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Boudiaf l’inflexible, Ben M’hidi le preux, Ben Bella le populiste

Chronique livresque. Il est toujours instructif de voir ce qu’un grand historien français*, décédé hélas, attaché à notre pays, pense des chefs historiques de la Révolution. Son éclairage est d’autant plus précieux qu’il est nourri aux meilleures sources. Celles de Harbi et des témoignages d’acteurs de la guerre qu’il ne s’est pas contenté de rapporter seulement, mais de les recouper, de les confronter pour aboutir à ce qui se rapprocherait le plus près de la vérité de l’homme tel qu’il fut dans une période donnée.

Boudiaf, le leader intransigeant

D’abord Mohamed Boudiaf puisqu’il est considéré comme le père de Novembre. Il parait rigide, il l’est, mais une rigidité saine, pure toujours transcendée par les principes. Dur avec lui-même comme avec les autres ce qui n’exclut pas un cœur gros comme ça. Il ne tolère aucune faiblesse.

« Doté d’une solide formation d’homme d’appareil (…) Pour l’ensemble de ses compagnons de l’OS qu’il retrouve dans le CRUA puis le comité des 22, il a ce mot significatif : « Ils ont une éducation plus morale que politique » ». Ce qui n’est pas un compliment dans sa bouche.

Pas diplomate pour un sou, cassant même parfois, selon Mechati, membre des 22, c’est aussi un homme de culture qui ne répugne pas à faire le coup de poing. En un mot, un leader qui ne se laisse pas faire. Pour Gilbert Meynier, du point de vue culturel, il est avec Ait Ahmed, à plusieurs coudées au-dessus des autres. « Ce sont les deux seuls à avoir quelque peu une vision d’ensemble de reconstitution de la société algérienne pour les lendemains de l’indépendance ».

La remarque de Meynier est la même que celle de Fanon qui avait remarqué chez les colonels de Tunis notamment Boussouf et Ben Tobbal dont il disait, un brin ironique « A les entendre, disait-il en privé, ils s’arrêtent à l’idée d’une Algérie indépendante et à des querelles de pouvoir ; quant à savoir ce que sera cette Algérie, ils ne semblent pas en avoir cure. Les notions de laïcité, de socialisme ou encore de conception de l’homme leur seront étrangères ».

Quand Ben M’Hidi semonça Ben Bella

Mais si Meynier pèse ses mots sur Boudiaf, il laisse libre cours à sa fascination pour Ben M’Hidi, et il n’est ni le premier, ni le dernier : « Ce dernier en tout les cas croit à la vertu exemplaire du militant. Si Lamartine avait connu le FLN, il aurait appelé Ben M’Hidi l’âme blanche du FLN. Son goût pour la démocratie, sa foi profonde et sereine, son ascétisme et sa réputation de chasteté, qui n’excluent pour autant pas une constante gaieté, s’opposent à l’ondoyance despotique d’un populiste comme Ben Bella, par exemple. »

Inévitablement on arrive à la comparaison avec Ben Bella. Il leur trouve un seul point commun : le sourire. Pour le reste, c’est le jour et la nuit. Il nous raconte cette fameuse altercation qui a fait couler beaucoup de salives et d’encre autour de la polémique sur le film Ben M’Hidi version Derais : « Et pourtant, entre eux, c’était à couteau tiré : lors de son séjour au Caire, en 1956, Ben M’Hidi semonça vertement Ben Bella de ne pas suffisamment alimenter les maquis en armes et de vouloir sans mandat régenter le FLN. Et d’après plusieurs témoignages, ulcéré Ben Bella, aurait voulu gifler Ben M’Hidi, lequel ne se laissa pas faire. » Remarquons, en passant, que Ben Bella n’est point avare en gifles. Il en distribue à tout va. Même aux plus preux, comme le grand Moudjahid Naimi de Blida.

Au courage, Ben M’Hidi ajoute une qualité rare chez nos historiques : la capacité d’admirer : « De tous les chefs historiques, c’est chez Ben M’Hidi que l’on trouve l’admiration la plus forte pour la compétence et la culture. Il est toujours du côté des gens cultivés (Ramdane Abbane au congrès de la Soummam, ses compagnons de l’exécutif algérien, le CCE, en 1956-1957, les ex-centralistes Saad Dahlab et Benyoucef Benkhada) et il estime que la compétence est neutre. »

Ben Bella, le populiste ombrageux

Le regard que jette l’auteur sur Ben Bella est circonspect. Il trouve que ce qui domine chez lui, c’est l’ambition. Si pour Ben M’Hidi la compétence est au-dessus de tout, pour lui la compétence est secondaire. On a vu quel usage il a fait à l’indépendance des compétences : Abbes, Debaghine, Ben Khedda, Dahlab, tous marginalisés.

« Sa culture d’autodidacte acquise en prison après le coup d’Etat de 1965 ne changera pas fondamentalement ces données. Il reste structuré par l’Islam, mais un Islam social populaire taillé à coups d’arguments simples, une rhétorique dont l’emploi présuppose que le sens commun algérien l’avalisera. Ben Bella est le type même du populiste. Tout en rondeur et en jovialité, il cultive une image d’homme de bonne volonté et bon enfant dans laquelle chaque Algérien pourra se reconnaitre ».

A l’indépendance la majorité des Algériens se sont reconnus en lui. Il leur a suffi de quelques mois pour que cette même majorité se retourne contre lui. Les protestations d’aujourd’hui prennent leur source dans cette période où l’eau vive et pure de la révolution a été polluée.


*Gilbert Meynier
Histoire intérieure du FLN
1954-1962
Casbah Editions
PNC

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