Politique

Déchéance de nationalité : les « bidoon » du Golfe et les autres

L’Algérie a lancé la procédure d’amendement du code de la nationalité prévoyant notamment la déchéance de leur nationalité algérienne de certains ressortissants nationaux établis à l’étranger  qui se rendraient coupables de faits graves.

Les nouvelles dispositions ne sont qu’au stade de projet mais suscitent déjà un tollé. À cause surtout de l’ambiguïté des actes susceptibles d’être sanctionnés de la déchéance de la nationalité, ce qui pourrait selon plusieurs observateurs ouvrir la porte à des abus.

L’accusation d’atteinte à l’unité nationale a par exemple valu à de nombreux activistes du Hirak ou de simples internautes des séjours en prison.  Le projet suscite aussi des appréhensions, car il risque de créer, même dans des proportions réduites, de nouveaux cas d’apatridie dans le monde, un phénomène que la communauté internationale s’efforce plutôt à réduire.

Il y aurait actuellement 3,9 millions d’apatrides dans le monde, selon le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR). Il ne s’agit que des personnes recensées, le chiffre réel serait de dix millions, selon la même source.

L’apatridie a fait l’objet d’une première convention internationale en 1954, relative au statut des apatrides, puis d’une seconde en 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Ces deux conventions sont appuyées par d’autres textes ultérieurs, comme la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention européenne sur la nationalité et la Convention européenne sur la prévention de l’apatridie en cas de succession des États.

Un apatride, c’est un individu sans nationalité. Au sens de la convention de 1954, « le terme apatride désigne une personne qu’aucun État ne considère comme son ressortissant par application de sa législation ».

Les apatrides reconnus actuellement comme tels sont principalement les habitants des territoires en guerre ou sous occupation et dont le statut définitif est toujours objet de conflit, comme les Palestiniens, les Sahraouis, les Rohingyas de Birmanie, certains habitants des républiques de l’ex-URSS et de l’ex-Yougoslavie.

Mais il y a d’autres cas créés par des situations juridiques, historiques ou politiques. Les plus connus sont les « bidoon » de certains pays du Golfe, notamment le Koweït, les Émirats arabes unis, le Qatar et le Bahreïn.

500 000 apatrides dans le Golfe ?

Ce sont pourtant des autochtones, mais qui n’ont pas fait de demande de nationalité au moment de la création de ces États dans les années 1960 et 1970. Aujourd’hui, ils n’ont aucune nationalité, ce sont donc des apatrides. « Bidoon » signifie en arabe « sans ». C’est l’abréviation de l’expression « bidoun djinsia », sans nationalité.

Avant leur constitution en État en 1971, les Émirats étaient un ensemble de tribus bédouines. Les autorités du nouvel État avaient mis en place des règles pour permettre aux habitants du pays d’acquérir la nationalité.

Par exemple, ceux qui y résidaient depuis au moins 1925 pouvaient l’obtenir dans l’immédiat, les autres, ceux arrivés en 1940, devaient attendre 20 ans. Mais pour des raisons principalement sociologiques (illettrisme, éloignement, manque de moyens de communication…), beaucoup ne l’avaient pas fait, explique Courrier International.

« Le concept même de “nationalité” est étranger à la plupart des résidents ou apparaît comme un fardeau administratif sans trop de sens ni d’importance », écrit le journal français. Combien sont-ils à se retrouver aujourd’hui dans cette situation ? 100 000 personnes, rien qu’entre les Émirats et le Koweït, selon la même source.

Ils seraient encore plus nombreux selon d’autres sources, comme l’organisation américaine de défense de la démocratie et des droits de l’homme ADRHB, qui estime leur nombre à 100 000 au seul Koweït, à 500 000 dans toute la région du Golfe. Citant des militants locaux, ADRHB indique que le nombre de « Bidoon » au Koweït pourrait être de 240  000.

Cinquante ans après, il est difficile pour les enfants de ceux qui avaient omis de demander la nationalité émiratie ou koweitienne de l’obtenir. Les autorités ont un argument qui dans une certaine mesure tient la route : il n’est pas facile pour les demandeurs de prouver qu’ils ne sont pas de nouveaux migrants qui se sont débarrassés de leurs documents. En attendant, ils vivent en apatrides sur leur propre terre, ne disposant même pas du statut d’étranger résident.

Boumediene et les exilés algériens en Irak

Il faut néanmoins relativiser tout cela concernant le cas actuel de l’Algérie. Même si le projet du gouvernement va à son terme, il ne va pas créer des situations similaires à celle des pays du Golfe ou des territoires en conflit, comme la Palestine ou le Sahara occidental.

Quand bien même la disposition controversée viendrait à être appliquée, elle pourrait toucher au pire quelques individus, au vu de la gravité des cas prévus pour la déchéance de nationalité.

Le problème risque de se poser sur le plan de l’image pour le pays, même avec seulement quelques cas de nouveaux apatrides créés. Certains redoutent que l’ambigüité du texte ne serve de nouvel outil pour tenter de faire taire toutes les voix discordantes à l’étranger, mais il est sans doute très invraisemblable d’en arriver là.

Des opposants qui agissent contre lui à partir de l’étranger, ce n’est pas nouveau pour le pouvoir algérien. Mais jamais une telle option n’a été envisagée, d’autant plus que les dits opposants étaient pour la plupart des acteurs, pour certains majeurs, de la guerre de Libération nationale.

Le sociologue algérien Nacer Djabi raconte même dans le journal Al Quds-Al-Arabi que les autorités algériennes dans les premières années de l’indépendance, quoique autoritaires, ont tenu à ce que les opposants exilés ne se retrouvent pas à la merci des pays d’accueil.

Citant le défunt défenseur des droits de l’homme, Youcef Fathallah, Djabi écrit que Houari Boumediene aurait piqué une colère noire devant l’ambassadeur d’Algérie en Irak qui croyait bien faire de se plaindre auprès des autorités irakiennes qui venaient d’accueillir des opposants algériens en provenance de Paris, juste après le coup d’État contre Ben Bella.

Boumediene aurait ordonné à son ambassadeur d’octroyer des passeports et même de l’argent à ces opposants, lui expliquant que ce sont des citoyens algériens qu’il faut prendre en charge pour les mettre à l’abri de toute tentative de les utiliser contre l’Algérie par des États étrangers hostiles.

Mais depuis Boumediene, le pouvoir a considérablement changé en Algérie et les nouveaux décideurs pourraient être tentés de déchoir des Algériens de leur nationalité. En tout cas avec ce nouvel avant-projet de loi, ils ont déjà stigmatisé une partie de la population algérienne, ce qui est intolérable.

Les plus lus