Économie

Crise de la semoule : la gendarmerie enquête sur la destination du blé dur subventionné

Les minoteries sont dans le collimateur du gouvernement. La gendarmerie nationale a ouvert une grande enquête depuis la fin du mois de ramadhan sur leur fonctionnement, apprend TSA de sources sûres.

L’enquête, qui est toujours en cours, porte précisément sur la destination du blé dur subventionné, utilisé essentiellement dans la fabrication de semoule et de pâtes alimentaires.

C’est, précisent selon nos sources, suite à la grave pénurie de semoule sur le marché aux premiers jours du confinement sanitaire, dans la seconde moitié du mois de mars, que les autorités ont décidé de se pencher sur ce dossier.

Le blé cédé presque à la moitié de son prix

L’enquête confiée à la gendarmerie devra déterminer l’usage fait par les minoteries des quantités de blé dur mis à leur disposition par l’État à prix réduit.

Le blé dur coûte sur le marché environ 4 000 dinars le quintal, mais il est cédé aux minoteries à 2280 dinars. La différence est supportée par l’État, une forme de subvention directe afin de maintenir les prix de la semoule, produit de base de la consommation des ménages algériens, à la portée de tous.

La semoule, issue de la transformation du blé dur, constitue néanmoins la matière première pour la fabrication d’autres produits, comme les pâtes alimentaires qui, elles, ne sont pas concernées par la subvention.

« Il n’est pas interdit de transformer la semoule en pâtes », remarque le patron d’une minoterie, en soulignant que certaines minoteries importent leur propre blé pour fabriquer des pâtes alimentaires, alors que d’autres utilisent le blé subventionné.

Toutefois, certaines minoteries préfèrent fabriquer davantage de pâtes que de vendre la semoule en l’état. La récente crise de la semoule a révélé les dysfonctionnements de cette filière, gangrénée par la corruption et les passe-droits.

Outre la fabrication de pâtes alimentaires, les gendarmes enquêtent aussi le taux d’extraction de la semoule du blé dur. Les autorités estiment que le taux d’extraction fournie par certaines minoteries est bas, ce qui signifie que le blé dur fourni aux transformateurs ne fournit les quantités de semoule attendues.

Une filière juteuse

La filière est plus que juteuse. Environ 500 minoteries activent en Algérie et il a fallu l’intervention du gouvernement pour freiner leur prolifération. Nombre d’entre elles étaient dans le collimateur depuis de nombreuses années.

« Nous n’allons pas laisser se reproduire l’histoire des minoteries », avait asséné en décembre 2017 le Premier ministre Ahmed Ouyahia, aujourd’hui emprisonné. « Nous avons atteint la saturation », avait décrété son prédécesseur Abdelmalek Sellal quelques mois auparavant.

Cet extrait d’un document du ministère de l’Agriculture datant de 2015 est explicite à ce propos : « Les quantités de céréales mises sur le marché ne sont pas arrêtées en fonction des besoins de consommation des ménages, mais plutôt pour satisfaire les plans de production des unités de transformation dont la capacité de trituration est nettement supérieure aux besoins du marché. »

La saturation de la filière était en fait constatée dès 2008, année où les minoteries en activité trituraient déjà le double des besoins nationaux. En juillet 2019, le Premier ministre Noureddine Bedoui avait décidé de donner un coup de pied dans la fourmilière, fermant d’un coup 45 minoteries et suspendant le directeur général de l’Office interprofessionnel des céréales (OAIC). Après une accalmie de près d’une année, la tempête souffle de nouveau sur la filière.

L’Algérie compte parmi les plus gros importateurs mondiaux de céréales. Les dernières statistiques des Douanes indiquent que les importations de céréales ont représenté 629,5 millions de dollars, soit 32.5% de la facture d’importation de produits alimentaires au cours du premier trimestre de l’année en cours.

L’essentiel des importations de céréales est constitué de maïs et surtout de blé tendre, les agriculteurs nationaux couvrant presque les besoins du pays en blé dur et en orge. Ces derniers font néanmoins face à un problème paradoxal, la difficulté de placer leur production auprès de l’OAIC, faute d’espaces de stockage suffisants.

Les soupçons de spéculation et de tricherie ne concernent pas que le blé dur. Ils s’étendent à presque tous les produits subventionnés, dont le blé tendre, utilisé pour les farines panifiables, et la poudre de lait censée être destinée exclusivement à la production du lait en sachet plafonné à 25 Da le litre.

Ces malversations figurent parmi les arguments avancés par les adeptes de subventions plus ciblées. Le blé tendre subventionné est détourné par certaines minoteries qui le vendent sur le marché comme aliment de bétail.

Le prix d’un quintal de blé subventionné revient à 1285 dinars, alors que son prix réel est compris entre 3000 et 3500 DA. L’Algérie importe d’importantes quantités de blé tendre, alors que ses besoins n’excèdent pas les 4,5 millions de tonnes par an. Une partie des quantités importées est revendue comme aliment de bétail.

Les plus lus