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Comment la Banque d’Algérie cherche à capter l’argent qui circule en dehors du circuit bancaire

Comment la Banque d’Algérie cherche à capter l’argent qui circule en dehors du circuit bancaire

Mohamed Loukal, Gouverneur de la Banque d’Algérie, a appelé les banques à « orienter leurs stratégies vers la mobilisation de l’ épargne thésaurisée, à travers plusieurs mesures dont la proposition de prix adéquats et la prise en compte des taux d’inflation ».

Pour la première fois, les autorités monétaires algériennes évoquent donc une question occultée depuis longtemps, celle des taux d’intérêt et de la rémunération de l’épargne.

Les temps changent. Alors que voici encore quelques années, les banques algériennes croulaient sous les liquidités, la situation s’est aujourd’hui complètement inversée depuis 2015 . Dans le sillage de la chute des prix pétroliers et de la baisse des dépôts des particuliers et des entreprises, les autorités monétaires tentent désormais de capter l’épargne des Algériens et s’intéressent de façon croissante à leurs économies cachées dans des bas de laine.

La croissance inquiétante de la circulation fiduciaire

Les déclarations des responsables économiques sur ce thème et les interpellations adressées aux banques commerciales se sont multipliées depuis le début de l’année en cours. Elles interviennent dans le contexte d’une croissance rapide de la circulation monétaire hors banque.

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Alors que la quantité de billets en circulation était estimée à 3206 milliards de dinars en 2013, soit 19,5% du PIB, elle était déjà mesurée, très officiellement, à 4018 milliards de dinars , soit 25% du PIB, par la Banque d’Algérie à fin 2015.

Ce montant a continué à augmenter sensiblement dans la période récente puisque le gouverneur de la Banque d’Algérie l’estimait voici un peu plus d’une semaine à 4780 milliards de dinars ( soit plus de 40 milliards de dollars ) au 31 décembre 2017.

Des évaluations plus précises

L’intérêt croissant porté par les autorités monétaires à la monnaie en circulation en dehors des banques se traduit d’abord par une connaissance plus précise des quantités de monnaie en question. Les estimations très approximatives des dernières années ont cédé la place à un chiffrage volontairement beaucoup plus fin.

À l’occasion de sa dernière intervention publique, le Gouverneur de la Banque d’Algérie a ainsi continué d’affiner son estimation de la circulation monétaire hors banque. Elle s’élèverait précisément à 4675 milliards de dinars à fin 2017.

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Ainsi que M. Loukal n’a pas manqué de le rappeler, la diminution de près de 100 milliards de dinars par rapport à une évaluation précédente est imputable à l’action de la Banque d’Algérie et résulte d’une instruction récente sur la domiciliation des importations qui oblige les opérateurs à provisionner 120% de la valeur des marchandises importées.

Argent thésaurisé et argent de l’informel

À cette connaissance plus précise de la masse monétaire hors banque s’ajoute une évolution sur le plan conceptuel. L’argent thésaurisé par les Algériens n’est pas celui qui finance l’économie informelle.

Pour la Banque d’Algérie, la monnaie en circulation hors banque se répartit « en encaisses transactionnelles et thésaurisation pour un montant estimé entre 1500 et 2000 milliards de dinars auprès des entreprises et ménages, alors que le reste représente la circulation fiduciaire dans l’économie informelle, soit un montant allant entre près de 2680 et 3200 milliards de DA ».

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Cette approche plus précise à une conséquence pratique. La monnaie en circulation en dehors du système bancaire n’est plus renvoyée purement et simplement aux méandres de l’ « économie informelle ». Une partie d’entre elle est une épargne oisive conservée par les ménages ou les entreprises et se trouve donc susceptible d’être captée par le système bancaire.

Un appel à plus de « souplesse »

Comment attirer ces 1500 à 2000 milliards de dinars dans les banques ? Le plus simple est d’abord de supprimer les barrières. La semaine dernière, la Banque d’Algérie a exhorté les banques commerciales à donner davantage de « souplesse » aux opérations de dépôts de fonds et de l’accès à ces dépôts par les épargnants .

Elle appelle donc l’ensemble des banques de la place à cesser d’exiger des justificatifs au-delà de ceux relatifs à l’identité du client en assurant qu’elle a pris ses dispositions pour assurer le contrôle de l’origine des fonds.

