Économie

Entretien avec le directeur de Business France en Algérie

Romain Keraval est le directeur en Algérie de Business France, l’agence en charge du développement international des entreprises françaises.

L’agence accompagne annuellement 300 opérateurs vers le marché algérien. Elle organise le 16 mars prochain à Paris la 14e édition des « Rencontres Algérie », un événement destiné principalement à faire connaître le marché algérien aux investisseurs français et de mettre en contact les opérateurs économiques des deux pays.

Romain Keraval parle dans cet entretien exclusif accordé à TSA de l’édition à venir et déborde sur tous les aspects de la relation économique entre l’Algérie et la France.

Il estime que le « recul » de la présence économique française en Algérie est à « relativiser », d’autant plus que les chiffres indiquent au contraire un accroissement des échanges et la France demeure le premier investisseur étranger hors hydrocarbures en Algérie.

Qu’est-ce qui est attendu des rencontres Algérie et qu’elle évaluation pouvez-vous faire des éditions précédentes en termes de partenariats conclus et de projets d’investissement envisagés ou concrétisés ?

Les rencontres Algérie ont pour objectif de promouvoir l’attractivité du marché algérien auprès des opérateurs économiques français.

Elles sont organisées annuellement et permettent de tenir informés les opérateurs sur les principales opportunités commerciales et partenariales, en décryptant les évolutions réglementaires et analysant l’actualité sectorielle.

Il s’agit de la 14e édition. L’édition précédente était placée sous le signe de la relance et a été l’occasion d’évoquer les défis économiques et les axes de transformation engagés par l’économie algérienne.

Notre objectif avec cet évènement est donc d’informer sur les dynamiques à l’œuvre sur le marché algérien et confirmer le processus de consolidation annoncé par le président Abdelmadjid Tebboune.

C’est une plateforme sans pareil de rencontres entre entreprises des deux rives. L’année dernière nous comptions un millier de participants et pas moins de 250 mises en relations pour discuter procédures d’exportation, modalités d’implantation, contrats de fourniture ou projets d’investissement potentiels.

Dans les faits, nous constatons l’annonce de premiers investissements et de nouvelles manifestations d’intérêt en ce sens, ainsi qu’une reprise notable des flux d’échanges dans les deux sens. Les échanges commerciaux entre la France et l’Algérie ont augmenté de 38 % en 2022, s’établissant à 11 milliards d’euros.

Pour l’édition de cette année, nous espérons atteindre un millier de participants et faire fonctionner la plateforme de mise en relation.

Le partenariat économique est un axe important de la Déclaration d’Alger signée en août dernier entre les présidents algérien et français. Peut-on dire que les engagements pris dans ce volet commencent à se concrétiser et que la relation économique est désormais sur la bonne voie ? La nouvelle dynamique a-t-elle un impact sur les projets français qui connaissent des difficultés en Algérie ?

La Déclaration d’Alger définit un cadre bien précis pour le partenariat renouvelé. L’objectif est d’engager les opérateurs économiques des deux pays à relancer leurs relations d’affaires en les inscrivant dans une perspective partenariale exemplaire. Si j’en crois la dynamique actuelle, les engagements pris commencent à se concrétiser.

L’Algérie entend évoluer vers une économie plus diversifiée et promouvoir davantage les exportations.

Les « Rencontres Algérie 2023 » souhaitent y répondre en rassemblant des experts et industriels algériens de renom dans les domaines de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, des énergies renouvelables, de l’industrie et du numérique afin de leur permettre de partager leur expérience en Algérie et inciter d’autres entreprises à s’inspirer de leur exemple.

Nous avons la conviction que le futur de nos relations réside dans le co-développement et je peux vous assurer que c’est une conviction que partagent les entreprises que nous accompagnons.

Les entreprises françaises participent à la diversification de l’économie algérienne, elles produisent de la valeur pour l’économie algérienne en créant des emplois (environ 100 000 emplois directs et indirects pour nos plus de 400 sociétés implantées), des revenus issus de la fiscalité sur les entreprises, du savoir grâce à la formation continue et aux programmes de transfert de savoir-faire ou aux innovations en lien avec les écoles et universités algériennes, etc.

Tous les investisseurs prévoient d’accroitre leurs exportations à terme. Les investisseurs français ont bien compris l’intérêt de l’Algérie pour exporter, certains le font déjà, pas juste des produits, mais aussi des services.

