Politique

Entretien avec Chems-Eddine Hafiz, nouveau recteur de la Grande mosquée de Paris

Vous venez d’être élu recteur de la Mosquée de Paris. Quels sont vos projets pour cette institution et plus globalement pour la communauté musulmane en France ?

D’abord en tant que nouveau recteur de la Grande mosquée de Paris, je souhaiterais que cette institution importante de l’islam en France puisse reprendre sa place et rayonner de façon importante tant sur le pan cultuel que culturel. C’est important que, en plus du côté cultuel, nous puissions avoir des actions sur le plan culturel, sur la recherche, sur les échanges au niveau des savants, des oulémas, qui puissent trouver dans cette mosquée de Paris un endroit d’échange, un endroit où il peuvent parler de religion et en même temps d’avoir cette capacité d’échanger à la fois entre musulmans et nous pouvons réfléchir à faire des échanges entre musulmans et non musulmans sur des questions d’intérêt commun. C’est la première priorité sur le plan culturel.

Bien évidemment, sur le plan cultuel, je voudrais reprendre les publications du Coran de cheikh Hamza Boubekeur, un de mes prédécesseurs, de son traité de théologie et de faire de la mosquée de Paris une maison d’édition qui puisse diffuser des livres sur la religion musulmane.

Mon autre priorité, c’est la formation. La formation des imams est devenue plus qu’indispensable, c’est une mission capitale pour la Grande mosquée de Paris, parce qu’aujourd’hui il y a un grand déficit d’imams en France et les membres de notre communauté ont besoin d’avoir cette possibilité d’être en contact avec des imams pour leur poser des questions pour qu’ils puissent s’informer sur les textes de la révélation. On est contraint aujourd’hui de trouver ce qui est nécessaire pour pouvoir avoir cette formation.

Et à ce titre, dans le cadre de mes rencontres ici à Alger avec le ministère des Affaires religieuses, nous avons des projets de partenariat dans le domaine de la formation des imams et il y aura des échanges de compétences religieuses entre la mosquée de Paris et les instituts théologiques ici en Algérie.

Le troisième volet, c’est la prévention de la radicalisation. Nous savons pertinemment que, en France notamment et en Europe d’une manière générale, il y a des musulmans qui dévoient notre religion, et à ce titre-là, je voudrais faire de la prévention de la radicalisation quelque chose d’important dans les actions que doit mener la mosquée de Paris.

Beaucoup a été dit sur votre élection, comme par exemple le fait que vous ne seriez pas le recteur souhaité par les autorités algériennes. Qu’en est-il ?

J’ai quand même été reçu par le président de la République (NDLR : il a été reçu en fin de semaine dernière), j’ai rencontré le ministre des Affaires étrangères, je vais rencontrer le ministre des Affaires religieuses, ça en fait beaucoup pour quelqu’un qui ne serait pas souhaité par les autorités algériennes. C’est un faux débat et je n’ai pas besoin de m’étendre là-dessus.

A propos de votre rencontre avec le président Tebboune, dans quel cadre s’inscrit-elle et qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

Elle entre dans le cadre des relations traditionnelles entre la mosquée de Paris et l’Algérie. Depuis au moins les années 1980, il y a toujours eu des rencontres entre mes prédécesseurs, les différents recteurs qui se sont succédé et les présidents de la République algérienne. cheikh Hamza Boubekeur, cheikh Abbas, cheikh Tidjani Haddam, cheikh Dalil Boubekeur, tous ont été reçus par le président de la République algérienne. J’ai été invité par le président Tebboune et cette rencontre s’inscrit dans cette tradition.

Le président a beaucoup insisté auprès de moi pour que nous fassions en sorte que la communauté algérienne en France et tous les fidèles puissent bénéficier, à la mosquée de Paris comme dans toutes les mosquées qui lui sont affiliées à travers le territoire français, de toutes les conditions nécessaires afin de pouvoir exercer dans ces lieux de culte normalement, sereinement et dans de bonnes conditions leur pratique religieuse.

Il m’a aussi dit qu’il souhaiterait que les Algériens qui vivent en France, nationaux ou binationaux, soient les ambassadeurs de l’Algérie par leur comportement et notamment par l’expression des préceptes religieux qui sont la fraternité et la solidarité. Il a beaucoup insisté sur ces questions.

De mon côté, je lui ai parlé de la formation et de la prévention de la radicalisation et il était tout à fait d’accord sur le fait que ce sont des priorités et à ce titre-là, il m’a encouragé et m’a dit qu’il donnerait des instructions aux ministres pour que je puisse avoir des accords de partenariat, notamment avec le ministère des Affaires religieuses.

Comment est financée la mosquée de Paris et comment sont dépensés ses fonds ?

La mosquée de Paris est une institution religieuse, une association de la loi 1901. C’est une association qui doit faire face à de nombreuses dépenses pour que ce lieu de culte puisse répondre aux normes de sécurité et avoir toutes les commodités nécessaires pour permettre aux fidèles d’exercer leur culte.

Nous avons quelques ressources, des commerces qui sont la propriété de la mosquée de Paris, donc il y a des loyers annuels qui nous sont versés. Il y a aussi l’Algérie qui subventionne la mosquée de Paris en versant une somme qui est soumise à l’assemblée nationale algérienne, donc ce n’est pas quelque chose qui se fait en catimini. On reçoit également des dons et des aides de mécènes. Cela nous permet d’avoir un budget global d’exploitation de la Grande mosquée de Paris.

