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Entretien avec Mohcine Belabbas, président du RCD

Entretien avec Mohcine Belabbas, président du RCD

Injonction du wali d’Alger interdisant les regroupements de militants au siège régional d’Alger, gazage du carré du RCD lors de la marche du 49e vendredi, refus d’autoriser la tenue des assises du PAD. Comment expliquez-vous ces événements ?

En réalité ce n’est pas nouveau, mais cet acharnement est plus visible depuis le 22 février. Le RCD est d’abord victime de son autonomie. Il est victime de ses prises de position sans équivoque par rapport d’abord au pouvoir de l’ancien président. Il est victime aussi de ses prises de positions après le 22 février puisqu’il a été un des premiers à élaborer des feuilles de route très claires quant aux objectifs que devait se donner le mouvement populaire, à savoir aller vers une transition démocratique à travers un processus constituant. Il est victime aussi par le fait qu’il s’est mis du côté du peuple algérien.

L’acharnement a pris de l’ampleur depuis le mois de juin dernier quand les autorités ont décidé d’assiéger le siège régional du parti sis à la rue Didouche-Mourad et de cibler les militants par des arrestations. Nous sommes l’un des rares partis politiques à avoir des militants emprisonnés pendant des mois. C’est une forme de pression sur le parti pour le contraindre à prendre ses distances avec le mouvement populaire, mais les militants et l’encadrement du RCD ont continué à s’impliquer dans cette révolution. C’est une implication de citoyens, nous ne marchons pas sous la casquette de militants.

 Le carré qui a été ciblé lors de la dernière marche, ce n’est pas en réalité le carré du RCD, c’est celui où manifestait le président du RCD, mais majoritairement, ceux qui s’y trouvaient ne sont pas structurés dans notre parti.

L’autre raison qui fait que nous soyons ciblés, c’est le fait d’avoir organisé le 26 juin ici au siège du parti la conférence de l’opposition qui s’est donné comme appellation le Pacte pour l’Alternative démocratique. Depuis, d’ailleurs, à chaque fois qu’il y a eu un refus d’autorisation, les rencontres se sont tenues dans notre siège.

On assiste depuis quelques semaines à une certaine ambivalence dans l’attitude du pouvoir dans sa gestion du hirak et de la question des détenus. Êtes-vous d’accord sur le constat et qu’est-ce qui pourrait expliquer une telle attitude ?

La décision d’aller vers des arrestations massives depuis le mois de juin avait pour objectif de provoquer une démobilisation des citoyens dans la perspective d’organiser l’élection présidentielle. Mais ils se sont rendu compte très vite que ces arrestations n’ont pas affecté la mobilisation. Ceux qui étaient libérés retournaient immédiatement après manifester.

Bien sûr, il doit sans doute y avoir un débat au sein du pouvoir sur l’utilité de telles arrestations, d’autant plus que maintenant ils ont un chef de l’Etat, certes illégitime du point de vue du taux de participation des citoyens à cette élection que tout le monde s’accorde à situer à environ 8%, mais il est là, comme on a l’habitude de l’appeler, c’est un pouvoir de fait.

Maintenant, ils sont passés à une autre étape. Ils ont lancé ce qu’ils appellent les consultations avec certaines personnalités. Cette démarche est aussi destinée à démobiliser les citoyens et essayer de donner une forme de légitimité institutionnelle au chef de l’Etat.

Quel bilan d’étape peut-on faire du hirak qui bouclera bientôt une année pleine ?

De mon point de vue, le bilan est positif. Personne n’avait prédit qu’une telle révolution allait avoir lieu dans notre pays et encore moins que la mobilisation allait tenir aussi longtemps.

C’est une mobilisation qui a d’abord réussi à mettre fin au règne de Abdelaziz Bouteflika, qui a réussi à empêcher l’élection présidentielle prévue pour le 4 juillet et qui a enlevé toute légitimité populaire à l’élection du 12 décembre.

La mobilisation a contraint le pouvoir de fait à engager des poursuites judiciaires contre un certain nombre d’acteurs du système pour des faits de corruption. Elle a réussi à créer une conscience et un éveil collectif, voire même une réconciliation des Algériens entre eux. Je considère donc que le hirak a donné beaucoup de résultats.

Maintenant, certains se précipitent pour dire que le hirak a échoué, comme si son objectif était de stopper l’élection présidentielle. Cela n’a jamais été le cas. Le hirak c’est une pression populaire pour une transition démocratique, elle continue à ce jour. Ceux qui sont au fait des questions des révolutions savent qu’elles prennent du temps. Le pouvoir en place n’a pas encore gagné, ce n’est pas parce qu’il y a un chef de l’Etat qu’il y a un retour à la stabilité.

Le gouvernement et le chef de l’Etat sont incapables à ce jour de lancer une dynamique politique ou économique. Ils sont incapables d’aller vers un dialogue sérieux avec les acteurs politiques et les acteurs du hirak. Au lendemain du 12 (décembre), ils sont retombés dans le statu quo qu’on avait connu du temps de Abdelaziz Bouteflika.