Beaucoup de projets d’investissement se conçoivent aujourd’hui pour servir le marché algérien, mais aussi de plus en plus les marchés voisins, notamment le sud.

La France reste aujourd’hui l’un des tout premiers investisseurs en Algérie, le premier hors hydrocarbures, dans des secteurs très variés, et les volumes d’affaires entre nos deux pays ne font qu’augmenter, plaçant la France comme un des principaux partenaires commerciaux de l’Algérie (3e client/2e fournisseur).

Les entreprises françaises sont à la recherche de partenariats durables et pérennes. L’enjeu pour l’Algérie est de devenir une plateforme de production connectée aux marchés africains et internationaux.

L’Algérie a entamé la refonte de sa législation pour améliorer son climat des affaires, avec notamment la suppression de la règle 49/51 et la promulgation d’une nouvelle loi sur l’investissement. Les opérateurs français en sont-ils satisfaits ? De quoi se plaignent-ils le plus en Algérie ? Qu’en est-il de la question du transfert des dividendes ?

L’arsenal juridique mis en place et la création de l’Agence de promotion des investissements démontrent une volonté d’aller de l’avant et de favoriser l’investissement.

En effet, les incitations fiscales, la facilité d’enregistrement et le système de guichet unique peuvent s’avérer avantageux pour les investisseurs français.

La société RGS qui nous accompagne à l’occasion des rencontres, aura l’opportunité de revenir sur chacun de ces points afin d’expliquer les apports des dernières réformes.

La réforme est structurelle, pour qu’elle soit effective, les entreprises nous disent que l’Algérie doit prendre le temps de renforcer les capacités des organismes concernés et confirmer le raccourcissement des délais associés aux décisions ou autorisations requises de l’administration.

Je pense notamment à l’Agence de la promotion de l’investissement. C’est là que résident les attentes principales des entreprises, ainsi que dans l’accessibilité au foncier industriel ou encore l’obtention de permis de construire, ou, comme vous l’évoquiez, une plus grande fluidité dans le transfert des dividendes.

À cet égard, les banques partenaires des « Rencontres Algérie », telles que BNP Paribas,  Société Générale et Natixis, ont beaucoup à partager en matière de bonnes pratiques financières à mettre en œuvre pour travailler et s’implanter en Algérie dans les meilleures conditions.

La stabilité juridique demeure également un sujet récurrent. À ce titre, l’engagement décennal du nouveau cadre des investissements est une excellente nouvelle. Tous ces changements sont importants.

Les Rencontres Algérie sont justement organisées chaque année, pour tenir informés les opérateurs des changements réglementaires et maintenir le niveau d’information le plus exigeant s’agissant des évolutions sur ce marché, secteur par secteur.

C’est particulièrement vrai cette année. La présence à nos côtés de partenaires institutionnels comme l’INPI ou la Banque publique d’investissements, qui interviendront pour éclairer les opérateurs sur les dispositifs mis à leur disposition pour garantir leurs transactions ou protéger leurs solutions, doit renforcer la capacité à travailler ensemble.

Quels sont les secteurs que vous identifiez en Algérie comme étant porteurs et mutuellement bénéfiques pour les deux pays ? Les investisseurs français ont-ils des préférences pour des secteurs en particulier ?

Avec les velléités de diversification de l’économie algérienne, les nouvelles opportunités sont à mon sens dans tout ce qui touche à la transition énergétique, l’agriculture et l’élevage, l’aquaculture, la santé et le numérique.

Ce sont d’ailleurs les secteurs priorisés par la déclaration d’Alger et dans lesquels l’Algérie et la France ont tout intérêt à créer de réelles synergies.

Il faut également souligner le fort potentiel de synergies entre les industries de nos deux pays. Cette liste n’est pas exhaustive, tout secteur peut être propice à de l’investissement, tant il y a à faire en Algérie.

Nous parlons par exemple assez peu souvent de la chaîne logistique et du transport de marchandises alors qu’ils sont au cœur de la performance d’une économie diversifiée et exportatrice.

On juge la qualité d’une chaîne logistique à son maillon le plus faible et un pays interconnecté ne peut fonctionner sans infrastructures servies par des opérateurs globaux.

