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Diaspora algérienne : des ambitions encore timides et des moyens trop modestes

Diaspora algérienne : des ambitions encore timides et des moyens trop modestes

En dépit de quelques avancées récentes, la politique des autorités algériennes en direction de la diaspora manque encore de souffle et peine à mettre en place concrètement les outils de son développement. Les enjeux et le potentiel sont pourtant considérables.

En reprenant les derniers chiffres de la Banque mondiale (BM) sur les transferts financiers réalisés par la diaspora algérienne, la plupart des commentateurs nationaux ont juste oublié une chose importante. L’Algérie est, dans le contexte régional, le seul pays où existe encore un double marché des changes. Les 2,1 milliards de dollars évoqués par la BM à propos de l’année 2018 concernent en réalité uniquement les transferts qui transitent par le circuit officiel des banques publiques. En gros, il s’agit essentiellement des transferts « captifs » des caisses de retraites étrangères.

Une grande partie des montants transférés échappe donc aux radars officiels et à ceux de la Banque Mondiale. Avec une « prime de change », qui reste au-dessus de 50% au cours des dernières années, le marché parallèle de la devise exerce une attraction irrésistible pour la communauté émigrée algérienne. Quels sont les montants transférés par ce canal ? On ne dispose d’aucune évaluation fiable. Probablement au moins autant que les 2 milliards de dollars du marché officiel.

En fait les chiffres mentionnés à propos de pays dont la diaspora est d’une taille comparable à la nôtre nous renseignent surtout sur un potentiel et l’importance des enjeux. Le Maroc capte 7,5 milliards, le Liban 8 milliards. L’Égypte est première de la région Mena, avec 20 milliards de dollars de fonds envoyés par sa diaspora au pays.

Une prise de conscience encore insuffisante

La prise de conscience de ce potentiel, qui est d’ailleurs loin de se mesurer uniquement en termes financiers, par les autorités algériennes est encore largement insuffisante. Dans une période récente, le gouvernement a néanmoins commencé à accorder une attention plus soutenue à la diaspora algérienne. Elle se traduit par un discours plus élaboré ainsi que des mesures concrètes qui ont commencé à être annoncées et, pour certaines d’entre elles, à être mises en œuvre au cours de l’année écoulée.

Voici tout juste, un an Ahmed Ouyahia mettait à profit une visite en France dans le cadre du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français (CIHN) pour inaugurer un nouveau langage en direction des Algériens installés à l’étranger. Il trouvait des accents neufs pour évoquer leur appartenance à la communauté nationale. « Lorsque l’Algérie va mal, vous souffrez, et c’était le cas lors de la tragédie nationale. Lorsque votre pays se porte bien ou pas trop mal, vous en êtes fiers ».

L’Algérie, soulignait le Premier ministre, « a besoin de la diaspora pour ses compétences scientifiques et techniques, et pour servir de tête de pont pour ses exportations en France et ailleurs dans le monde ». Il appelait ses membres à s’organiser, en étant « unis et solidaires ».

Dans la foulée, Ahmed Ouyahia annonçait pour la première fois une série de mesures d’une portée significative en direction de la communauté nationale établie à l’étranger.

Franc succès pour un modeste quota de LPP

La première mesure, très revendiquée, concerne l’acquisition de logements en Algérie. Les membres de la communauté émigrée peuvent désormais accéder aux différents dispositifs de promotion immobilière, y compris ceux qui relèvent des pouvoirs publics.

Le succès, déjà très spectaculaire rencontré par cette opération selon les chiffres officiels, renseigne certainement sur le niveau des attentes et l’importance de son potentiel économique. Lancée en février dernier, elle enregistrait déjà plus de 16.000 demandes au mois de juin pour le Logement Promotionnel Public (LPP) selon le ministère de l’Habitat. Et ce, pour à peine 2247 logements disponibles dans tout le pays. Les prix des logements, qui devront être payés en devises, sont pourtant loin d’être donnés. Celui d’un F3 a été fixé à 58 750 euros, alors que les F4 et F5 coûteront respectivement 73 400 et 88 000 euros.

« D’autres opérations de réalisation de logement de cette formule pourraient voir le jour ». C’est ce qu’a promis Abdelhwahid Temmar, ministre de l’Habitat , en tournée en France, afin d’expliquer aux Algériens sur place les modalités pour bénéficier d’un logement de cette formule. M. Temmar a, toutefois, ajouté que son développement restait tributaire de « la disponibilité foncière ».

L’Ansej et la Cnac ouverts aux émigrés

Autre avancée importante : Ahmed Ouyahia a annoncé, il y a an, que les jeunes de la communauté algérienne en France qui souhaitent s’installer en Algérie pourront bénéficier des dispositifs d’aide à la création de micro-entreprises.

Le Premier ministre indiquait que les compatriotes de la communauté émigrée qui souhaitent investir en Algérie « pourront bénéficier de tous les régimes d’avantages ouverts aux investisseurs nationaux résidents », en relevant que « l’Algérie a besoin du savoir-faire, des compétences et des capitaux de ses enfants expatriés pour son développement économique ».

Au printemps dernier, le ministère du Travail définissait des « critères d’éligibilité » aux dispositifs de l’Agence nationale de soutien à l’emploi de jeunes (Ansej) et de la Caisse nationale des assurances-chômage (Cnac), la structure de financement, les délais de remboursement et le processus de validation des dossiers.

