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Comment l’Algérie transforme son vaste Sahara en grenier à blé

Comment l’Algérie transforme son vaste Sahara en grenier à blé

Par branex / Adobe Stock
Du blé.

Qui aurait pu penser il y a 50 ans que le Sahara algérien puisse se transformer en région céréalière ? C’est le cas aujourd’hui avec la récolte en cours. Une récolte qui mobilise des moyens logistiques exceptionnels déployés par l’Office algérien des céréales (OAIC).

Des investisseurs étrangers comme l’Italien Bonifiche Ferraresi et algériens comme Soummam cultivent du blé sur de vastes étendues.

Le premier à Timimoun, il a bénéficié d’une concession de 36.000 hectares pour produire du blé dur, et le second sur une surface de 2.000 hectares à Ouargla.

Rarement en Algérie de tels champs ont été moissonnés. À Ouargla, les moissonneuses-batteuses avancent face à des océans de blé semblables à ceux du bassin parisien : des étendues de blé avec de lourds épis, serrés les uns contre les autres. Après leur passage, les engins de récolte laissent une masse de paille encore jamais vue. Quant aux rendements, ils peuvent dépasser les 70 quintaux contre seulement 17 au Nord de l’Algérie.

Le Sahara algérien serait-il devenu le nouveau grenier à blé de l’Algérie ? Nombreux sont ceux qui restent dans le mythe de « l’Algérie grenier de Rome » quand ce n’est pas celui de grenier de l’Europe. Cependant, à voir le nombre de champs circulaires irrigués par d’immenses rampes-pivot dans le Sahara, tout semble laisser croire à un renouveau. Des universitaires parlent de « fronts pionniers » au Sud.

Pour récolter et transporter les masses de grains produites vers les principaux centres de consommation du Nord, parfois distant de 1.500 km, les moyens logistiques mis en œuvre par l’Algérie sont impressionnants. L’OAIC a dépêché vers les wilayas du Sud des convois d’une centaine de camions et d’engins de récolte.

À Adrar, Menéa, Biskra ou Timimoun, les scènes de moissonneuses-batteuses avançant dans les champs et de norias de camions allant vers les centres de collecte se succèdent.

Début avril, le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Youcef Cherfa a annoncé que « 260 centres de proximité de stockage des céréales seront réceptionnés d’ici juin prochain » dans la région Sud.

Des grains sont parfois stockés à même le sol en plein air au niveau de centres de collecte temporaires. Au fil des arrivages des camions remplis de grains en provenance des champs, ces centres prennent l’aspect de champs de dunes. Des dunes constituées non pas de sable, mais de grains de blé.

Années 1980, installation des premiers pivots dans le Sahara algérien

L’idée de transformer le Sahara algérien en un eldorado agricole date des années 1980 et s’est nourri des expériences menées en Arabie Saoudite.

Les premiers champs de blé sont apparus à Gassi-Touil, à El Oued, à El-Menia, à Zelfana et dans la région du Touat-Gourara-Tidikelt.

Une stratégie qui a parfois suscité l’étonnement à l’étranger. En 1986, le géographe français Daniel Dubost évoquait « un paradoxe évident à vouloir retirer du désert les denrées alimentaires qu’on a grande peine à obtenir dans les régions plus favorisées. »

Le niveau de production de blé provenant du Sud reste à relativiser. Il est estimé à 3 millions de quintaux contre 2 millions de quintaux pour la seule wilaya de Constantine. Cependant, l’irrigation permet de garantir un niveau de production et donc un approvisionnement en semences en cas de sécheresse au Nord. Progressivement, il s’est développé un réel savoir-faire accompagné d’un maillage logistique qui permet de relier les exploitations au réseau électrique, de trier et traiter les semences et de stocker les grains.

Cultiver au Sud n’est pas sans risques. En avril dernier, dans le désert des Nemencha, au Sud de Khenchela, une violente tempête a arraché le film plastique des serres et a fait verser les tiges de blé alors qu’une récolte prometteuse se profilait à l’horizon.

Des investisseurs témoignent des difficultés liées aux distances et, dans certaines zones, au manque de couverture Internet. Il suffit d’une panne de quelques jours du système d’irrigation pour que la culture soit menacée si les pièces de rechange restent indisponibles.

Sud, le pari de l’eau

Produire du blé dans le désert, c’est faire un pari sur la disponibilité en eau. Sans eau, point de culture. Il y a deux ans, un ingénieur de Ménea qui s’est lancé dans l’aventure conseillait aux futurs investisseurs de bien se renseigner sur la profondeur de la nappe d’eau avant de signer pour l’obtention d’une concession agricole. Cette profondeur peut varier de 20 à 70 mètres. Or, les coûts de fonctionnement des pompes électriques sont proportionnels à la distance de la nappe. Les montants les plus élevés des factures d’électricité à payer à la Sonelgaz ne proviennent pas des moteurs électriques permettant de déplacer les immenses rampes pivots, mais des pompes immergées dans les forages.