En Algérie, beaucoup reste à faire dans ce domaine, et des leaders comme DP World, Corsica Linea ou Globtrans, sont devenus au fil des années des acteurs de référence incontournables pour les entreprises des deux rives, montrant l’importance de ce secteur.

Pouvez-vous citer des exemples de complémentarité entre les économies algérienne et française ?

Tout d’abord, la proximité entre nos deux pays est un élément essentiel dans la logique de co-développement et de recherche de synergies.

La situation géographique de l’Algérie fait d’elle une porte d’entrée « naturelle » vers l’Afrique et le monde arabe. La proximité et l’héritage sont là, mais il y a aussi l’intensité de la relation.

Les coopérations ou solutions et techniques algéro-françaises peuvent trouver à s’exprimer dans tous les domaines d’intérêt pour la diversification économique de l’Algérie.

L’objectif pour les deux pays est d’intégrer davantage l’Algérie dans les chaînes de valeur globales, mais aussi continentales en permettant aux industries nationales de développer de nouvelles productions compétitives.

Les exemples les plus significatifs sont ceux de l’agroalimentaire, de l’agriculture et de l’élevage, de l’industrie pharmaceutique dans lesquels l’Algérie et la France sont des partenaires de longue date.

Pour prendre deux exemples dont la presse s’est faite l’écho ces derniers jours, le tramway de la ligne de Mostaganem vient d’entrer en service commercial : c’est le fruit d’un travail réalisé conjointement pour le compte de l’EMA par Cosider, qui a réalisé le génie civil, le système voie ferrée, la caténaire et la signalisation lumineuse de trafic, et par Alstom, chargée de la fourniture du système intégral, des systèmes de télécommunication et de signalisation, des sous-stations, de la billettique, des équipements de dépôt ainsi que les rames de tramways Citadis fournies par sa joint-venture CITAL.

Dans un domaine totalement différent, Decathlon et la société algéro-turque Tayal viennent de signer une convention pour fabriquer du « made in Bladi » afin d’alimenter le marché algérien et exporter.

Voici deux exemples concrets qui illustrent la dynamique engagée.

Il faut savoir que les groupes pharmaceutiques également, à l’instar de Sanofi ou Ipsen, pour ne citer que quelques-uns, sont très engagés depuis des décennies aux côtés de leurs partenaires algériens, via la mise à disposition des solutions de santé, la prévention, la promotion de la recherche, la formation médicale continue et l’intégration industrielle.

En tant qu’acteurs importants dans l’industrie pharmaceutique, ils ont l’ambition de continuer leurs investissements en Algérie avec l’appui des autorités pour la réussite de leurs projets futurs.

Retenez que Sanofi, seul, met 100 spécialités différentes au service des patients algériens – le diabète, la thrombose, la médecine générale, la médecine de spécialité avec l’oncologie, l’enzymothérapie pour les maladies rares, ainsi que dans le domaine des vaccins.

Par ailleurs, plusieurs entreprises françaises veulent investir dans la production d’énergies renouvelables ou développer des solutions de valorisation des déchets.

Enfin, le numérique et les nouvelles technologies sont un segment qui attirent de plus en plus d’investisseurs. C’est pourquoi à l’instar des autorités algériennes, Business France veut participer à l’émergence d’un écosystème de startups en Algérie.

Nous avons d’ailleurs impulsé la naissance d’une communauté French Tech afin de favoriser les synergies entre les entreprises du numérique de nos deux pays.

Nos partenaires, Yassir, Macir Vie, Atos et Altius Services, qui offrent chacun respectivement une expertise unique, qui dans l’assur-tech, la fintech, le développement de solutions progicielles ou de centre de données, sont des exemples vivants de ce renouveau grâce à leurs activités.

Il y a 400 entreprises françaises implantées en Algérie, et d’autres vont arriver. Nous avons aussi entre 3000 et 4000 PME qui traitent avec l’Algérie.

L’investissement français a perdu du terrain en Algérie au profit notamment de la Chine et de la Turquie, et même de l’Italie comme on le voit depuis quelques mois en ce qui concerne l’énergie. Le constat est-il exagéré ? Est-ce l’effet de l’évolution de la relation politique ? Quel est l’état des lieux des échanges et des investissements français en Algérie actuellement ?

 

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Ce recul de la France est à relativiser. Nonobstant les aléas, les opérateurs économiques restent conscients des opportunités du marché.

