Économie

Céréales : à Tiaret, des agriculteurs se plaignent du manque de semences

La campagne de semis des céréales en Algérie est à nouveau marquée par le manque de semences certifiées. Ces derniers jours à Frenda (Tiaret) des agriculteurs mécontents se sont rassemblés devant la CCLS en attente de livraisons qui tardent.

En début de campagne, l’Office algérien des céréales (OAIC) a annoncé la mise progressive à la disposition des agriculteurs de 4 millions de quintaux. Apparemment, le compte n’y est pas.

Après une année marquée par la sécheresse qui a frappé l’Algérie de plein fouet, la campagne céréalière en cours avait pour but de tourner la page.

Les pouvoirs publics n’ont pas lésiné sur les indemnisations : gratuité des semences et des engrais ainsi que report de trois ans des échéances de prêt. Mais de fâcheux dysfonctionnements entachent le début de la campagne.

Une demande exacerbée par la sécheresse

Il y a foule ce matin du 21 décembre devant la CCLS de Frenda. Une quarantaine d’agriculteurs sont rassemblés malgré le froid. Dignes dans leur kachabiya et leur chèche blanc, ils attendent patiemment devant la CCLS la distribution de semences qui ne viennent pas.

Quelques-uns ont à la main une chemise cartonnée renfermant les factures de semences des années précédentes. Afin d’éviter tout effet d’aubaine, l’indemnisation des dégâts causés par la sécheresse n’est accordée qu’aux agriculteurs pouvant prouver qu’ils ont semé du blé la saison précédente et donc acheté des semences.

Mais de nombreux agriculteurs ont l’habitude de produire des semences de ferme à partir de leur propre production. Du fait de la sécheresse, ils n’ont rien récolté en juillet et n’ont donc pas pu produire de semences de ferme.

Aussi se rabattent-ils sur les semences certifiées des CCLS. Ce qui explique, en partie, la tension observée sur le marché des semences. En début de campagne, lors d’un passage à la télévision, Nouredine Amrani, directeur de l’appui à la production au niveau de l’OAIC, a promis que l’office livrerait 4 millions de quintaux de semences certifiées.

Mais, il avait demandé aux agriculteurs d’être patients, car malgré des équipes travaillant en trois fois huit heures au niveau des installations de tri et de traitement de semences, les capacités journalières de l’ensemble des CCLS ne dépassaient pas les 10.000 quintaux.

Il avait suggéré que les commissions de wilaya chargées de l’attribution des semences dressent des listes d’agriculteurs prioritaires sur la base du niveau d’avancement des labours de chacun d’entre eux.

Indiquant qu’il était plus logique d’attribuer des semences aux exploitations, dont une partie des terres étaient labourées. Ce qui a amené ces commissions à établir des listes d’attribution puis des listes additives face à la demande.

Attendre, comme le demande Nouredine Amrani, à Frenda certains agriculteurs ne font que cela depuis plusieurs jours. Et certains s’expriment devant la caméra d’Ennahar Tv présente sur les lieux.

Pour Abbas, les dernières pluies sont une aubaine. Il indique : « Les terres ont été labourées, mais on ne dispose pas de semences. Quand va-t-on semer ? » Exhibant une chemise cartonnée, il ajoute : « Nous sommes là avec nos factures, mais nous n’avons pas été servis ».

Engoncé dans sa kachabiya, Baghdad ne cache pas sa colère : « La saison des semis touche à sa fin, mais il n’y a pas de semences. Faudra-t-il utiliser des semences trabendo ? [provenant du marché informel]. La semence doit être semée à temps. Il est question d’une liste additive, mais il y a des agriculteurs qui sont là à attendre depuis plusieurs jours devant ces bureaux. »

Pour sa part, Saïd témoigne : « On vient chaque jour. Le mercredi, on nous dit de revenir le jeudi. Le jeudi, on nous répond de revenir le dimanche. »

Ibrahim confirme : « On vient chaque jour. Pour venir depuis 20 km, la location d’un véhicule représente une somme d’argent qu’on enlève de la bouche de nos enfants. »

Excédé, il énumère avec une pointe d’ironie les réponses entendues : « Un jour, on nous dit qu’il n’y a pas de liste, une autre fois qu’il y en a. Un autre jour, le directeur n’est pas là, puis le lendemain, il est là. »

Plus posé, Taïeb tente une explication : « On nous a dit qu’il n’y a pas de semences en ce moment. Puis de toute façon, la CCLS dispose d’une liste, mais elle n’a pas été visée [sous-entendu par la commission de wilaya]. »

De son côté, la CCLS indique que les livraisons se poursuivent et que les agriculteurs de la liste principale ont été servis et que cela commence à être le cas concernant ceux de la liste additive.

Des semences attaquées par les charançons

À Oum El Bouaghi, Ennahar Tv rapporte les mêmes scènes devant la CCLS. À nouveau, un retard dans le programme de distribution de semences.

Omar, bonnet de laine enfoncé sur la tête semble excédé : « On n’en peut plus. À la direction de l’agriculture, ils nous disent d’aller à la CCLS. À la CCLS, ils nous disent d’aller à la direction de l’agriculture ».