Au Nord, à Tiaret ou dans la plaine de Rmila (Khenchela), les agriculteurs savent ce que signifie la caractéristique de « zone rouge » utilisée par les services de l’hydraulique. Dans ces zones, tout prélèvement d’eau dans la nappe est alors interdit temporairement, de même que tout nouveau forage, même si l’agriculteur a bénéficié d’une autorisation. C’est l’évolution du niveau de la nappe qui détermine les quantités d’eau à prélever. La priorité est accordée avant tout à l’adduction en eau potable des villes.

Au Sud, point de telles zones rouges, les quantités d’eau souterraine restent abondantes même s’il faut parfois aller les chercher à 70 mètres de profondeur comme à Adrar, voire à 500 mètres comme à Guettrani, cette zone de captage qui approvisionne en eau potable la ville de Béchar et ses environs.

Partout dans le Sahara algérien, investisseurs et agriculteurs forent le sol, non pas à la recherche de pétrole, mais d’eau. Des ouvriers de la société Sonatrach spécialisés dans le forage se sont reconvertis et ont créé leur propre entreprise. Vu d’un hublot d’avion, les régions d’El Oued, Menéa ou Adrar laissent voir des centaines de champs circulaires.

L’objectif est « d’élargir les surfaces irriguées à plus d’un million d’hectares », selon le ministère de l’Agriculture.

En Arabie Saoudite, la production de blé cultivé dans le désert a été arrêtée à la suite de l’épuisement des réserves souterraines en eau. En Algérie, ces réserves sont estimées à 30 milliards de mètres cubes.

En 2013, les données du satellite Grâce de la Nasa ont permis de révéler qu’une partie de ces nappes est renouvelée suite à l’infiltration des pluies.

Entre 2003 et 2010, celle-ci a été estimée à 1,4 km³ par an. Cependant, cette recharge ne représentait, en 2013, que 40 % des prélèvements. Or, ces prélèvements ne cessent d’augmenter.

Des études quantifient le niveau des infiltrations à partir de l’Atlas saharien. Il existe des techniques de recharge artificielle des nappes. Les services de l’hydraulique détiennent un réel savoir-faire dans le cas des barrages à infero-flux. Il s’agit de barrages souterrains qui bloquent l’écoulement d’eau sous le lit des oueds asséchés. Reste à trouver les moyens à déployer à large échelle pour récupérer les masses d’eau des crues d’oueds. Ces eaux se perdent dans les sables et finissent dans des Chotts, des lacs salés asséchés en été. Les pouvoirs publics tablent également sur la réutilisation des eaux usées après traitement.

L’université à la rescousse de la céréaliculture au Nord

Le coût de la céréaliculture au Sud reste élevé. Il est admis que si au Nord, en culture intensive, le seuil de rentabilité est de 20 quintaux, il est de 40 quintaux au Sud.

Un niveau de rendement qui est dépassé par les investisseurs les plus performants au Sahara, et cela, avec la seule aide technique d’un encadrement algérien. Ce résultat montre les capacités techniques existantes. Des capacités qui, mises au service des zones céréalières du Nord, pourraient contribuer à augmenter les rendements moyens estimés à 17 quintaux.

Pour cela, les défis sont nombreux : réduire les terres laissées en jachère, restaurer la fertilité des sols et utiliser les techniques de semis permettant de mieux conserver l’humidité du sol. Des estimations font état de seulement 25 % de surfaces de céréales désherbées. Autre défi, trouver le moyen pour que l’élevage du mouton n’entre pas en concurrence avec la culture du blé. Au savoir-faire des agriculteurs, il s’agit d’apporter les derniers résultats de la recherche agronomique.

À la demande du président Abdelmadjid Tebboune, l’université est progressivement mise à contribution. En témoigne la présence en septembre 2024 du Secrétaire général du ministère de l’Agriculture et du Développement Rural, Hamid Bensaâd à la 5ᵉ édition du séminaire national de développement de la filière céréales organisé à l’université de Constantine. Il a rappelé que « la conjugaison des efforts se fait par l’introduction des technologies modernes et l’association des experts, des professionnels et de l’université en tant que incubatrice de projets innovants en agriculture », selon la Radio algérienne.

À raison de 3,5 millions hectares de terres emblavées chaque année au Nord, l’amélioration des rendements de seulement quelques quintaux pourrait avoir une incidence sur le niveau des quantités de blé récoltées en Algérie. Une stratégie qui pourrait reposer sur deux greniers pour l’Algérie : l’un au Nord et l’autre au Sud.

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