Ces sommes sont dépensées en salaires, en aides sociales, en charges d’exploitation. Nous avons un commissaire aux comptes qui vérifie la véracité des dépenses et de ce que nous faisons rentrer.

Peut-on connaitre le montant de la contribution algérienne ?

La contribution de l’Etat algérien est allouée en dinars algériens. Elle s’élève à 205 millions de dinars et le montant que la mosquée perçoit en euros varie en fonction du taux de change. Aujourd’hui, cela avoisine les 1.6 million d’euros. Dans des contextes où le taux de change était extrêmement défavorable au dinar, on était arrivé à 1.2 ou 1.3 million d’euros.

Quels sont les défis qui se posent aujourd’hui à la communauté musulmane en France et en Europe ?

Le premier défi pour la communauté musulmane c’est de s’accaparer de la vraie connaissance de la religion. Aujourd’hui, on apprend l’islam de façon un peu autodidacte et non d’une manière scientifique et accompagnée.

Aussi, il faut tenir compte de la loi en France, de la séparation de l’Etat et de l’Eglise. Je crois que ce n’est pas parce qu’il y a aujourd’hui une crispation sur notamment la question du foulard, qu’on renie notre religion. Notre religion est un élément important de notre foi et ce n’est pas parce que nous sommes dans un pays comme la France que c’est difficile. Je pense que les règles de la laïcité sont extrêmement adaptées à notre religion. Je ne crois pas que notre religion puisse avoir cette difficulté. C’est pour cela que je pense que les musulmans doivent s’adapter, sans renier leur foi, dans l’exercice de leur pratique religieuse dans un pays qui n’est pas musulman.

Je dois aussi dire qu’il faut combattre toute forme de radicalisation. C’est extrêmement important parce qu’il y a des jeunes qui peuvent être désemparés, qui se sentent désœuvrés, qui se retrouvent en marge de la société. Il faut les aider et il faut qu’on fasse en sorte qu’ils ne répondent pas à des clins d’œil de personnes malintentionnées et malveillantes qui peuvent dévoyer notre religion. Nous devons tous aider et assister notre jeunesse et il faut montrer que l’islam est une religion de paix et pas une religion de violence ou d’accaparement de quoi que ce soit.

Le ministre français de l’Intérieur vient d’annoncer une hausse de 50% des actes antimusulmans en France. L’islamophobie n’est-elle pas le signe d’une défaillance des institutions musulmanes, dont la mosquée de Paris, dans leur rôle d’explication afin d’éviter les amalgames et de sensibilisation pour prévenir la radicalisation ?

Je ne suis pas étonné des chiffres que vient de révéler le ministre de l’Intérieur français M. Castaner, parce qu’il y a, en France notamment, des mouvements d’extrême-droite qui propagent une idéologie qui stigmatise les musulmans. Il faut que ces actes antimusulmans soient dénoncés et il faut que la justice puisse poursuivre et condamner leurs auteurs.

Car si on a l’impression qu’il y a un sentiment d’impunité, ces actes vont se développer. Et c’est quelque chose qui est un fléau inacceptable qu’il faut vraiment combattre. En ma qualité de recteur de la Grande mosquée de Paris, je ferai tout pour que ces actes abjects puissent être enrayés.

Il faut monter au créneau pour dénoncer le discours qui tente de présenter les musulmans comme étant tous des islamistes, ce sont des déclarations dangereuses.

Je pense que l’opinion publique française commence à comprendre, mais c’est à nous en tant que communauté musulmane de faire en sorte que tout le monde évite de faire cet amalgame. C’est intolérable, c’est faux et c’est injuste.

Les liens qui continuent à unir les différentes composantes de la communauté musulmane de France à leurs pays d’origine ne constituent-ils pas un frein à leur intégration et à l’émergence d’un seul rite, ce que l’on pourrait appeler l’islam de France ?

Je pense qu’il faut vivre en harmonie avec soi-même. Si on accepte à la fois de vivre en France comme des Français mais en ayant une particularité qui est notre religion, cette religion ne doit en aucun cas être en contradiction ou en affrontement avec notre vie sociale en France. Dans ce cas, je pense qu’il n’y aurait aucun problème. Avoir un lien avec son pays d’origine, c’est une sorte d’enrichissement. Lorsqu’on a une double-culture, ça permet à la personnalité de pouvoir se développer et de n’avoir aucun complexe. Et c’est ce qui doit être la base même de ce que nous sommes. On peut par exemple parler la langue que l’on veut, mais l’essentiel, notre socle à nous, c’est notre religion et notre citoyenneté. Etre en même temps un citoyen français et algérien n’est en rien une contradiction, bien au contraire, c’est une richesse.

Quant à l’islam de France, moi je rejette cette expression, parce que l’islam est à son aise partout dans le monde. C’est une religion universelle, une religion de fraternité que je ne veux pas enfermer dans des frontières.

Vous avez retiré votre candidature à la présidence du Conseil français du culte musulman (CFCM). Pourquoi ?

Parce que, une semaine auparavant, j’ai été élu recteur de la Grande mosquée de Paris et je me suis rendu compte de l’importance de la tâche que j’avais à effectuer en tant que tel. Mon frère Mohamed Moussaoui, qui est marocain -mais ça n’a pas d’importance, l’essentiel c’est un musulman-, a voulu faire la première présidence. On s’est rencontré et je lui ai dit que j’allais retirer ma candidature et soutenir la sienne. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche à avoir des fonctions pour des fonctions.

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