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Comment les contentieux liés à la colonisation continuent de peser sur la relation entre l’Algérie et la France

Comment les contentieux liés à la colonisation continuent de peser sur la relation entre l’Algérie et la France

La loi de février 2005 sur « les bienfaits de la colonisation » a provoqué la mort du projet du Traité d’amitié entre l’Algérie et la France, révèle Bernard Bajolet, ancien ambassadeur de France en Algérie et ancien patron de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure).

« Pas de quoi fouetter un chat! », me dirait après coup Chirac, qui pourtant avait fait abroger cette disposition l’année suivante. Mais trop tard : cet incident servit de prétexte à l’enterrement du projet de traité d’amitié envisagé à un moment. Prétexte, car le pouvoir algérien n’était pas mûr pour établir une relation aussi ambitieuse avec la France. Je tirais un enseignement de cet épisode : pour assainir les relations entre les deux pays, il fallait tourner résolument la page du passé, non pas en l’occultant, mais en l’assumant, dans la dignité, c’est à dire en reconnaissant les faits. En ôtant cette épine du pied des relations entre les deux pays, celles-ci pourraient prendre un cours plus serein », conseille-t-il dans un nouveau livre, «Le soleil ne se lève plus à l’Est, mémoires d’Orient d’un ambassadeur peu diplomate », paru cette semaine aux éditions Plon à Paris.

Selon lui, la loi controversée a été voté par « une poignée de parlementaires noctambules ».

« Tragédie inexcusable »

Il rappelle le geste de son prédécesseur Hubert Colin de Verdière qui avait qualifié, en février 2005, de « tragédie inexcusable » les massacres de mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata. « Inexcusable, car on ne pouvait pas trouver de circonstances atténuantes à ses auteurs (les colons et l’administration coloniale). Mais comme elle était inexcusable, il n’y avait pas lieu de présenter des excuses. Subtil chef d’œuvre d’un diplomate expérimenté ! », souligne-t-il. Il revient sur son déplacement à l’université de Guelma où il avait évoqué « les épouvantables massacres de 1945 » et ajouté que « le temps de la dénégation était terminé ». Il révèle n’avoir pas demandé l’accord « des autorités parisiennes » pour une telle initiative se contentant de les informer du déplacement et de la signification qu’il entendait lui donner.

Sur place, il s’est recueilli devant le monument érigé à la mémoire des victimes algériennes et sur les tombes d’européens « dont le massacre par les algériens avait déclenché la terrible répression coloniale ». «Les autorités locales ne s’opposèrent pas à ma demande. Bien plus : elles m’accompagnèrent au cimetière européen. Ce travail de mémoire doit en effet être bilatéral. Pour le moment, c’est l’ancienne puissance coloniale qui a fait l’essentiel du chemin, et c’est normal. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien à faire du côté algérien. La France donne accès, désormais, à la quasi-totalité des archives de la période coloniale (tout en refusant de céder les originaux, car il s’agit « d’archives de souveraineté »). Il reste à l’Algérie d’ouvrir celles du FLN. D’autre part, s’il convient de dénoncer les injustices du système colonial, il ne faut pas donner à croire que l’histoire franco-algérienne a commencé en 1830. Il y aussi un avant. C’est la raison pour laquelle j’avais, pour ma part, émis des réserves quant à la restitution à l’Algérie d’un canon, appelé par les Algériens « Baba Merzoug » et pour nous « La Consulaire » », dit-il.

« Les gestes diplomatiques sans contrepartie sont aussitôt oubliés »

