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Entretien avec Khalida Toumi, ancienne ministre de la Culture

Entretien avec Khalida Toumi, ancienne ministre de la Culture

Vous avez qualifié de « virage dangereux » l’incarcération de Louisa Hanoune. Pourquoi ?

Selon moi, il faudrait que les citoyens se rendent compte que c’est une menace contre tout le monde. C’est un précédent grave qui signifie que celui qui ne se soumet pas, risque d’être arrêté. Mais qu’est-ce qu’elle a fait Louisa Hanoune ? Elle n’a fait qu’assumer son rôle de militante et de dirigeante de parti politique à 100%. Elle a été arrêtée pour avoir exercé ses droits politiques et d’avoir été dans son rôle.

La Constitution actuelle garantit le droit à l’exercice politique et l’Algérie a ratifié la convention internationale sur les droits politiques et sociaux. Ceux qui ont pris cette décision se rendent-ils compte que les conventions internationales sont supérieures aux lois nationales ? Mais Louisa Hanoun n’est pas à la tête d’un mouvement armé que je sache. Elle n’a jamais appelé à prendre les armes contre qui que ce soit. C’est même une antimilitariste. Tout le monde le sait. Ça veut dire que si Louisa Hanoune fait des réunions avec ses militants, des syndicalistes, d’autres dirigeants politiques ou avec des responsables de l’Etat, elle met en danger l’Etat ? C’est quoi cette conception ?

Que vous inspire cette conception ?

C’est la conception qui relève d’une dérive totalitaire. Et cette conception est un danger pour tout le pays. Il faut que les gens qui ont décidé de l’incarcération de Louisa Hanoune reviennent à la raison et qu’ils se rendent compte que son arrestation est quelque chose de terrible pour le pays et pour l’image de l’ANP .

Qu’est-ce que cela signifie ?

L’arrestation de Louisa Hanoune ne la déshonore pas, mais aucunement. Par contre, cela déshonore les gens qui l’ont incarcérée et par ricochet l’institution militaire pour laquelle j’ai le plus grand respect. Parce qu’elle a été arrêtée au niveau du tribunal militaire. Je suis certaine que l’ANP en tant qu’institution est innocente de cette grave dérive que constitue l’arrestation d’une dirigeante politique pour avoir été pleinement dans son rôle . Mais les personnes qui ont pris cette malheureuse décision ont-elles conscience qu’elles impliquent de fait toute l’institution militaire ? Ce n’est pas une bonne chose. C’est injuste vis-à-vis de Louisa, de l’ANP et de tout le pays. Il faut que ces gens fassent cesser cette triple injustice en libérant immédiatement Louisa Hanoune.

Comment expliquez-vous la décision de son incarcération ?

C’est inexplicable en dehors du fait que les gens qui ont décidé de l’incarcération d’une femme politique, chef d’un parti politique légal, doivent avoir une conception absolument autoritaire de la vie et de l’action politiques. Parce que ça ne peut pas être une décision de toute l’institution militaire, c’est impossible. Pour moi, c’est tout à fait inexplicable comme décision. Et c’est surtout inacceptable, scandaleux , intolérable.

Que faut-il faire ?

Il faut rester mobilisé. Il ne faut écarter aucune action pacifique pour obtenir sa libération.

Vous connaissez Louisa Hanoune. Quel serait son état d’esprit actuellement alors qu’elle est en prison ?

Je connais très bien Louisa. Il se trouve qu’en 1983 quant elle a été arrêtée par la cours de sûreté d’Etat pour ses opinions politique, j’étais avec elle parce qu’on faisait partie de la même association. Ce n’est donc pas la première fois qu’elle est arrêtée pour avoir exercé ses droits politiques. C’est une grande dame et une immense figure politique. Aucune prison, ni militaire ni civile ne peut contenir la grandeur de Louisa Hanoune. La honte ce n’est pas que Louisa Hanoun soit en prison en sa qualité de femme politique, la honte est qu’en 2019, il y ait des gens qui prennent ce genre de décisions en Algérie. Il n’est pas trop tard de rectifier cette faute très grave.

Certains vous reprochent d’habiter à Club des Pins tout en étant critique à l’endroit du pouvoir…

C’est un mensonge scandaleux et éhonté. J’habite à Alger-centre, rue Mouloud Houchi. Je n’ai pas mis les pieds à Club desPins depuis au moins 10 ans, pas même pour admirer la mer.

Des responsables, à l’instar d’Amar Saâdani, ont accusé le Parti des travailleurs (PT) d’être une création du DRS. Qu’en pensez-vous ?

Ce sont des accusations faites dans le but de détruire le multipartisme. Je ne connais pas le monde de démocratie sans partis politiques. Des individus comme celui que vous avez cité [Amar Saâdani, NDLR] sont les gardiens du temple du système du parti unique. Ils ne peuvent supporter ni le multipartisme ni la démocratie. Ils racontent des horreurs pareilles sur Louisa Hanoune car elle a été leur bête noire. C’est la seule dirigeante politique qui pendant dix ans n’a pas cessé de dénoncer le siphonnage de l’argent public et les mafieux. Et c’est grâce à elle que le mot oligarchie est devenu populaire en Algérie. Ils ne peuvent pas la supporter car elle est l’antithèse de leur monde. Ils ont utilisé des méthodes abjectes pour la discréditer et sont allés jusqu’à tenter de détruire le PT. Sans compter, puisque c’est une femme, tout l’arsenal de la misogynie putride, arme favorite de tous les lâches en mal d’arguments politiques. Mais ils ne l’atteindront jamais. Ceci dit, les partis sont indispensables pour le fonctionnement démocratique d’un pays. Si on n’est pas d’accord avec un parti, on le combat politiquement, mais pas en jetant sur lui des accusations qui rappellent les temps maudits de l’autoritarisme du parti unique.

Je peux comprendre que les gens soient traumatisés par les dérives graves qui ont frappé et souillé la vie politique nationale, mais il ne faut pas oublier que le droit de fonder et de militer librement dans un parti politique est un droit fondamental.

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