Économie

Baisse dinar algérien : quel est l’impact sur les ménages et les entreprises ?

Brahim Guendouzi est enseignant d’économie à l’université de Tizi-Ouzou. Dans cet entretien, il explique les raisons de la dévaluation du dinar et son impact sur les ménages et les entreprises, le niveau des réserves de change.

Le dinar algérien poursuit sa dégringolade face aux principales devises, l’euro et le dollar. Hier, il a atteint un nouveau record historique à la baisse face à l’euro. Comment l’expliquez-vous ?

Brahim Guendouzi: Nous constatons depuis le 1er décembre 2020, un processus régulier et surprenant d’ajustement de la valeur du dinar par rapport aux deux monnaies de référence puisque les cours à la vente par exemple à la date du 16 décembre 2020 sont de 131,5246 dinars pour un dollar et 159,6709 dinars pour un euro, soit trois dinars de plus par dollar et 18 dinars de plus par euro comparativement aux valeurs du 1er juin 2020. Aussi, le taux de change semble actuellement jouer son rôle d’amortisseur face à la détérioration des fondamentaux de l’économie nationale.

Il faut rappeler que la valeur du dinar a subi un premier ajustement entre juin 2014 et mai 2016 suite au choc pétrolier qui a fait perdre à l’Algérie près de 60% de ses revenus extérieurs. Aussi, la monnaie nationale avait baissé de 28% par rapport à la valeur du dollar US et de 13% contre l’euro. C’est ce qui avait permis en quelque sorte de préserver les équilibres macroéconomiques. Cependant, la Banque d’Algérie n’avait pas continué à partir de juin 2016 sur cette trajectoire, préférant plutôt stabiliser la valeur du dinar et ce, jusqu’à novembre 2020. Les modifications du cours du dinar n’ayant obéi, essentiellement, qu’à des fluctuations sur les marchés financiers internationaux des changes, des monnaies de référence que sont le dollar et l’euro.

Cette dévaluation, comment va-t-elle se traduire sur les ménages notamment sur leur pouvoir d’achat ?

Le premier effet qui va apparaitre dans quelques semaines est celui de la hausse des prix des produits importés, que ce soit pour la consommation que pour les inputs. D’ores et déjà, la loi de finance 2021 prévoit un taux d’inflation de 4,5%. Les ménages seront donc amenés à se détourner de la consommation des biens importés car ils seront plus chers. À ce titre, c’est l’un des leviers pour faire baisser le niveau des importations, en faisant agir la variable « prix ».

Faut-il redouter que le gouvernement algérien soit tenté de renflouer les caisses de l’État au détriment des citoyens ?

Le second effet de l’ajustement du taux de change concerne aussi bien l’augmentation de la fiscalité pétrolière que la fiscalité ordinaire à travers la hausse des taxes douanières appliquées sur les marchandises importées. Aussi, il est attendu une relative amélioration des recettes budgétaires pour pouvoir faire face à l’importance du niveau des dépenses publiques. Est-il nécessaire de rappeler que l’État pratique une politique sociale généreuse se traduisant par des transferts sociaux élevés avoisinant près de 20% du budget de fonctionnement ? Tant que cette politique sociale est maintenue, le citoyen bénéficie des subventions directes et indirectes, pouvant sauvegarder momentanément son pouvoir d’achat.

Quel est l’impact de la baisse du dinar algérien sur les entreprises ?

Tout d’abord, les entreprises importatrices vont subir une pression sur leur trésorerie car la dévaluation du dinar va faire renchérir les produits qu’elles importent et donc agir en partie sur les coûts de production. Celles dont les finances sont saines, seront résilientes, alors que d’autres risquent de connaitre un dépôt de bilan au vu de la conjoncture économique actuelle caractérisée par les effets du Covid-19. En revanche, les entreprises qui sont à l’export vont bénéficier d’un gain de change appréciable qui consolidera leur position sur le marché. L’entreprise Sonatrach va par exemple compenser en grande partie les pertes subies à cause de la chute des prix du pétrole ainsi que de la réduction des quantités d’hydrocarbures exportables, grâce à un taux de change qui évolue en sa faveur.

En l’état actuel de notre économie, déjà mise à rude épreuve par la Covid-19, y a-t-il de quoi nourrir une lueur d’espoir ?

La politique de change de la Banque d’Algérie repose sur le maintien du taux de change effectif réel (TCER) sur une trajectoire proche de son niveau d’équilibre. Le TCER est déterminé à partir des fondamentaux de l’économie nationale, identifiés comme étant : le différentiel de productivité et le différentiel d’inflation entre l’économie nationale et les pays partenaires, le degré d’ouverture de l’économie, le prix du pétrole et les dépenses publiques. L’ensemble de ces variables justifient pleinement la dévaluation actuelle du dinar par rapport aux monnaies de référence que sont l’euro et le dollar. La récession économique actuelle dont le Covid-19 a favorisé les conditions d’émergence,  rend complexe le processus de mise en œuvre des nouvelles sources de croissance économique susceptibles de redonner à l’économie du pays les ressorts de sa diversification et de sa consolidation, exigence pour une appréciation de la monnaie nationale.

Pour les réserves de change de l’Algérie, leur niveau actuel est-il rassurant ?

Le niveau des réserves de change doit rester une préoccupation permanente des pouvoirs publics car il s’agit de la principale garantie dont dispose l’économie algérienne vis-à-vis des partenaires économiques étrangers ainsi que des institutions multilatérales. Le montant atteint durant ce dernier trimestre 2020 est en dessous de 50 milliards de dollars, ce qui peut être source de préoccupation au vu de la conjoncture économique tant internationale que nationale. La marge de manœuvre est encore appréciable pour mener des réformes économiques à même de placer l’économie nationale sur une trajectoire de croissance soutenue.

 

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