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Au tribunal de Sidi M’hamed : Ouyahia et Sellal comme on ne les a jamais vus

Au tribunal de Sidi M’hamed : Ouyahia et Sellal comme on ne les a jamais vus

Reporté une première fois lundi dernier à la demande de la défense qui contestait les conditions de sa tenue et ce qu’elle a qualifié d’irrégularités procédurales, le procès de l’affaire dite de « l’assemblage automobile » s’est finalement ouvert ce mercredi 4 décembre au tribunal de Sidi M’hamed.

Du beau monde à la barre comme prévu : deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, plusieurs anciens ministres et hauts responsables ainsi que quatre hommes d’affaires. Ces derniers sont soupçonnés d’avoir bénéficié des largesses des responsables cités et d’indus avantage dans le cadre du lancement de leurs projets consistant en la mise en place d’usines de montage de véhicules de grandes marques mondiales.

La leçon de la pagaille qui a régné lundi dernier devant la salle d’audience semble avoir été retenue : seuls les avocats sont autorisés à accéder dans l’enceinte du tribunal. Les citoyens, venus nombreux, certains de wilayas éloignées, se sont tassés dès les premières heures de la matinée devant l’une des portes d’entrée du tribunal, sous les arcades de la rue Abane-Ramdane. Les policiers, présents en force, gardent l’accès infranchissable.

Même pour les journalistes, venus eux aussi en nombre, ayant cru à la promesse d’un procès public et ouvert à tous faite en début de semaine par le ministre de la Justice Belkacem Zeghmati. Cartes de presse en main, ils ont poireauté pendant près de deux heures devant une autre entrée, jouant des coudes et suppliant les policiers qui n’ont rien voulu savoir. « Nous avons reçu des ordres. Vous devez attendre », répète sans cesse un agent.

Un procès pas tout à fait public

Peu avant onze heures, on les laisse entrer, mais une autre désagréable surprise les attend dans l’immense hall du rez-de-chaussée : l’escalier menant au premier étage, où se trouve la salle d’audience, est bloqué par des policiers qui ont reçu les mêmes instructions de ne laisser personne monter.

Les journalistes vont assister au procès, mais à partir d’une autre salle où est installé un écran de visioconférence. L’image est approximative et le son inaudible. On reconnaît à peine la silhouette d’Ahmed Ouyahia, debout, répondant aux questions du juge avec une certaine assurance. On ne saisit pas tout de ce qui se dit mais on comprend que certains avocats se sont retirés. Lundi dernier, le bâtonnier d’Alger, Abdelmadjid Sellini, avait annoncé le boycott des audiences, dénonçant des irrégularités dans la procédure et surtout « un procès politique ».

« Quand la politique entre, la justice sort. Dans cette conjoncture de règlement de comptes et de vengeance, un procès équitable n’est pas possible », avait-il estimé, déniant au tribunal le droit même de juger les prévenus au vu de leurs fonctions passées : « La Constitution prévoit le jugement du président de la République ou du chef de Gouvernement par une haute cour, or cette cour n’existe pas (…) Faute de haute cour, on les ramenés à la basse-cour. »

Mais il est écrit que le procès aura lieu avant l’élection présidentielle. Le show aussi. Car, on ne sait par quel truchement légal et technique, les images de l’audience sont diffusées en direct sur plusieurs chaînes de télévision privées.

Sellal : « C’est Saïd Bouteflika qui m’a désigné »

En suivant les minutes de la séance de ce mercredi matin, on comprend que Abdelmalek Sellal est aussi poursuivi pour financement illégal de campagne électorale, en sa qualité de directeur de campagne du président déchu à plusieurs reprises.

Sans transition, il doit s’expliquer sur les comptes de campagne après avoir répondu à des questions relatives à son rôle dans le lancement de l’industrie naissante de l’assemblage automobile. L’assistance a du mal à suivre le fil de l’intrigue. La stratégie de défense de Sellal ne changera pas tout au long de son audition : ce n’est pas moi, c’est lui.

« Comment se fait-il qu’un seul opérateur ait pu bénéficier d’autorisations pour représenter trois marques différentes ? », demande le juge. « Je ne suis pas un technicien, c’est le ministère de l’Industrie qui étudie les dossiers. Moi, je n’avais pas la prérogative de faire passer un dossier au détriment d’un autre », répond le prévenu. Il rejette tout sur Abdeslam Bouchouareb, à l’époque ministre de l’Industrie, auquel, jure-t-il, il a demandé « de cesser le bricolage ». Poursuivi dans la même affaire, Bouchouareb est en fuite à l’étranger.

Sellal nie aussi toute implication dans les irrégularités en lien avec les campagnes électorales de Bouteflika. « J’ai dirigé la campagne à plusieurs reprises mais je ne me suis jamais mêlé des finances. C’est l’ancien président et son frère qui se chargeaient de cet aspect », dit-il, affirmant ne pas être au courant que l’homme d’affaires Mazouz, présent dans la salle en tant qu’accusé, avait versé 39 milliards de centimes dans le compte de la campagne. Au cours de l’audition, l’ancien Premier ministre confirmera ce que tout le monde savait, à savoir que c’est le frère cadet du président qui décidait de tout. « C’est Saïd Bouteflika qui m’a désigné comme directeur de campagne », avoue-t-il.

Les comptes bancaires d’Ouyahia

Avant lui, Ahmed Ouyahia a fait preuve de la même assurance, même si, au bout d’une heure d’audition, il a été pris d’un léger malaise. Il décline néanmoins la proposition du juge de faire appel à un médecin. Les faits qui lui sont reprochés semblent plus compromettants. Le juge l’interroge sur des sociétés gérées par sa femme et son fils, des comptes bancaires à son nom. Il est question de 30 (ou 300 milliards de centimes, encore une fois, le son était inaudible).

Quoi qu’il en soit, le montant ne peut être justifié par ses seuls revenus de chef du gouvernement. Ouyahia ne perd pas son calme, et répond à toutes les questions. « Il n’y a aucune société au nom de ma femme. Mon fils a monté un projet dans le cadre de l’Ansej. Je lui ai transféré de l’argent pour l’aider, comme le ferait tout père à l’égard de son fils. Je ne suis pas un idiot pour ouvrir un compte dans une banque publique à des fins de blanchiment d’argent… ».

Convainquant ou pas, Ahmed Ouyahia a dit ce qu’il avait à dire. Les révélations devaient se poursuivre dans l’après-midi avec l’audition du reste des accusés, notamment d’anciens ministres et des hommes d’affaires.

Le sort de celui qui a fait partie de la vie nationale ces 25 dernières années est maintenant entre les mains des juges et il ne devrait pas tarder à être connu…

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