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« Des figues en avril », un témoignage tendre et émouvant sur l’immigration algérienne en France

« Des figues en avril », un témoignage tendre et émouvant sur l’immigration algérienne en France

Ce film, c’est la grande histoire racontée à travers la lorgnette. Celle de Messaouda, 82 ans, qui narre depuis son petit appartement de l’île Saint-Denis, en banlieue parisienne, les affres de l’exil et les écueils qui l’accompagnent.

« On a mangé des figues de barbarie en avril », se souvient la vieille femme, les mains plongées dans un carton de photos, se souvenant de son voyage en Australie où elle a rendu visite à son fils, Nadir Dendoune.

Depuis, le réalisateur, qui peut se targuer d’être le premier Franco-algérien à avoir gravi l’Everest, est revenu de son exil et en a raconté un autre. Celui de sa mère, Messaouda, qui a quitté sa Kabylie natale à 25 ans pour rejoindre son mari, Mohand, aujourd’hui en maison médicalisée.

Caméra à la main, il filme sa mère, répondant à ses questions en kabyle, elle qui l’est « à 100% » dit-elle.

Les mots de la vieille femme se mêlent à ses regards et à ses silences. Elle est née en juin 1936, « quand les fèves mûrissent » selon la confession de sa propre mère, et a été élevée « avec les chèvres », là-bas, dans les montagnes de la Kabylie.

Elle arrivera en France en 1960, avec ses quatre filles, huit ans après s’être mariée avec Mohand en Algérie. « Il voulait se marier ici (en France) » quand il est arrivé en 1950, mais son frère l’incite à épouser une fille du pays, au risque qu’il « oublie l’Algérie », son pays, relate-t-elle, ayant été l’heureuse élue.

Pour la jeune femme qu’elle était, sortie tout droit des montagnes, la transition est frontale, éprouvante : « On ne parlait pas français, on ne connaissait rien, on ne sortait pas », confie-t-elle. Le récit de Messaouda est poignant en ce qui reflète l’histoire déchirante du déracinement, mêlée à la pauvreté de ces familles immigrées.

La douleur de l’exil

La grand-mère, que l’on voit à plusieurs reprises passer la serpillière ou faire la vaisselle dans son appartement, a mis un point d’honneur à ce que ses enfants eurent de quoi manger et furent toujours habillés proprement, à défaut de pouvoir leur offrir des vêtements de marque, ceux que lui réclamaient, avec l’innocence de leur âge, ses enfants. Il n’y a pas beaucoup d’argent à la maison et un franc est un franc.

Elle se souvient avoir écumé les rayons à la recherche de vêtements bon marché et de nourrir sa famille, du mieux qu’elle put, reproduisant les plats traditionnels : couscous, boulettes de viande, pâtes faites maison, crêpes et sfenj.

« Je travaillais à l’intérieur et lui, à l’extérieur », souffle-t-elle, évoquant son mari, qu’elle appelle affectueusement « Monsieur Dendoune ». Il a quitté sa terre et ses animaux en 1950 pour endosser le costume de l’ouvrier, de l’autre côté de la Méditerranée.

De son « Monsieur Dendoune », Messaouda en est fière. « Jamais je ne l’abandonnerai, même s’il ne sait plus qui je suis », lâche-t-elle, lui qui aujourd’hui, à 90 ans, a la mémoire qui a été rongée par la maladie d’Alzheimer. Son homme pour toujours n’est plus vraiment là. « Ni en Algérie, ni en France, ni dans une tombe », souffle-t-elle, le cœur serré.

Recevant désormais la visite de ses enfants et petits-enfants, la vieille femme brise le silence de son quotidien en allumant le poste télé ou en fredonnant les morceaux de Slimane Azem, chantant la nostalgie de l’exilé à qui manque terriblement son Algérie chérie.

Des larmes couleront d’ailleurs sur la figure de Messaouda, sous les notes du poète : les souvenirs éclatent et la nostalgie devient, d’un coup, trop lourde à porter. « On a tout laissé. Jamais on n’aurait imaginé finir ici, on aurait voulu vivre sur nos terres, maintenant, on est sur la terre des Français. Mais on a eu peur, car nos dirigeants sont incompétents et ne nous respectent pas », glisse-t-elle.

À travers la figure de sa mère, c’est toute une génération de femmes émigrées qui émergent de l’ombre et auxquelles Nadir Dendoune a, d’une certaine façon, permis d’avoir voix au chapitre.

« C’est un film qui ne revendique rien, mais il vient combler un vide, a d’ailleurs souligné le réalisateur, présent sur la scène du cinéma Le Louxor, à Paris, mercredi 4 avril, pour la sortie de son film. « On a toujours raconté cette immigration à travers des histoires d’hommes, à travers le travail. Nos mères ont été les invisibles. »

Après la fin du film, auquel ont assisté des femmes et des hommes dont le récit de Messaouda reflète leur propre histoire, des jeunes et des moins jeunes, mais aussi des personnes curieuses de découverte, après s’être plongées dans le quotidien, les confessions et les souvenirs de la vielle femme durant près d’une heure, on ne peut oublier ses larmes ni les paroles de Slimane Azem, résonnant encore en tête : « L’Algérie, mon beau pays, je t’aimerai jusqu’à la mort. » Des paroles qui font office de promesse éternelle pour la vieille femme. Et pour tellement d’autres, aussi.

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