La part du commerce de la France avec l’Algérie s’accroit. Notre commerce bilatéral a fortement repris en 2022, et pas uniquement en raison de nos achats d’hydrocarbures.

Les ventes françaises vers l’Algérie sont robustes, dans des domaines très variés. En revanche, il est vrai que si l’on regarde sur le temps long, certains produits que l’Algérie importait il y a quelques années, sont désormais fabriqués localement, voire exportés.

Ce sont là les évolutions souhaitées par les autorités algériennes, qui aspirent à davantage de fabrication locale.

Beaucoup d’entreprises françaises ont compris et intégré la dynamique. Certaines ont déjà investi à cette fin d’ailleurs, par exemple dans l’agroalimentaire ou la production de médicaments. Beaucoup d’autres s’y préparent.

L’un des objectifs des « Rencontres Algérie » est précisément d’expliquer ces tendances, notamment à celles et ceux qui n’auraient pas encore perçu les évolutions en cours.

Nos concurrents prennent leur part également, bien entendu, comme ailleurs dans le monde. Peut-être qu’on les voit plus parce qu’ils ont plus de projets qu’auparavant. En tout cas, avec 2,5 milliards de dollars, la France demeure, et de loin, le premier investisseur étranger dans les secteurs hors hydrocarbures en Algérie.

Je suis confiant en la capacité des entreprises françaises et de leurs partenaires algériens, qui se connaissent bien, de faire beaucoup plus ensemble encore.

Nous le constatons : les investissements réalisés actuellement témoignent de la nouvelle dynamique partenariale. Certains projets qui avaient été suspendus ont repris à la faveur de déblocages administratifs, certains se plaçant sous l’empire de la nouvelle loi sur les investissements.

La tendance est encore le plus souvent aux stratégies de la croissance externe (acquisitions) ou de diversification des activités des sociétés déjà implantées, mais des projets de greenfield dans des secteurs très variés sont aussi au stade d’étude avancé. Leur concrétisation dépendra de la capacité de l’Algérie à consolider la stabilité et l’attractivité du nouveau modèle proposé.

Dans leur communication sur la mobilité, les autorités françaises ont toujours assuré que les restrictions sur les visas ne toucheront pas les opérateurs économiques. Le problème ne se pose donc pas ? Qu’en est-il de la mobilité en sens inverse, c’est-à-dire des visas pour les hommes d’affaires français désirant se rendre en Algérie ?

Ne travaillant pas au consulat, je n’ai pas de chiffre précis sur la délivrance de visas aux opérateurs économiques. Néanmoins, Gérald Darmanin (ministre de l’Intérieur français, ndlr) avait annoncé lors de sa visite en décembre dernier à Alger le « retour à la normale » concernant la délivrance des visas. Les restrictions sont ainsi aujourd’hui obsolètes.

Pour les visas délivrés aux opérateurs français désireux de se rendre en Algérie, cela est du ressort des consulats d’Algérie en France.

Le président Emmanuel Macron souhaite faire des Franco-Algériens un pont entre les deux pays. Cette orientation est-elle visible à travers le nombre d’hommes d’affaires de cette catégorie qui vous sollicitent ou que vous accompagnez en Algérie ?

Effectivement, la diaspora algérienne est sensible aux réformes mises en place par les autorités algériennes et réagit avec optimisme aux efforts portés depuis quelques années.

Pour certains, la connaissance du marché et de la langue du pays peut par ailleurs constituer un avantage. La démarche de ces acteurs économiques s’inscrit également dans celle qui est portée par Business France, à savoir la mise en place de partenariats gagnant-gagnant.

Nous sommes déterminés à les accompagner pour se projeter sur ce marché riche en opportunités qu’est l’Algérie. Soulignons que de très nombreux porteurs de projets entre les deux rives n’ont pas nécessairement de lien familial ou historique avec ce pays.

Je tiens également à rappeler comme l’a fait le président Macron lors de sa visite en Algérie, le rôle essentiel de nos jeunesses et leur capacité à entreprendre. Ce sont ces jeunesses qui dessinent les contours de nos économies de demain. Il est donc primordial de créer des ponts entre elles.

 

SUR LE MÊME SUJET :

Investissements : offensive tous azimuts de l’Algérie

Le « véritable Talon d’Achille » de l’investissement de l’Algérie

Investissements en Algérie : les critiques du Care

Les plus lus