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Entretien avec le SG par intérim de l’ONM : « Je propose que le hirak se mette d’accord sur un seul candidat »

Entretien avec le SG par intérim de l’ONM : « Je propose que le hirak se mette d’accord sur un seul candidat »

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Mohand Ouamar Benlhadj, SG par intérim de l'ONM

Quelle lecture faites-vous de la situation politique ?

Mohand Ouamar Benlhadj, SG par intérim de l’ONM : En tant que citoyens algériens et au nom de l’Organisation nationale des moudjahidine, nous avons tenté après le début du hirak, le 22 février, de rapprocher les points de vue afin d’éviter au pays d’éventuels dégâts. Malheureusement, notre avis n’a pas été pris en compte par les deux parties, le peuple et le pouvoir.

Nous avions affirmé dans tous nos communiqués que nous sommes issus du peuple et que nous soutenons toutes les revendications légitimes de la rue. En revanche, nous sommes contre le slogan « yetnehaw gaâ (qu’ils dégagent tous !) ». Nous nous demandons ce que cela signifie. Veut-on le départ de tous les fonctionnaires de l’État, du président de la République jusqu’à l’agent de l’ordre ? Nous, les moudjahidine, devons-nous partir aussi puisque nous avons été des fonctionnaires de l’État ? Je pense qu’il y a de l’exagération dans ce slogan car l’intérêt du pays est au-dessus de toute considération et il ne doit pas être pris à la légère. Nous sommes donc pour le maintien de l’appareil de l’État même s’il s’agit de l’ancien appareil, sauf s’il est remplacé.

Le chef de l’État a fixé la date de l’élection présidentielle pour le 12 décembre. Est ce que vous soutenez cette voie ?

La crise a débuté avec la fin du quatrième mandat du président Bouteflika et son intention de briguer un cinquième, ce qui avait été rejeté par le peuple. Donc, l’origine de la crise, c’est les élections et la solution viendra aussi avec l’organisation des élections présidentielles. Nous l’avons dit maintes fois dans nos communiqués, dans lesquels nous avons appelé à organiser les élections et installer une commission électorale indépendante loin de toute autorité du ministère de l’Intérieur. Le corps électoral a été effectivement convoqué et les membres de l’autorité électorale désignés, mais personne n’a pris attache avec l’ONM pour qu’elle soit représentée au sein de l’instance, comme s’il n’y avait pas parmi nous des gens aptes pour une telle mission. Pas même un nom n’a été proposé ne serait-ce que pour rendre hommage à l’organisation.

Malgré tout, nous soutenons la voie électorale que nous considérons comme une priorité pour enclencher le processus de changement avec l’élection d’un président de la République qui aura la charge de mener les réformes, à commencer par la révision de la Constitution et la suppression du Sénat que je considère comme un musée sans réel pouvoir légiférant, sachant que les lois sont élaborées au niveau de l’APN. Je propose aussi la révision du découpage administratif du pays.

Vous avez reçu le panel de dialogue de Karim Younès mais cela n’a pas empêché votre exclusion de l’instance électorale…

Nous les avons reçus et nous avons discuté avec eux des critères qui peuvent garantir le succès du dialogue. Nous leur avons aussi demandé de nous dire quelle est la partie qui les a désignés. J’ai posé la question à Karim Younès personnellement. J’avais émis des critiques par rapport à cette désignation unilatérale, alors qu’elle devait se faire conjointement par le peuple et le pouvoir. C’est un point négatif qui n’était pas en faveur de l’instance de Karim Younès. Mais en tant qu’organisation, nous n’avons aucun pouvoir pour changer les choses. Notre rôle se limite à proposer des solutions pour sortir de la crise. Mais même nos propositions n’ont pas été prises en compte et l’instance n’a apporté aucun changement à sa feuille de route. Par exemple, nous lui avons proposé de rencontrer des jeunes du hirak et elle ne l’a pas fait. Si j’étais à la place de Karim Younès, j’aurais convié des jeunes du hirak des 48 wilayas du pays.

Nous déplorons aussi l’attitude du gouvernement qui fait comme si le hirak n’existe pas. Il est inacceptable d’ignorer les cris de millions d’Algériens qui manifestent dans la rue.

La non-satisfaction des revendications du peuple ne risque-t-elle pas de provoquer un fort taux d’abstention aux prochaines élections ?

Je ne vois pas l’abstention comme une attitude négative. Je propose que le hirak se mette d’accord sur un seul candidat choisi parmi ses représentants. Rien n’interdit la présentation d’un candidat du peuple. Je sais que je risque d’être diabolisé à cause de cette déclaration, mais c’est mon avis et celui de tous les anciens moudjahidine soucieux de l’intérêt de l’Algérie.

Il faut que tous les Algériens fassent des concessions car nous sommes persuadés que personne ne détient toute la vérité ni la force absolue. Certains de ceux qui, avec leurs enfants, vidaient les caisses de l’État sont aujourd’hui en prison, ce qui signifie que les choses vont changer et ne resteront pas en l’état.

Quelle évaluation fait l’ONM du rôle de l’institution militaire et de sa gestion de la crise durant les six derniers mois ?

L’institution a joué un rôle positif, non seulement en comparaison avec ce qui s’est passé dans d’autres pays du monde, mais aussi par rapport à son rôle entre 1992 et 2019. Il y a une nette différence. En 1992, elle a imposé l’état d’urgence pendant dix ans et nul ne pouvait activer en dehors de la surveillance sécuritaire. Aujourd’hui, nous n’avons pas atteint ce niveau. Même les citoyens algériens ont livré au monde entier une belle leçon de conscience et de civisme. Mais il reste que les deux parties doivent consentir des concessions.

