search-form-close
Derrière l’écran, ce n’est pas James Bond : réflexion sur l’IA, le mythe et l’asservissement

Derrière l’écran, ce n’est pas James Bond : réflexion sur l’IA, le mythe et l’asservissement

Par Igor Omilaev sur Unsplash
IA

Toufik Hedna est architecte-urbain algérien installé en France. Dans cette contribution, il explique les dangers de l’IA sur l’humain.

TRIBUNE. Derrière ce que l’on appelle aujourd’hui « IA : Intelligence Artificielle », ne cherchez pas une figure charismatique, un génie en costume cintré, bien coiffé, respirant le parfum de la Silicon Valley. Non. Derrière cette vitrine se trouve souvent un esprit marginal, parfois obsessionnel, souvent solitaire. Un profil technique, austère, dont la passion n’est ni la séduction ni la communication, mais le calcul, l’abstraction, l’efficacité. Et le résultat ? Un système d’algorithmes puissants fondé sur des enchaînements logiques, dénués de toute forme de conscience.

L’intelligence artificielle, malgré son nom séduisant, ne pense pas. Elle ne rêve pas. Elle ne juge pas. Elle exécute. Ce que l’on nomme « intelligence » dans ce contexte n’est qu’une opération binaire : zéro et un (0 et 1). Des séries de calculs qui simulent des comportements humains. Ce que l’on perçoit comme de la réflexion n’est que la production mécanique d’une probabilité statistique.

L’âge du simulacre

Depuis quelques années, l’engouement pour les IA génératives, comme ChatGPT ou Midjourney, a pris des allures de révélation prophétique. On y voit une intelligence nouvelle, une révolution cognitive. On se frotte les mains dans les labos, les salons tech, les plateaux télé. Pourtant, à y regarder de plus près, la réalité est moins futuriste que fantasmatique.

Luc Julia, co-créateur de Siri, le développe avec clarté dans son ouvrage IA génératives, pas créatives : « Nous sommes à la veille de la désillusion ». Et pourquoi ? Parce que ce que nous appelons intelligence n’est qu’un enchaînement probabiliste de mots. Des algorithmes qui calculent la suite la plus plausible. Sans compréhension. Sans conscience. Sans volonté.

De la logique pure, pas de la pensée

Le fonctionnement des IA modernes repose sur le traitement massif de données et la prédiction statistique. Leur socle est un code binaire, leur moteur un réseau de neurones artificiels, leur énergie une puissance de calcul industrielle. Rien n’est pensé. Tout est produit, généré. Et l’on confond cette production fluide avec une pensée authentique.

L’humain projette sur ces systèmes des qualités qui ne leur appartiennent pas. Il y voit de l’intelligence là où il n’y a qu’imitation. C’est cette projection, et non la machine elle-même, qui crée la confusion.

Du gadget à l’asservissement doux

Mais à quoi cela sert-il, tout cela ? À répondre plus vite. À produire plus. À automatiser ce que l’on faisait hier à la main, avec de l’effort. Ce que l’esclave faisait pour son maître, la machine le fait désormais sans se plaindre. Et même avec un sourire généré.

Or la véritable illusion, c’est de croire que cette machine pense. Elle ne l’est pas. Elle répond, résume, suggère, optimise. Et peu à peu, elle nous désactive : elle affaiblit nos réflexes intellectuels, nous déshabitue de penser, nous installe dans un confort cognitif trompeur.

La paresse humaine, moteur du marché

L’IA répond à un besoin profond : celui de fuir l’effort. Ce que l’humain déléguait autrefois à d’autres humains : serviteurs, esclaves, valets, il le confie aujourd’hui à des algorithmes. La mémoire, l’orientation, l’organisation du quotidien : tout a été mécanisé.

La nouveauté, plus insidieuse, c’est la délégation de la pensée elle-même. L’IA propose une réponse avant même que la question ne soit clairement formulée. Elle devine, anticipe, reformule, corrige. Elle remplace l’élan de réflexion par une suggestion prête-à-penser. Et nous l’acceptons.

La guerre, version intelligente ?

Quand cette technologie n’est pas vendue comme assistant personnel ou outil de confort, elle l’est comme arme. L’âge de la « guerre intelligente » a déjà commencé. En Chine, on parle d’une armée de robots, de guerre autonome. En Palestine, les opérations militaires israéliennes s’appuient sur des systèmes d’IA, développés en partie grâce à des géants comme Microsoft. Une jeune ingénieure de cette entreprise a récemment dénoncé cette complicité dans une vidéo devenue virale.

On nomme cela « efficacité ». Mais que reste-t-il de l’humanité quand la machine choisit la cible, déclenche le tir, et archive la mort ? La même logique qui aide à gérer un agenda sert à optimiser une campagne de bombardement. L’intelligence ? Ou la froideur mathématique d’une logique sans éthique ?

Une dystopie douce, en col blanc

Le danger de l’IA, ce n’est pas un robot Terminator. C’est l’usure lente de notre vigilance. C’est la confiance aveugle dans une technologie qu’on ne comprend pas. C’est l’adoption sans question de systèmes qui pensent à notre place. Ce n’est pas une dictature brutale. C’est une dystopie douce. Polie. Habillée en col blanc. Signée d’un logo d’entreprise.

Et à force de confondre confort et progrès, de croire qu’une réponse rapide vaut une réflexion lente, nous courons vers une servitude volontaire. L’asservissement par la machine. Par nous-mêmes.

Penser encore, penser mieux

Le terme même d’intelligence artificielle est une illusion. Un slogan. Une imposture sémantique. Luc Julia le dit avec franchise : « Ce n’est pas intelligent. C’est statistique ». Et pourtant, nous continuons à rêver.

Mais rêver ne signifie pas cesser d’inventer. Il ne s’agit pas d’arrêter le progrès, de condamner la machine, ni de diaboliser la technique. Ce serait un contresens. L’innovation reste précieuse. Ce que nous devons interroger, en revanche, c’est la manière dont elle nous est vendue : comme une promesse creuse, une magie, un soulagement de la pensée. L’IA ne doit pas devenir un produit de consommation qui annule l’esprit critique.

C’est là l’urgence : retrouver une hauteur de vue. Refuser le marketing de cette prétendue intelligence, comme on refuserait la caricature d’un visage humain. Revenir à la lenteur de la pensée. À l’effort de comprendre. À la nécessité de douter.

Penser encore. Penser mieux. Car penser est un acte humain. Et cela, aucune machine ne pourra jamais le faire à notre place sans que nous perdions quelque chose d’essentiel : Notre Intelligence.

*Architecte-Urbain

  • Les derniers articles

close