Politique

Dans les coulisses de la crise au Parlement

Le bras de fer entre Said Bouhadja et la majorité parlementaire boucle sa première semaine. Le président de l’APN résiste et refuse de jeter l’éponge. Les députés du FLN, appuyés par le RND maintiennent la pression. Ils ont décidé tout simplement de paralyser le pouvoir législatif. Il faut savoir que le gel des activités de l’APN conduit inéluctablement à l’arrêt des plénières au niveau du Sénat. La raison est simple : les projets de lois passent d’abord par l’APN.

Qui veut le départ de Bouhadja?

Tout a commencé mercredi 26 septembre. Le secrétaire général du FLN Ould Abbas réunit ses députés au siège du parti à Hydra à Alger pour discuter du sort de Said Bouhadja. A la fin de la réunion, il jure qu’il n’est pas question de destitution, mais quelques messages sont adressés à cette personnalité devenue subitement encombrante et indésirable.

« Il n’y aura pas de place au sein des institutions de l’État ni au FLN pour ceux qui n’appliquent pas les instructions du président», a déclaré Ould Abbas à la presse. Avant de mettre de garde : « le président est une ligne rouge».

Au début, le RND s’est tenu à distance de cette « crise interne du FLN». Mais le parti d’Ahmed Ouyahia a fini par joindre à la mêlée pour appuyer son allié stratégique, qui est le FLN.

Jeudi 26 septembre, Ouyahia, reçoit Ould Abbas. La rencontre n’a pas lieu au siège du RND à Ben Aknoun sur les hauteurs d’Alger, mais au Palais du gouvernement. C’est suite à ce face à face que l’ordre a été donné au chef du groupe parlementaire du RND de s’allier avec le FLN contre Bouhadja.

Le soir même, l’alliance est actée à la faveur d’une rencontre organisée à Alger entre des députés du RND, du FLN, du MPA et de TAJ. Le lendemain Bouhadja est donné comme partant par ses adversaires. « Bouhadja va démissionner dans les heures qui suivent », a annoncé, le jour même, une source gouvernementale à TSA.

Effectivement dans un enregistrement diffusé sur Ennahar TV, Bouhadja annonçait son intention de démissionner. Pourquoi a-t-il reculé ? « Le vendredi j’ai été contacté par une source à la présidence qui m’a demandé de partir, mais deux jours après le même intermédiaire m’a ordonné de rester », a justifié Bouhadja à ses proches.

Pourquoi le président de l’APN n’a-t-il pas exécuté le premier ordre venu de la présidence ? Bouhadja a confié à ses proches collaborateurs que « le même jour, (Ndlr : vendredi), il a « reçu un appel d’une autorité sécuritaire lui suggérant de ne pas démissionner ».

Bouhadja est convaincu qu’Ahmed Ouyahia « a été forcé de suivre le FLN ». « Il m’a d’ailleurs présenté ses excuses », a confié le président de l’APN à ses soutiens.

Ce jeudi, et au lendemain du gel total des activités de l’APN, Bouhadja campe toujours sur la même position. « Je n’ai pas reçu l’ordre de démissionnes », a-t-il dit à ses proches. C’est le statuquo.

Mais qui peut donner l’ordre à Bouhadja de se retirer de la présidence de l’APN ? L’appel de la présidence de la république ne suffira pas à priori. Dans les coulisses, Bouhadja affirme à qui veut l’entendre qu’il a été « nommé par une autorité sécuritaire ».

Que reproche-t-on à Bouhadja?

Ni le RND, ni le MPA encore moins TAJ n’ont expliqué d’une façon claire leurs motivations pour le départ de Bouhadja. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre les trois partis n’ont à priori rien à reprocher au président de l’APN.

Ils n’ont fait que rejoindre la grogne dirigée par le FLN, forcés ou de leur plein gré. Ce qui est certain, c’est que ces trois formations n’ont jamais caché leur allégeance au président Bouteflika. Elles n’auraient jamais pris le risque de se mettre en situation de confrontation avec Bouhadja, sans avoir été instruits de le faire. L’implication du ministère des Affaires étrangères dans cette crise conforte cette thèse.

Au sein du FLN, plusieurs griefs sont retenus contre Bouhadja. Il y a tout d’abord l’éviction du puissant secrétaire général de l’APN, suite à un différend lié à la prise en charge à Paris du protocole de Bouhadja.

Mais peut-on réellement prendre le risque de déstabiliser une institution de la république à cause d’un limogeage ?

Selon un député du FLN, Bouhadja « aurait refusé d’appliquer l’ordre d’un conseiller de la présidence qui l’a instruit de réintégrer l’ancien SG ».

Certains cadres du FLN vont plus loin et accusent Bouhadja « de corruption », en évoquant « les rencontre dans une villa dans un quartier huppé à Alger entre l’un de ses fils et des hommes d’affaires ».

Des doutes ont été émis aussi sur l’allégeance de Bouhadja au président de Bouteflika. Selon ses adversaires, « le président de l’APN aurait, dans le sillage des présidentielles de 2019, pris attache avec Ali Benflis et Mouloud Hamrouche ».

Que cache réellement cette fronde ?

Il est difficile de répondre à cette question, tant la situation parait irréelle. Les députés du FLN, instruits par la direction de leur parti, ont créé une situation inédite. Tout comme la riposte de Bouhadja.

En 2004, le retrait de Karim Younes de la tête de l’APN a eu lieu dans le calme, alors qu’il avait toute l’aptitude de terminer son mandat de 5ans. A l’époque, M. Younes avait soutenu Ali Benflis, candidat malheureux à la présidentielle.

Quatorze ans après, Bouhadja, qui à priori n’est pas une personnalité politique puissante, résiste sur fond d’une crise institutionnelle. « Peut-être qu’au sommet de l’État, le consensus sur le départ de Bouhadja n’existe pas », concède une source à TSA

En tout cas plusieurs questions restent sans réponse ? Notamment en ce qui concerne, l’arrière-plan de cette crise. Bouteflika a-t-il voulu provoquer une crise institutionnelle pour reporter les présidentielles et prolonger son mandat au-delà de 2019, comme le prétendent certains analystes ?

Notre source écarte catégoriquement cette thèse : « nous serons dans l’obligation d’organiser des élections législatives dans les trois mois qui suivront la dissolution de l’APN. Si Bouteflika dissout l’APN en octobre, les législatives auront lieu en janvier. Donc nous avons largement le temps d’organiser dans les délais les présidentielles ».

Derrière la fronde existe-t-il une volonté de provoquer une révision de la constitution ? « Non il n’y aura pas révision constitutionnelle », assure notre source.

Si la crise perdure, l’APN sera-t-elle dissoute ? Il faut savoir que dans le camps des frondeurs personne n’est pressé de voir Bouhadja quitter son poste. « Qu’il prenne tout son temps, défie l’un de ses adversaires. Nous ne sommes pas pressés mais il finira par partir ».

« Tout est possible »

Moins confiante, une autre source concède que « tout est possible ». « Le président peut intervenir à la dernière minute au profit du Moudjahid Bouhadja ». « Le président s’est toujours positionné au côté des Moudjahidines, c’est une conviction », rappelle notre source. L’implication de l’Organisation nationale des Moudjahidine qui a apporté ce jeudi son soutien à Bouhadja pourrait constituer un tournant dans cette crise. En attendant, dans les coulisses, les chefs de fils des partis de la majorité tentent de rassurer leurs députés confus et sans doute inquiets pour leurs postes, que « le parlement ne sera pas destitué ».

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