céréales pour les remplacer par l’élevage du mouton ou d’éventuelles cultures plus adaptées au déficit hydrique.
Une question soulevée au printemps dernier par des agriculteurs algériens à l’ouest du pays en butte contre les mêmes sécheresses qui affectent les régions frontalières du Maroc.
Une reconversion balayée de la main par un ingénieur agronome et également agriculteur, qui explique dans la même publication que « la reconversion vers des cultures moins gourmandes en eau est loin d’être une évidence ».
En effet, une reconversion ne se décrète pas. Il s’agit de tenir compte des agriculteurs concernés : « Ces gens cultivent le blé, mangent le blé, stockent le blé depuis des dizaines de générations », ajoute l’ingénieur.
Face à cette question qui concerne, à terme, l’ensemble des pays de la région du Maghreb, des alternatives existent. Elles consistent à moderniser le dry-farming à l’image de ce qui se fait en Australie, pays exportateur de céréales.
Dans ce pays, bien que la pluviométrie annuelle atteint à peine 300 mm, la recherche agronomique locale innove en proposant l’abandon du labour, la réduction de la compaction du sol, et le maintien d’un minimum de paille à la surface du sol. Avantages, un gain d’humidité au niveau des racines équivalant à 75 mm de pluie.
Faire pousser du blé avec moins de pluie
La question posée à la filière céréales est donc d’imaginer comment faire pousser des céréales dans les conditions du dérèglement climatique actuel.
Bénéficiant du transfert de la station de recherche de l’International Center for Agricultural Research in the Dry Areas (ICARDA) pour la région Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (MENA) auparavant basée à Alep (Syrie) vers Settat (Maroc), les pays du Maghreb pourraient bénéficier d’une plus grande aide technique en matière de culture des céréales.
En plus de la sélection de variétés résistantes à la sécheresse, les recherches concernant l’abandon du labour permettent d’aller vers une plus grande résilience des exploitations.
Ce type de stratégie présente l’avantage de réduire les dépenses en carburant tout en améliorant l’eau emmagasinée dans le sol. Résultat, en cas de manque de pluie, si les agriculteurs en culture traditionnelle ne récoltent rien, ces nouvelles techniques permettent la récolte d’un minimum de grain. De quoi couvrir les dépenses engagées et de relancer un nouveau cycle de cultures l’année suivante.
En Algérie, lors de la dernière sécheresse, de nombreux agriculteurs n’ont rien récolté et n’ont dû leur salut qu’à la fourniture gratuite de semences et d’engrais par l’Office algérien des céréales (OAIC).
Cependant, pour protéger le sol de l’évaporation, ces techniques impliquent le maintien d’un minimum de paille au sol. Une gageure alors qu’en période de sécheresse, il s’agit d’un produit particulièrement recherché en élevage du mouton. Un élevage qui assure un minimum de revenu face aux aléas de la culture des céréales.
Les terribles sécheresses, qui touchent le Maroc mais aussi l’Algérie, incitent de faire bénéficier les agriculteurs des nouvelles techniques mises au point au sein des stations de recherche sous peine de voir la culture des céréales devenir impossible en condition non-irriguée.
Un défi d’autant plus grand que la vitesse des changements climatiques est bien plus rapide que la capacité de mutation actuelle des systèmes agricoles.