À ses côtés Djilali : « On attend depuis 3 mois. À chaque fois des réunions, mais pas de semences. Il a été affiché une première liste, puis une deuxième, puis une troisième. Celui qui demande 100 quintaux de semences en reçoit 40. Quand aura-t-il les 60 restants ? Celui qui en demande 200 n’en reçoit que 70. À quand les 30 restants ? »

Mais plus grave, certains agriculteurs accusent la CCLS : la qualité des semences ne serait pas au rendez-vous. En remplissant la trémie de leur semoir avec des sacs de semences en provenance de la CCLS, des agriculteurs, dont Abdelkarim, ont eu la mauvaise surprise de découvrir des insectes. Et pas n’importe lesquels, des insectes s’attaquant aux grains stockés : « essoussa » comme les appellent les agriculteurs.

Immédiatement appelés sur les lieux par les agriculteurs, les représentants de la CCLS ont déclaré qu’il ne s’agissait pas de semences provenant de la CCLS. À quoi Abdelkarim a rétorqué : « Et alors pourquoi sommes-nous en possession d’étiquettes marquées du sceau OAIC ? ».

Pour Samir Touaybet, le directeur de la CCLS, la présence de ces insectes ne peut provenir que d’un entreposage inadéquat des sacs de semences dans les locaux de l’agriculteur.

Chose à priori difficile dans la mesure où les sacs de semences de 50 kg sont hermétiquement fermés. Selon Ennahar TV, les agriculteurs concernés demandent l’intervention du wali afin de faire la lumière sur ces dysfonctionnements : retard dans la distribution et qualité des semences.

Face à la caméra, les agriculteurs ont montré des charançons au milieu des semences en provenance de la CCLS. La couleur rouge des semences prouve leur origine dans la mesure où seule la CCLS utilise ce procédé de coloration afin d’éviter tout risque de confusion avec du blé destiné à la consommation humaine. Les grains font l’objet d’un traitement fongicide. Un traitement qui ne protège pas contre les insectes.

Il est à espérer qu’au plus vite soit faite la lumière sur ce cas-là. Pour l’Institut national de la protection des végétaux (INPV), le Sitophilus oryzae est considéré comme l’espèce d’insecte la plus nuisible pour les céréales stockées.

Dès 2015, une étude de l’université de Blida a précisé les dégâts de ce type d’insecte plus connu sous le terme de charançons. Dans les silos, ces insectes se nourrissent de l’amidon des grains, ce qui peut occasionner une perte de poids de 40 %.

L’OAIC développe un programme de construction de silos de béton, mais il existe également une tradition de stockage en big-bag ou à plat des céréales sous hangar après récolte.

Un type de stockage qui se fait généralement en absence de gaines de ventilation. Des gaines qui, installées au sein de la masse des grains, permettent de réduire leur température et de limiter la reproduction des insectes.

La ventilation est une pratique largement employée à l’étranger, mais étrangement peu utilisée en Algérie dans le cas du stockage à plat sur dalle de béton. Pourtant, le danger causé par les insectes parasites des grains est réel.

Dysfonctionnements récurrents de la filière céréales en Algérie

La forte demande en semences observée au niveau des CCLS montre l’engouement des agriculteurs pour la culture du blé suite à la politique des pouvoirs publics de relèvement des prix à la production et de subventions.

La demande en semences certifiées montre également l’engouement des agriculteurs pour ce produit. Les dysfonctionnements apparus à Oum El Bouaghi concernant la qualité des semences semblent être un cas isolé.

Ces dernières années, les CCLS ont renforcé leur capacité d’usinage par l’acquisition de matériel moderne de tri et de traitement de semences auprès d’une firme turque.

La présence de charançons au sein des grains de blé reste cependant problématique et pourrait être liée à la pratique du stockage à plat sans ventilation.

Les protestations des agriculteurs ont révélé deux autres types de dysfonctionnements récurrents. C’est le cas du retard constaté dans la distribution des semences qui peut occasionner une baisse de rendement.

La demande exceptionnelle en semences de l’automne 2023 est certes liée à la sécheresse du printemps dernier, mais elle montre l’actuelle insuffisance des CCLS concernant leurs capacités d’usinage de semences.

L’importation de stations mobiles d’usinage de semences dans le cadre de l’Anade (ex-Ansej) pourrait permettre à de jeunes entrepreneurs de participer à la production de semences de ferme améliorées.

À ces carences, il s’agit d’ajouter la faible proportion de semis en sec, pourtant seul moyen de semer un maximum de surfaces en céréales. Cette situation structurelle ne peut qu’impacter négativement le potentiel de rendement des cultures avant même qu’elles ne soient implantées.

Stations mobiles d’usinage de semences, ventilation du stockage à plat des grains, lutte contre les charançons des grains ou techniques de semis en sec sont autant de pratiques pour lesquelles subsistent en Algérie des réserves de productivité.

Il est à espérer qu’à l’avenir les salons et foires agricoles, l’information par le biais d’Internet, mais également grâce à une meilleure disponibilité en Algérie de revues agricoles étrangères permettent une plus grande circulation de l’information technique. La filière céréales nationale y a tout à gagner.

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