Économie

Dossier Anadarko – Total : des experts algériens conseillent la prudence

Les autorités algériennes s’en seraient certainement bien passées dans la période actuelle. Elles vont devoir gérer dans les mois à venir un « dossier Anadarko » très sensible par ses implications multiples sur la situation et les perspectives économiques de notre pays. Une gestion qui pour l’instant s’est traduite par des déclarations qui apparaissent à la fois comme « prématurées », « contradictoires » et « maladroites » selon le point de vue des experts algériens interrogés par TSA .

Les actifs algériens d’Anadarko, qui a été un des partenaires privilégiés de Sonatrach depuis près d’un quart de siècle, figurent dans la corbeille de l’accord signé début mai par le groupe pétrolier français Total avec l’américain Occidental Petroleum. L’accord porte sur la cession des actifs africains de la compagnie américaine Anadarko dans le cadre de l’acquisition de cette dernière par Occidental Petroleum.

La décision de la compagnie américaine a pris de court les autorités algériennes. Anadarko avait annoncé en mars qu’il souhaitait reconduire ses contrats de production en Algérie et y renforcer son activité. Le groupe qui produit près de 260.000 barils/jour avait demandé l’extension de tous ses contrats d’exploitation d’hydrocarbures en Algérie. Le premier contrat portant sur des blocs situés dans le bassin de Hassi Berkine arrivait à échéance en 2023.

Un dossier très sensible

Beaucoup d’anciens dirigeants de Sonatrach insistent sur le caractère très sensible de ce dossier et sur la nécessité pour les autorités algériennes de le traiter avec la plus grande prudence.

C’est un ancien PDG de la compagnie nationale, Nazim Zouiouèche, qui juge tout d’abord les déclarations des responsables algériens et les nombreux commentaires qui les accompagnent « prématurées » dans la mesure où les « accords évoqués n’ont pas encore été complètement finalisés et ne le seront selon toute vraisemblance qu’en 2020 ».

Le dossier est en outre sensible et doit être traité avec la plus grande prudence parce que, ainsi que le rappelle Tewfik Hasni, ancien vice-président de Sonatrach, « Anadarko détient d’importants actifs en Algérie où il figure comme le premier partenaire de Sonatrach en contribuant à la production du quart de la production journalière de brut de l’Algérie ».

Des déclarations « maladroites» et contradictoires

Dans une première réaction, le ministre de l’Énergie Mohamed Arkab avait d’abord laissé entendre, dimanche 26 mai, que l’Algérie s’opposerait au rachat par Total des actifs d’Anadarko en Algérie. Interrogé en marge de la cérémonie d’installation du nouveau PDG de Sonelgaz, M. Arkab avait d’abord démenti tout accord entre Total et Anadarko. « Il n’y a aucun accord entre les groupes Total et Anadarko », avait-il affirmé avant d’ajouter que « l’Algérie ne le permettrait pas ».

« Nous avons une bonne relation avec Anadarko et nous allons faire tout pour préserver les intérêts de l’Algérie », avait-t-il également déclaré ajoutant qu’il n’était pas exclu de recourir au « droit de préemption » pour empêcher le rachat des actifs d’Anadarko par le groupe pétrolier français.

Mais dès le lendemain de cette déclaration, le ministre algérien changeait de ton, donnant la nette impression de faire marche arrière : « Sonatrach cherchera un bon compromis », a-t-il expliqué, tout en ajoutant que la compagnie pétrolière nationale « doit entretenir de bonnes relations avec les partenaires étrangers pour développer ses programmes ».

Pour Tewfik Hasni il s’agit clairement de déclarations « maladroites» qui illustrent la tendance des pouvoirs publics algériens à intervenir de façon intempestive dans le traitement d’une affaire « qui devrait relever de la gestion de Sonatrach qui est seule à disposer des éléments d’appréciation et de l’expertise suffisante pour trouver des solutions adéquates et défendre les intérêts du pays ».

Le développement le plus récent de ce qui s’annonce comme une négociation compliquée est intervenu mercredi dernier 29 mai. Dans une déclaration à l’AFP, le PDG du groupe Total, Patrick Pouyanné, a réagi aux propos du ministre algérien de l’Énergie en indiquant que son groupe allait « dialoguer » avec les autorités algériennes « très prochainement »,

« Il est normal que les autorités de chaque pays producteur souhaitent avoir un dialogue avec leurs principaux partenaires », a estimé Patrick Pouyanné. « Total est un partenaire de l’Algérie et donc c’est dans ce cadre-là que nous allons avoir ce dialogue très prochainement avec les autorités », a-t-il indiqué.

Des enjeux considérables

Nazim Zouiouèche souligne de son côté l’importance des enjeux. Pour l’ancien PDG de Sonatrach, l’évocation prématurée du droit de préemption par le ministre de l’Énergie soulève un grand nombre de problèmes. Le moindre d’entre eux est constitué par « le coût financier d’une telle option qui se chiffrerait à plusieurs milliards de dollars prélevés sur les réserves de change du pays au cours d’une période ou ces dernières sont déjà soumises à une forte pression ».

M. Zouiouèche s’interroge surtout sur la capacité de Sonatrach à se substituer rapidement à Anadarko en tant qu’opérateur des gisements exploités en commun avec la compagnie américaine dans un contexte où la production du secteur accuse une baisse tendancielle significative depuis plusieurs années. Il verrait plutôt dans la situation créée par le retrait d’Anadarko « une opportunité pour négocier une relance de l’investissement et une extension des projets de développement dans le bassin de Berkine » avec un nouveau partenaire comme Total.

Plus généralement, nos sources insistent sur le contexte particulier dans lequel intervient cette transaction. Pour Nazim Zouiouèche, il a été marqué dans la période la plus récente par « la volonté des autorités algériennes de recourir de façon accrue au partenariat international dans le but de développer l’exploitation des ressources de notre sous-sol. Une volonté qui s’est traduite par l’annonce d’une révision prochaine de la loi sur les hydrocarbures ».

Nazim Zouiouèche rappelle que dans sa première intervention publique, le nouveau patron de la société publique Sonatrach, Rachid Hachichi, a fait savoir qu’il travaillera à renforcer les partenariats avec les entreprises étrangères. « Notre groupe continuera à développer ses relations de partenariat avec les entreprises internationales qui souhaitent investir en Algérie. Sonatrach continuera à travailler au renforcement des relations de partenariat basées sur le respect mutuel afin d’améliorer les capacités de découverte et d’exploitation des hydrocarbures », avait indiqué le nouveau PDG dans le but évident de rassurer les investisseurs internationaux après le limogeage d’Abdelmoumen Ould Kaddour.

L’évocation dans ce contexte du droit de préemption constituerait très certainement un signal extrêmement négatif pour les perspectives de développement du secteur algérien de l’énergie. Il ne faut sans doute pas chercher beaucoup plus loin les raisons du rétropédalage du ministre de l’Énergie dans le dossier Anadarko.

| LIRE SUR TSA : 

Actifs d’Anadarko en Algérie : Total réagit aux déclarations de Mohamed Arkab

Pétrole : Total se positionne pour racheter les parts d’Anadarko en Algérie

Le gouvernement opposé au rachat par Total des actifs d’Anadarko en Algérie ?

 

Les plus lus