La télévision algérienne a diffusé, dans son journal de 20 heures du jeudi 28 septembre, des images choquantes sur « les années du terrorisme » en Algérie. Des images que l’ex-RTA avait soigneusement cachées durant les années 1990 pour alimenter le discours trompeur du « tout va bien sécuritaire » de l’époque. Hier, elles ont été diffusées de manière brutale, sans même un message d’avertissement pour permettre aux parents d’éloigner les enfants de l’écran.
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Soutenues par une musique sinistre, pour appuyer sans doute la recherche de l’émotion chez le public, les séquences sont accompagnées d’un commentaire curieusement explicite : « Ces images provoquent la chair de poule, ou peut-être vont-elles ouvrir les plaies une nouvelle fois. Cela nous rappelle une période douloureuse passée durant laquelle les Algériens ont vécu des moments terribles de sang et de destruction ».
Mais pourquoi l’ENTV cherche-t-elle à « ouvrir » les plaies en 2017 ? Le prétexte tout trouvé est que la télévision d’État « célèbre » le 12e anniversaire du vote par référendum de la Charte pour la Paix et la Réconciliation. Pour les dix ans du référendum sur la Charte, en 2015, l’ENTV n’avait pas fait le même tapage et la même propagande lacrymale. C’est que le contexte polico-social de l’époque était diffèrent de celui d’aujourd’hui.
Les images de l’ENTV, brutalement montées, expriment ce qui est recherché derrière cette « réactivation » de la puce de la peur. Les séquences de victimes déchiquetées par les attentats à l’explosif ou égorgées sont entrecoupées par des discours du président Abdelaziz Bouteflika faisant campagne pour « la Réconciliation nationale » et pour « le pardon » général.
Quel bilan pour « la Réconciliation nationale » ?
Autrement dit, les techniques soviétiques de l’embrigadement psychologique sont toujours aussi vivaces au 21, Boulevard des Martyrs. Pourquoi illustrer les paroles présidentielles par les images de victimes ensanglantées ? D’abord, cette méthode ne sert pas le Président lui-même.
C’est tellement mal fait et tellement flagrant que cela n’a aucun impact sur l’opinion publique. Il n’y a qu’à voir et lire les réactions de dénonciation sur les réseaux sociaux et les déclarations de réprobation des partis.
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Ensuite, le fait de montrer les images atroces des victimes est une manière de mettre à nue la barbarie des terroristes qui été pardonnés, sans aucun procès, par le texte de Réconciliation nationale, mis en branle d’une manière collective et sans débat à partir de 2005, en complément du dispositif de « la concorde civile » de 1999. Ce matin, beaucoup d’Algériens se sont sans doute posé la question suivante : qui a osé pardonner à ces barbares ?
Bouteflika a parrainé politiquement les deux processus. Mais, à ce jour, ni l’ENTV ni le ministère de la Justice ni le gouvernement ni encore la Présidence de la République n’ont dressé et publié un bilan détaillé de l’application de la Charte pour la Paix et la Réconciliation.
Quel est le nombre des terroristes, ayant les mains « souillées de sang », qui ont été jugés par les tribunaux ? Quel est le nombre exact de ceux qui se sont rendus aux autorités ? Combien d’armes ont été récupérées ? Qu’en est-il de « l’argent » des maquis ? Des questions qui ne trouvent pas de réponses à ce jour.
Tous les spécialistes étaient unanimes à dire, lors de la publication de la « Charte pour la Paix», que sans justice et sans vérité, aucune Réconciliation ne peut réussir. L’un des effets inévitables des images brutales de l’ENTV est de rappeler que l’impunité a couvert le processus algérien de Réconciliation, car comment expliquer que des hommes qui ont brûlé, égorgé, violé et volé n’ont pas été inquiétés par les juges sous prétexte de « pardon collectif » ? Et comment expliquer que le dossier des disparitions forcées ne soit toujours pas réglé ?
Commande politique
Il y a une autre lecture au « coup médiatique » de l’ex-RTA. C’est de raviver le sentiment de la peur auprès de la population. Le message n’est même pas subtil. Il est direct : la population doit accepter les choix économiques et politiques actuels, ne pas demander de changement et se taire ; sinon, ça sera le retour de la violence et des nuits de cauchemar et de doute.
Un bémol toutefois : l’ENTV n’a plus l’audience nécessaire pour provoquer une peur-panique dans le pays. Mais, l’intention de perturber, sous prétexte de rappeler de « douloureux souvenirs » est bien là.
Ce n’est évidemment pas l’œuvre ni l’initiative des responsables de la télévision publique. Cette commande politique a pour objectif aussi de répondre à l’opposition et aux personnalités politiques qui ont appelé à l’application de l’article 102 de la Constitution relatif à « l’impossibilité totale » pour le président de la République d’exercer ses fonctions « pour cause de maladie grave et durable ».
Un message implicite
Le message implicite de l’opération télévisuelle est de suggérer que « la stabilité et la paix » (éléments de langage fort présents dans ce qu’a été diffusé par l’ENTV) sont l’œuvre du président Bouteflika à lui seul alors que le processus a commencé à l’époque de Liamine Zeroual en 1995.
Devant le Conseil de la nation, mercredi 27 septembre, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a loué « la direction éclairée » du Président Bouteflika. « L’Algérie demeurera à jamais reconnaissante au président Bouteflika de l’avoir ramenée à la paix, à la sécurité, à l’unité et à la fraternité », a déclaré Ouyahia. Et si la campagne pour le 5e mandat pour Bouteflika était lancée ?
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