La galère des étrangers en France n’en finit pas. Un jeune Algérien vit actuellement un véritable calvaire qui illustre le durcissement de la politique d’immigration en France depuis l’arrivée du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau.
Mehdi, âgé de 22 ans, avait pourtant bien réussi ses débuts en France. Scolarisé, diplômé… Tout avait bien commencé, mais c’était sans compter les obstacles administratifs qui ont fini par le rattraper et l’enfermer dans un centre de rétention.
Un « acharnement dicté par un racisme d’État »
Le jeune Mehdi arrive en France à l’âge de 16 ans pour rejoindre son père, médecin gériatre qui « enchaîne les CDD » dans le nord du pays depuis 2015, relate le quotidien L’Humanité.
Il poursuit ses études, obtient un CAP de Service aux personnes et vente en espace rural, et s’implique dans des actions solidaires en faisant du bénévolat aux Restos du cœur et en validant un certificat de compétences de citoyen de sécurité civile.
En dépit de ses efforts, il fait l’objet d’une OQTF, qui sera annulée par le tribunal administratif de Lille en 2021. Une décision qui aurait dû permettre à Mehdi d’obtenir un récépissé avec autorisation de travail, mais la préfecture ne lui a jamais délivré ce document.
Faute de régularisation administrative, il se retrouve en situation précaire, survit avec des petits trafics, et finit par avoir des ennuis judiciaires.
« Il fallait que je me débrouille », dit-il, alors qu’il a été incarcéré à deux reprises et qu’il a tiré un trait sur une formation d’aide-soignant qui lui tenait à cœur.
« C’est le résultat de l’acharnement dicté par un racisme d’État à l’égard des Algériens », dénonce une source proche de Mehdi.
La détresse de l’enfermement en CRA
Pour Mehdi, c’est la descente aux enfers. Depuis l’été 2023, le jeune homme enchaîne détention, assignation à résidence et périodes de rétention dans plusieurs centres administratifs.
Une autre amie proche témoigne : « C’est durant cette période, en décembre 2024, que sa mère, professeure de philosophie en Algérie, est venue lui rendre visite ».
Mais Mehdi est arrêté alors qu’il attend l’arrivée de sa maman à la gare du Nord, à Paris. Il ne la verra que plus tard, lorsqu’elle lui rend visite en rétention.
Après un passage au CRA de Lyon, il est transféré à Vincennes, dans le Val-de-Marne, où il est toujours retenu. En janvier 2025, il est placé à l’isolement suite à une dispute avec un agent du centre. Ne supportant plus les conditions inhumaines de sa rétention, il tente de mettre fin à ses jours.
« Ce jour-là, j’ai tapé à la porte pendant plusieurs heures. Il n’y avait aucune raison que je sois enfermé dans cette pièce. C’était injuste et j’étais désespéré », confie-t-il.
Mehdi sera retrouvé inconscient, hospitalisé en urgence à l’hôpital Cochin à Paris, et placé en coma artificiel pendant plus de 24 h.
Il sera admis dans un service psychiatrique, en raison d’un « risque suicidaire important », mais ni ses réactions aux médicaments psychoactifs ni une infection pulmonaire persistante ne l’empêcheront d’être reconduit en rétention dès le lendemain.
Une semaine plus tard, le 20 janvier dernier, le juge des libertés et de la détention (JLD) ordonne la libération de Mehdi, et ce, après différents vices de procédures et l’incapacité du préfet d’« assurer le rapatriement de l’intéressé vers son pays d’origine ».
Une procédure « systémique depuis la circulaire Retailleau »
Néanmoins, la préfecture de Paris fait appel, et c’est ainsi que la cour d’appel prononce la prolongation de son enfermement dans le même CRA de Vincennes.
« C’est devenu systémique depuis la circulaire d’octobre du ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau », s’indigne l’avocate de Mehdi, Me Nina Galmot.
D’autant que le dossier présenté par la préfecture tait volontairement l’hospitalisation du jeune homme.
Une stratégie qui n’est pas méconnue de la préfecture de Paris. D’après la sénatrice écologiste Anne Souyris, le mal-être des personnes placées en rétention au CRA de Vincennes est sciemment passé sous silence.
Les centres de rétention administrative « pires que la prison »
La situation de Mehdi illustre parfaitement les contradictions du système administratif français :
lorsqu’ils ne peuvent être expulsés, les jeunes étrangers sont enfermés et c’est en train de devenir une norme.
« Beaucoup enchaînent les placements en CRA, alors qu’ils ne peuvent pas être expulsés. Ils font trois mois, sortent et y retournent », ajoute la sénatrice Anne Souyris, décrivant des conditions de rétention inhumaines :
« La plupart de ceux que j’ai rencontrés disent que c’est pire que la prison. Les services médicaux, à Vincennes, m’ont indiqué que 100 % des retenus reçoivent des médicaments pour les aider à dormir. Tout le monde devient fou dans ces lieux… ».
Pour elle, « c’est indigne d’une démocratie », et elle n’est pas la seule à dénoncer cette répression. L’avocate de Mehdi s’inquiète de voir le séjour du jeune homme en CRA se prolonger.
« Il y a peu de chances qu’on le libère », redoute-t-elle, alors que son audience est prévue pour le 23 février, jour de son anniversaire.
« Une mission consulaire est prévue le 26 février. Elle ne devrait pas aboutir. Les délais sont courts et les relations avec l’Algérie rendent la délivrance du laissez-passer nécessaire à son expulsion quasiment impossible », explique Me Nina Galmot.
Et de poursuivre : « Avant janvier 2024, Mehdi aurait été concerné par la clause de protection, supprimée par la nouvelle loi immigration. Mais, désormais, les préfets s’appuient sur de tout petits délits pour invoquer la notion de « menace à l’ordre public » introduite dans la nouvelle législation ».
Il devient clair que la rétention administrative, une mesure (et non une sanction) supposée empêcher les étrangers de fuir après une OQTF, est aujourd’hui détournée à des fins répressives.
« Même sans qu’il y ait une condamnation par la justice, les préfectures utilisent ce prétexte pour la mise en place de plus en plus de mesures d’éloignement », dénonce l’avocate.