Sur la page Facebook « Béjaïa sois l’observateur », une information à première vue anodine, mais qui révèle les dégâts de la gestion « politique » des projets.
Une interférence qui fait fi des recommandations des techniciens et des gens du terrain et qui souvent se traduit par des surcoûts, des retards dans la livraison et parfois du gaspillage.
Les internautes béjaouis nous apprennent que le nouveau wali a rejeté une proposition du bureau d’études en charge de la pénétrante devant relier la ville à l’autoroute Est-Ouest.
Afin d’accélérer la cadence des travaux et pouvoir enfin livrer ce projet qui traîne en longueur, les techniciens dudit bureau d’études ont proposé l’idée de réaliser le tronçon entre Takrietz et Amizour (26 km) en 2×2 voies, au lieu de 2×3 voies comme prévu initialement.
Le wali, qui vient à peine d’être nommé, donc ne connaissant forcément pas grand-chose au projet et à ses contraintes, n’a rien voulu entendre, insistant sur la réalisation de la pénétrante en 3 voies sur toute sa longueur, comme prévu dans le cahier des charges initial. Pour justifier son refus, il explique que dans les autres wilayas, les pénétrantes autoroutières ont été réalisées en 2×3 voies. Pas très convaincant, c’est clair.
Les ingénieurs qui ont proposé la réduction de l’envergure du projet ne manquent pas d’arguments. Selon eux, le projet traînera encore au vu des énormes contraintes rencontrées. À titre d’exemple, ils citent le tunnel de Sidi Aïch, long d’un peu plus d’un kilomètre et dont les travaux avancent à une cadence d’un mètre par jour.
Étant donné qu’il reste 380 mètres à creuser (le taux d’avancement est de 64%), il faudra donc au moins une année rien que pour terminer les travaux d’excavation.
Ramener un tronçon de la pénétrante à deux voies au lieu de trois n’est pourtant pas de nature à diminuer de l’utilité du projet, en ce sens que, et cela se fait partout ailleurs dans le monde, qu’il est toujours possible de prévoir son élargissement à terme.
À première vue, l’idée du bureau d’études est intéressante. L’urgence en ce moment, c’est de mettre un terme aux souffrances des habitants de la région qui, pour se rendre à Alger ou dans les wilayas de l’Est du pays, doivent emprunter la RN 26, héritée d’avant l’indépendance, et qui n’est pas seulement étroite mais traverse aussi de nombreuses agglomérations.
Les habitants de Béjaïa signeront des deux mains pour une autoroute à deux voies plutôt que de continuer à subir quotidiennement l’enfer des bouchons interminables sur la RN 26.
En refusant d’écouter l’avis des ingénieurs en charge de la réalisation de la pénétrante, le wali prend en fait un double risque. Celui de voir le projet traîner pendant quelques années encore et même de l’hypothéquer si, dans les prochaines années, les fonds viendraient à manquer.
L’échange entre le wali et le bureau d’études illustre la gestion hasardeuse des grands projets d’infrastructures en Algérie, où souvent les politiques prennent des décisions importantes, lors d’une courte visite de chantier.
Certes, les arguments avancés par le bureau d’études pour réduire l’envergure du projet ne sont pas suffisamment solides pour faire pencher la balance de son côté. On ne réduit pas le nombre de voies d’une autoroute à cause des contraintes techniques, sachant que dans l’étude initiale, des ingénieurs ont validé la faisabilité technique d’une autoroute à 2×3 voies, sur le même site. Un délai de réalisation a été fixé et un coût a été arrêté. Qu’est-ce qui a changé ? On n’en sait rien.
Peut-être que l’étude initiale, et c’est souvent le cas en Algérie, a été bâclée. Certes, il n’y a rien de figé dans la construction d’une telle infrastructure. Des modifications techniques peuvent être apportées au fur et à mesure de l’avancée du chantier et ce, en fonction de la nature du terrain et des financements disponibles.
En revanche, un argument de taille a été occulté, du moins si on s’en tient au compte-rendu publié sur les réseaux sociaux. C’est le trafic routier prévu sur cette partie de l’autoroute. Sur le tronçon déjà livré entre Takrietz et l’autoroute Est-Ouest, la circulation automobile est pour le moment clairsemée.
Les routes et les autoroutes sont en fait dimensionnées surtout en fonction de la faisabilité technique, du trafic routier, de la rentabilité et de la disponibilité des financements. Des paramètres qui n’ont jamais été respectés en Algérie parce que ce sont toujours les politiques qui décident, sans se référer aux techniciens.
Le pragmatisme et le réalisme ne sont pas la vertu première de beaucoup de responsables. Le projet du siècle, l’autoroute Est-Ouest, ne se serait pas transformé en tonneau des danaïdes pour les finances publiques sans l’entêtement des politiques à la réaliser en 2×3 voies dans sa totalité. L’obsession des chiffres et de l’effet d’annonce n’épargne, hélas, aucun secteur.