Est-ce qu’une telle mesure peut être suffisante pour canaliser l’épargne oisive des Algériens vers les banques ? Certainement pas, même si le ministre des Finances évoquait récemment devant les députés, et sans précisions supplémentaires, des « sommes énormes » déposées dans les banques en faisant allusion aux dépôts effectués lors de l’opération de mise en conformité fiscale. Une opération qui n’a d’ailleurs fait l’objet d’aucun bilan officiel mais dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle a été un échec.

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Les taux d’intérêt en question

C’est ici que devrait intervenir la « proposition de prix adéquats et la prise en compte des taux d’inflation » évoquée dernièrement par le Gouverneur de la Banque d’Algérie. Dans une analyse toujours d’actualité, un universitaire algérien, Nour Meddahi, qualifiait voici quelques temps la différence entre les taux d’intérêt pratiqués sur les crédits (autours de 6,5%) et la rémunération des dépôts (2%) d’ « exorbitante ».

Elle placerait, selon les statistiques de la Banque mondiale, l’Algérie « dans la même catégorie que l’Albanie, l’Arménie ou l’Ouganda ». Un écart encore accentué par le fait que les ressources collectées à vue par les banques publiques ne sont pas rémunérées du tout.

Plus récemment Nour Meddahi revenait à la charge en estimant que ce « spread » est élevé car la rémunération de l’épargne (au tour de 2%) est nettement inférieure à l’inflation (plus de 5%) alors que le taux de crédit est bien supérieur à l’inflation (6,5%).

La situation serait d’ailleurs encore pire dans le cas des banques privées ou l’écart entre les taux d’intérêt créditeurs et débiteurs peut atteindre jusqu’à 7%. Ces dernières pratiquent des taux d’intérêt encore plus élevés que leurs consœurs du secteur public du fait qu’elles n’ont pas accès aux ressources des déposants institutionnels, comme Sonatrach ou les caisses de retraites et rémunèrent les dépôts à terme à des taux compris entre 3 et 5% . Les taux d’intérêt créditeurs des banques privées atteignent couramment des niveaux qui se situent entre 9 et 11,5%.

Conclusion de M. Meddahi : « Les banques algériennes par manque de concurrence font facilement beaucoup de bénéfices sur le dos des épargnants et des entrepreneurs ».

Une situation qu’il qualifie de « problème numéro un du secteur bancaire algérien » et qui aurait des conséquences extrêmement néfastes en décourageant l’investissement des entreprises. Particulièrement ceux des entreprises privées qui n’ont pas accès aux taux bonifiés pratiqués ces dernières années par une institution comme le FNI en faveur des plus grandes entreprises publiques.

Vers une meilleure rémunération de l’épargne

Dans la période la plus récente et en dépit de ce constat sévère, les banques commerciales algériennes ne sont cependant pas restées complètement inactives face à la réduction des dépôts de leur clientèle.

Leur principale parade a consisté dans une amélioration modeste de la rémunération de l’épargne depuis 2014. Les livrets d’épargne des banques publiques proposent des rémunérations, pour une épargne à vue qui se situe actuellement un peu au-dessus de 2% ( 2,5% pour le Livret d’épargne populaire de la CNEP) .

Les banques privées développent une démarche d’attraction de l’épargne plus « agressive » que celle de leurs consœurs privées avec des taux qui atteignent, par exemple, 3,25% pour le livret d’épargne de Natexis voire 4% dans le cas de celui d’Algeria Gulf Bank .

Cette tendance est encore plus sensible pour la rémunération de l’épargne à terme. Un banquier explique : « Alors que les taux d’intérêt sur les dépôts à un an étaient encore d’un niveau moyen à peine supérieur à 1% en 2013, ils se situent aujourd’hui, pour les conditions de base, entre 2, 5 et 3,5%. Mais ils peuvent atteindre couramment des niveaux égaux ou légèrement supérieurs à 5% dans le cadre de négociations sur les dépôts réalisés par les entreprises ou de gros épargnants particuliers ».

Cette démarche, qui n’a enrayé que partiellement la chute des dépôts, a eu pour principale conséquence de modifier leur structure en faveur des dépôts à terme. Les dépôts à vue qui représentaient encore 57% de l’épargne bancaire en 2013 sont ainsi passés à seulement 41% de l’épargne collectée en 2016.

Il reste encore de la « marge » pour les banques commerciales. Les Algériens dans un contexte de tensions inflationnistes croissantes cherchent à protéger leur épargne contre la hausse des prix.

L’emprunt d’État lancé en 2016 avait donné l’exemple en proposant des rémunérations supérieures à 5%. Il est temps d’améliorer significativement la rémunération de l’épargne. On devrait entendre parler davantage des taux d’intérêt dans les mois qui viennent .

 

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