
Il y a cinquante-cinq ans, le 18 octobre 1970, Krim Belkacem était retrouvé mort dans un hôtel à Francfort, en Allemagne.
Artisan majeur de la Révolution algérienne, signataire en chef des accords d’Évian, Krim Belkacem laisse derrière lui une énigme qui demeure entière jusqu’à ce jour : celle de son assassinat.
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Figure de proue du mouvement national, ce rebelle avant l’heure (il a rejoint le maquis dès 1947), originaire d’Aït Yahia, près de Drâa El Mizane (wilaya de Tizi-Ouzou), fut, dès les premières heures de l’insurrection, l’un des stratèges de la guerre de Libération.
Chef historique de la Wilaya III, membre influent du CCE puis du GPRA, il participa à la mise en place des structures politico-militaires de la Révolution avant de diriger la délégation algérienne lors des négociations d’Évian, qui allaient consacrer l’indépendance en 1962.
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Ce parcours hors du commun d’un homme dont le destin tragique hante la mémoire nationale fait que le moindre témoignage sur lui est un précieux fragment d’histoire.
Ancien ministre de l’Intérieur et des collectivités locales et ancien membre du MALG (ministère de l’Armement et des Liaisons générales, ancêtre des services de renseignements algériens), Dahou Ould Kablia, aujourd’hui âgé de 92 ans, l’a connu à Tunis à la fin des années 1950. Il apporte un témoignage émouvant sur celui dont le « fond idéologique » l’a profondément marqué.
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« C’est à Tunis que j’ai connu le mieux Krim Belkacem »
« Par le fait de ma participation au comité de travail sur les négociations, j’ai été désigné parmi les membres conseillers de la délégation à Évian. J’y suis allé en tant que conseiller, et là, j’ai eu des rapports beaucoup plus précis avec Krim Belkacem, qui était le chef de la délégation. Quand il revenait des négociations en fin de journée, il nous réunissait à l’hôtel : “Voilà ce qui s’est dit, qu’en pensez-vous ?” », a-t-il raconté au micro de la chaîne Berbère Télévision à l’occasion de la célébration, samedi, au cimetière d’El Alia, du 55ᵉ anniversaire de la disparition du chef historique.
« J’étais avec Kasdi Merbah, en particulier, parmi les membres de la délégation », précise-t-il. « Ce que je voulais dire surtout, c’est que j’ai conservé quelques archives de ces négociations, même si elles ne sont pas complètes. Ce qui m’a profondément marqué, c’est un document que j’ai pu obtenir : le procès-verbal in extenso de l’ensemble des négociations. La grosse et bonne surprise, c’est que c’est Krim Belkacem qui avait le privilège de prendre la parole le plus souvent, bien qu’il ait à ses côtés des hommes extrêmement compétents comme M’Hamed Yazid, Mohamed-Seddik Benyahia ou Ahmed Boumendjel. »
Pourquoi lui ? « Parce qu’il avait ce fond idéologique que les techniciens ne pouvaient pas avoir. Il portait toujours en lui cette âme de dignité, de justice, de souveraineté et de liberté. Et ça, ça m’a profondément marqué, et c’est ce souvenir que je voulais rappeler », témoigne encore Dahou Ould Kablia, impliqué dans la préparation des dossiers en perspective des négociations des Accords d’Évian.
« J’étais impliqué dans la préparation des dossiers militaires et pétroliers, car nous disposions, au MALG, de sources d’informations extrêmement précieuses provenant de militaires algériens travaillant avec nous, y compris le secrétaire général. J’ai été le premier à témoigner du concours de Salah Bouakouir, qui nous a fourni beaucoup d’éléments sur le dossier du pétrole. Nous étions donc très renseignés sur les enjeux de ces négociations», confie encore le président de l’association des anciens du MALG.
brillant intellectuel et polytechnicien, Salah Bouakouir, originaire d’Aïn El Hammam sur les hauteurs de Tizi-Ouzou, était un cadre de premier plan au sein du Gouvernement général. Mais il fournissait, dans la discrétion absolue, de précieux renseignements au MALG. Son rôle dans la Révolution reste toutefois controversé.
Un souvenir ancré avant même la rencontre
Dahou Ould Kablia raconte qu’il avait entendu parler de Krim Belkacem bien avant son affectation à Tunis.
« Dans l’année 1952, nous baignions à Mascara dans un climat politique fortement marqué par l’esprit de résistance des éléments de l’OS et du MTLD », se souvient-il. « À Mascara, nous recevions déjà, dans les années 1950, la visite de militants (…). J’ai pu rencontrer un jour Larbi Ben M’hidi ; on m’a signalé le passage de Boussouf que je n’ai pas vu. Mais c’est beaucoup plus tard, quand j’étais étudiant en France, que nous avons commencé à vivre intensément la Révolution et à connaître ses principaux cadres et dirigeants. Les noms qui revenaient souvent étaient évidemment ceux de Krim Belkacem, Bentobbal, Boussouf, bien avant Ferhat Abbas. Nous connaissions aussi Abane Ramdane, pas physiquement, mais nous savions ce qu’il faisait».
En 1956, lors de la grève des étudiants algériens, Dahou Ould Kablia quitte la France pour rejoindre le maquis dans la région de Mascara.
« Quelques temps plus tard, lorsque le GPRA devait être institué, Abdelhafid Boussouf, alors colonel de la Wilaya V (Oranie), demanda à toutes les zones sous son commandement d’envoyer leurs cadres les plus instruits vers Oujda pour les intégrer dans les structures de renseignement et de transmissions. C’est là que j’ai commencé à connaître plus intensément la vie de nos dirigeants», poursuit-il dans son témoignage.
« Par la suite, je suis allé à Tunis, au ministère du MALG, où j’occupais un poste de chef de service. Là, je voyais souvent Krim Belkacem. Bentobbal venait fréquemment au bureau de Boussouf pour tenir des réunions. Mais c’est lors des préparatifs des négociations d’Évian que j’ai vraiment connu Krim Belkacem. »