Mais l’État n’a pas décrété des mesures d’apaisement et la vague d’arrestations se poursuit…

Nous avons insisté sur la libération des détenus d’opinion. Ces arrestations n’ont pas lieu d’être dans la conjoncture actuelle, même pour ceux qui font des déclarations déplacées. La conjoncture est sensible et appelle l’apaisement. Aussi, il ne faut pas mettre sur un même pied d’égalité un détenu politique qui a exprimé une opinion et celui qui a volé l’argent du peuple et vidé les caisses de l’État. N’oublions pas que des gens qui ont détourné des deniers publics sont toujours en liberté.

En tant qu’organisation des moudjahidine, nous ne cachons pas notre inquiétude par rapport à la situation du pays. Nous insistons sur les concessions de part et d’autre et sur l’apaisement du climat, comme nous réitérons que nous sommes contre l’emprisonnement des jeunes du hirak.

Y a-t-il du nouveau dans l’affaire du moudjahid Lakhdar Bouregaâ ?

Nous avons demandé à plusieurs reprises la libération du moudjahid Lakhdar Bouregaâ, que ce soit dans nos communiqués ou à travers des intermédiaires, mais il n’y a pour l’heure rien de nouveau. Nous regrettons que notre avis ne soit pas pris en compte. Nous le disons clairement, l’ONM n’est pas dans la meilleure des situations, les deux parties nous prennent pour cible. Le peuple nous accuse d’être avec le système même si nous n’avons aucun pouvoir, et le pouvoir ne prend pas en compte nos avis, quoique nos statuts nous obligent à être du côté du gouvernement dans toutes les circonstances.

Même avec le gouvernement Bedoui qui est rejeté par le peuple ?

Au contraire, nous avons demandé le départ du gouvernement qui a été désigné par l’ancien président mais rien n’a changé. Notre organisation n’arrive même pas à régler ses problèmes en suspens avec le ministère des Moudjahidine qui est devenu un immeuble sans ministre depuis trois mois. L’actuel ministre Tayeb Zitouni est absent depuis des mois et nous n’avons aucune nouvelle de lui.

Vous avez demandé la réouverture du dossier relatif au projet de loi criminalisant le colonialisme. Pourquoi, selon vous, le dossier est à chaque fois reporté ?

Il n’y a pas de volonté politique pour étudier ce dossier qui a été déposé en 2005. Nous sommes revenus à la charge à plusieurs reprises mais en vain. À mon avis, ce sont les intérêts des tenants de la décision dans ce dossier en France qui font qu’il ne sort pas des tiroirs.

Vous avez aussi appelé à la dissolution du FLN et la direction de ce parti a vivement réagi contre votre personne. Quel est votre commentaire ?

Nous avons demandé au ministère de l’Intérieur d’interdire, en vertu de la loi de 2012, l’utilisation du sigle FLN pour des intérêts étroits. La loi interdit l’exploitation du sigle FLN pour servir les intérêts d’individus qui sont allés jusqu’à coller le nom du FLN sur la « chkara » pour faire passer ce qu’ils veulent et quand ils veulent, au nom de la légitimité historique du parti.

En tant qu’anciens moudjahidine, nous nous sommes élevés contre l’exploitation de ce symbole et nous avons été attaqués par Mohamed Djemai et ses compagnons qui m’ont accusé personnellement d’avoir des relations douteuses avec la France. Je leur rappelle que j’ai laissé des parties de mon corps dans la défense de la patrie alors qu’eux, ils se sont affairés à détourner les richesses du pays.

Ils ne peuvent pas m’accuser de traîtrise car mon passé est connu de tous, le leur aussi, notamment leurs relations avec la France. Ils détiennent la majorité au Parlement, je les mets donc au défi de faire passer la loi criminalisant le colonialisme pour prouver leur bonne foi. S’ils le font, je serais le premier à applaudir. Mais s’ils ne font pas sortir le dossier des tiroirs, cela signifierait que ce sont eux les alliés de la France.

Je n’ai aucun lien avec la France, je n’y possède pas de biens immobiliers. Je le redis, le seul lien que j’ai avec la France, ce sont les pièces métalliques que je porte dans différentes parties de mon corps pour atténuer les effets des blessures que j’ai subies pendant la révolution. Aussi je réitère ma demande de mettre le FLN au musée. À l’ONM, nous n’avons pas besoin de ce parti car il appartient à tout le peuple.

Si Ali Benflis se présente aux présidentielles, allez-vous soutenir sa candidature ?

Les statuts de l’ONM ne nous permettent pas de soutenir un candidat. Nous ne présenterons donc aucun candidat et nous ne soutiendrons personne.

Cette position fait-elle suite à la demande du peuple d’éloigner les moudjahidine du pouvoir ?

Déjà, je vais proposer lors du prochain congrès de l’organisation le remplacement du terme ‘moudjahid’ par celui de ‘résistant’, car je considère que cette désignation dévalorise notre qualité de résistants. Concernant la demande de notre mise à l’écart, il faut savoir que la majorité des moudjahidine est sortie des structures de l’État depuis de nombreuses années. Le président démissionnaire était certes un moudjahid, mais pas ceux qui étaient autour de lui, des membres du gouvernement aux walis. La plupart des moudjahidine sont décédés et ceux qui sont encore en vie sont en dehors des structures de l’État. Certains évoquent le budget du ministère des Moudjahidine et nous accusent d’avoir saigné le pays. C’est une accusation infondée puisque, après l’indépendance, précisément sous le président Benbella, les moudjahidine, étant pour la plupart sans instruction, avaient exercé de petits métiers comme planton, agent d’entretien, chauffeur ou jardinier. Le problème réside dans la classification des moudjahidine. Certains en effet n’avaient pas obtenu tous leurs droits tandis que d’autres avaient pris plus que leur dû.

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