L’Ansej et la Cnac doivent développer un service électronique qui donnera aux jeunes porteurs de projets la possibilité d’une inscription en ligne leur permettant de suivre l’évolution de leur dossier.

Par ailleurs, un portail sur le site du ministère du Travail est en préparation et sera exclusivement destiné à informer la communauté nationale à l’étranger de toutes les opportunités et de tous les avantages d’investissement existants.

Plus concrètement, au début de cette semaine les membres d’une délégation de jeunes algériens émigrés ont présenté au ministre de l’Intérieur leurs projets d’investissement. Ils concernent notamment, selon un compte-rendu de l’agence officielle, « l’exploitation de terres agricoles en vue d’exporter leurs produits à l’avenir, outre l’attribution d’assiettes foncières pour la réalisation de structures hôtelières dans les régions des Hauts Plateaux et du Sud, ainsi que des terrains, à travers les wilayas, destinés à la gestion des déchets (collecte, tri et recyclage) ».

Certains membres de cette délégation ont déploré « l’absence d’espaces réservés aux parcs d’attraction et de loisirs au niveau des grandes wilayas », soulignant la nécessité « d’accorder davantage d’intérêt à l’investissement dans les domaines de la médecine et de la santé, ainsi que la création de centres pour personnes aux besoins spécifiques ».

Les agences de la BEA se font attendre

Il y a un an, Ahmed Ouyahia avait également annoncé la création « au courant de 2018 » d’une filiale de la Banque extérieure d’Algérie (BEA), en France au profit des ressortissants algériens qui désirent en être clients, et au service du flux commercial entre l’Algérie et la France, précisant que les procédures pour cette ouverture « sont en cours de mise en place ».

Quelques jours plus tard, le Gouverneur de la Banque d’Algérie, Mohamed Loukal, indiquait que cinq agences de la BEA seront installées dans des villes françaises choisies en fonction de la densité de la communauté algérienne.

Pour l’instant, le processus de création de cette filiale semble prendre plus de temps que ce qui était prévu par les autorités algériennes.

Même si la communication officielle soulignait encore tout récemment les progrès réalisés « grâce à l’accès aux services de la Caisse nationale des retraites » ainsi que « les efforts consentis dans le cadre des facilitations administratives au niveau des aéroports et des ports et les orientations données aux ambassades, en vue d’accélérer la délivrance des passeports », la politique nationale en direction de la diaspora semble clairement souffrir encore de la timidité de ses ambitions et de la modestie des moyens qui sont mis à sa disposition.

Des leçons à tirer de l’expérience marocaine

Dans le domaine de la consolidation de la relation avec la diaspora, il y a certainement quelques leçons à tirer de l’expérience marocaine. Chez notre voisin de l’Ouest, un ministère délégué lui est consacré. Il est la courroie de transmission entre les différents départements et administrations basés au Maroc et les antennes à l’étranger. Sur son site internet, on y détaille sa stratégie : culturelle, administrative, financière, règlement de contentieux, etc.

Le système financier est un autre instrument de poids dans l’attractivité du Maroc. L’épargne des Marocains de l’étranger est convoitée, car elle pèse beaucoup dans les réserves de change. En 2018, elle a été de 7, 5 milliards de dollars.

Le domaine crucial des transports n’est pas oublié et les autorités marocaines ont largement ouvert l’espace aérien et maritime à la concurrence et au low-cost international. Les intervenants y sont 2 à 3 fois plus nombreux que chez nous et différents comparateurs de prix annoncent souvent des coûts de transport réduits de moitié par rapport à ceux qui sont pratiqués par les opérateurs installés en Algérie.

Un ciblage des entrepreneurs

Dans la période récente, les autorités marocaines semblent cibler particulièrement les investisseurs marocains à l’étranger.

En 2017, la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM ) a procédé au lancement d’une plateforme virtuelle destinée aux « Marocains entrepreneurs du monde » dans le but de permettre aux entrepreneurs marocains résidant à l’étranger de disposer d’une région virtuelle dédiée à l’échange avec ceux qui opèrent au Maroc. L’objectif étant d’encourager les chefs d’entreprises marocains résidant à l’étranger à investir dans leur pays d’origine et à contribuer au développement des échanges économiques entre le Maroc et d’autres pays.

À travers le lancement de cette plateforme, la CGEM veut également faciliter le développement des exportations marocaines sur les marchés étrangers, mettre à profit son réseau en matière de diplomatie économique mais aussi contribuer au développement du Maroc en valorisant l’image du Maroc à l’international.

D’après les chiffres avancés par la CGEM, les investisseurs marocains à l’étranger font partie d’une communauté de plus de cinq millions de personnes résidant dans près de 120 pays, dont plus de 300.000 entrepreneurs, et comptant 400.000 titulaires d’un Bac+5 parmi lesquels quelques 7.000 médecins et chercheurs…

Un capital humain et un réseau de compétences dont les Marocains n’ont visiblement pas l’intention de se passer. Dans le cas de l’Algérie, le potentiel représenté par la diaspora est d’une taille comparable, voire même supérieure. Les autorités algériennes ne semblent malheureusement pas avoir encore pris clairement la mesure des atouts que la diaspora peut représenter pour notre pays.

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