Il écrit que Baba Merzoug a été fondu, « semble-t-il », par les Vénitiens pour le Dey d’Alger avec une portée de 4800 mètres ( d’une longueur de 7 mètres, Baba Merzoug a été en fait conçu à Diar El Nhès, à la Casbah à Alger, en 1542 par un fondeur Vénitien à la demande de Pacha Hassan pour protéger la côte d’Alger). « Son rôle était d’éloigner les flottes européennes qui tentaient de reprendre les matelots réduits en esclavage (par les ottomans). En 1683, alors que l’amiral Duquesne menaçait Alger, le canon servit à exécuter le consul, Jean Le Vacher, d’où le nom qu’il reçut. En 1830, l’amiral Duperré saisit le canon et l’expédia à Brest (…) L’épisode du malheureux Le Vacher n’excuse aucunement la colonisation ni les souffrances qu’elle a causé. Mais il témoigne qu’il y a une histoire antérieure qu’il n’y a aucune raison d’occulter. Une restitution pure et simple n’avait pas lieu d’être pour moi. L’expérience tend d’ailleurs à démontrer que les gestes diplomatiques sans contrepartie sont aussitôt oubliés. Ils ne sont pas appréciés à leur juste valeur, puisqu’ils n’ont rien coûté », proclame-t-il.

Bajolet ajoute qu’il a fait valoir « ces arguments » auprès des présidents Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande pour que Baba Merzoug ne soit pas restitué à l’Algérie (l’Algérie a officiellement demandé la restitution de Baba Merzoug en juillet 2012). « Les Algériens n’ignoraient pas ma position sur cette affaire symbolique, pour la simple raison que je ne la leur avais pas cachée. Lorsque je me rendis pour la première fois à Alger en ma qualité de patron de la DGSE, un de mes homologues algériens m’offrit un livre – d’ailleurs assez objectif- sur le fameux canon », se souvient-il.

« Un blocage vis-à-vis des harkis »

Bajolet souligne que les Algériens reçoivent « avec égard » les pieds noirs qui reviennent voir les lieux où ils ont vécu, « et même les anciens appelés du contingent ». « Ils entretiennent, dans la mesure de leurs moyens, les cimetières français, que j’avais dû faire regrouper. En revanche, un blocage existe toujours vis-à-vis des harkis et de leurs descendants, dont les autorités ne veulent pas entendre parler. Leur abandon par la France en 1962 est à mes yeux une grande honte, dont je me souviendrais en Afghanistan, même si la comparaison entre les harkis et les interprètes utilisés par nos armées a ses limites », écrit-il.

Des médias français ont rapporté que l’armée française a abandonné les interprètes afghans après son début de retrait en 2012 (ces auxiliaires sont considérés par les Taliban comme des traîtres). Selon l’ancien ambassadeur à Alger, les algériens auraient tendance à attribuer « leurs retards et leurs échecs » à la France coloniale. « La question de la mémoire restait aussi vivace à l’époque Boumediène. Il y avait à cela deux raisons : le groupe au pouvoir avait le sentiment que la France n’était pas allée au bout du chemin; il avait besoin, pour conforter sa légitimité discutable, de continuer à s’appuyer sur la geste fondatrice du FLN. De façon paradoxale, j’étais, lors de mon retour en Algérie (en 2006), plus enclin à l’indulgence vis-à-vis de ce rappel des responsabilités coloniales que je ne l’étais trente ans plutôt », confie-t-il.

Conception absolue de la colonisation

L’ambassadeur a nuancé sa position après avoir lu des textes de Alexis de Tocqueville qui, dans un rapport au Parlement en 1847, recommandait au gouvernement français d’éviter l’ émergence « de quelque pouvoir algérien que ce fût, y compris celui qui commençait à s’esquisser autour d’Abdelkader ». « L’homme de la démocratie en Amérique (un ouvrage célèbre de Tocqueville) n’était pas celui de la démocratie en Algérie. Dans sa colonie nord-africaine, la France décida d’exercer toutes les responsabilités et n’en délégua aucune aux « indigènes ». De ce fait, lorsque l’Algérie devint indépendante, la France se retira avec toute l’administration qu’elle avait mise en place. Les nouvelles autorités, qui n’en avaient aucune expérience, ne purent s’appuyer que sur une culture et des structures qui leur avaient réussi pour mener leur guérilla contre la France, mais ne convenaient pas pour diriger un État », détaille-t-il.

Il estime que les difficultés rencontrées par les autorités algériennes, après 1962, trouvaient en partie leur origine dans « un conception absolue de la colonisation de la part de la France ».

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