Le hirak ne doit-il pas passer à une autre étape, se structurer, se choisir des représentants ?

Nous, nous croyons que la structuration du hirak se fait par les idées, par les offres politiques, par la dynamique des débats qu’on enclenche. De ce point de vue, je considère qu’il y a une avancée énorme même si ce débat et ces idées qui traversent actuellement le hirak n’ont pas eu l’impact souhaité par le fait que les médias ne les ont pas relayés.

En réalité, il y a eu un black-out médiatique sur le hirak et les idées qui le traversent. Nous ne sommes pas à l’époque des révolutions sanglantes des 18e et 19e siècles où l’idée était de doter les mouvements populaires de leaders qui pouvaient aller vers des actions offensives ou des négociations. Aujourd’hui, c’est une question de structuration par les idées.

De ce point de vue, je pense qu’il y a une avancée. C’est tous les Algériens qui arrivent à comprendre des concepts politiques qui étaient jusque-là l’apanage des élites et des militants. Dans les débats organisés dans la rue, au sein des associations ou des cafés littéraires, on voit qu’il y a une maîtrise du concept de la transition démocratique, du processus constituant, de l’équilibre des pouvoirs, de l’Etat civil. C’est une grande avancée, le débat s’est imposé dans la société, même si le pouvoir continue à faire comme si de rien n’était.

Mais il reste que le hirak n’a pas empêché le pouvoir d’organiser l’élection et de se doter d’un président…

La farce électorale du 12 n’a jamais été un point important dans le processus révolutionnaire du 22 février. Tout le monde savait que le commandement militaire allait imposer cette échéance. Mais ils n’ont pas réussi à mobiliser autour de cette élection et n’ont pas respecté les lois algériennes dans l’organisation de ce scrutin.

Il a été organisé par une instance qui n’est pas constitutionnelle, créée sans débat à l’assemblée nationale et dont le président a fini par reconnaitre qu’il a été désigné par le commandement militaire. Il n’y a pas eu de campagne électorale sérieuse et le jour du scrutin tout le monde a constaté que les bureaux de vote étaient quasiment vides.

Partout dans le monde, quand il y a une révolution populaire, l’élection qui vient après est censée connaitre un taux de participation très élevé. On aurait dit qu’ils ont réussi s’il y avait un taux de participation de 60 ou 80%. Ils n’ont fait que renouer avec les faux départs qu’a connus l’Algérie depuis 1962.

Le hirak ne doit-il pas passer à d’autres moyens de lutte ?

Je pense que les marches populaires, tel qu’elles se font, doivent continuer. En mars déjà, j’avais dit que le hirak doit continuer parce qu’il constitue une forme de pression sur le pouvoir, voire même sur les gens qui allaient gérer la transition pour ne pas dévier des objectifs de la révolution. Le pouvoir lui-même a besoin de ce hirak parce que c’est un mouvement de citoyens pacifiques. C’est un hirak qui a réconcilié les Algériens entre eux, en attendant qu’ils se réconcilient avec leurs institutions, il a réussi à construire une conscience collective, il ne gêne pas l’activité économique.

J’insiste, le vrai problème, c’est le black-out qui est fait autour du hirak. On ne peut pas demander au hirak d’inventer d’autres formes de lutte qui sont les mêmes à travers le monde, à savoir l’action pacifique à travers les marches, les sit-in, les meetings, les conférences-débats…

Vous ne pensez pas que les Algériens ne sont pas prêts à faire plus que les marches hebdomadaires ?

Je pense qu’il faut plutôt se demander si le pouvoir de fait va tenir face à la persistance de ce mouvement révolutionnaire. Nous sommes dans une phase de bras de fer entre le pouvoir de fait et le hirak et la question est de savoir qui va céder le premier. On le constate, le hirak continue et le pouvoir est incapable de lancer une dynamique quelconque et il ne pourra pas le faire tant que le hirak est là. Ils n’auront pas d’autre choix que d’écouter la rue et d’ouvrir les médias au débat contradictoire.

La force de l’Algérie en 2020, c’est sa diversité. Il faudra créer les mécanismes qui permettront que cette diversité s’exprime un peu plus, pour qu’on réussisse à construire des consensus et à rapprocher les points de vue pour une sortie de crise qui puisse prémunir l’Algérie des crises cycliques qu’elle connaît depuis 1962.

Qu’est-ce qui empêche selon vous l’avènement de la transition démocratique que tout le monde réclame ?

C’est l’entêtement des dirigeants officiels dans leur refus d’accepter l’idée que l’accès au pouvoir doit être une opération démocratique. Ils ne veulent pas de l’alternance démocratique. Ils sont habitués à être au pouvoir malgré leur incompétence et leurs échecs. Ils savent très bien que si on va vers une alternance démocratique au pouvoir, ils vont perdre le pouvoir et tous leurs privilèges.

Les partis de l’opposition n’ont-ils pas une part dans cet échec ?

Je crois que chacun a une part de responsabilité. On ne peut pas dire que tout incombe au pouvoir, une partie de la classe politique porte aussi une part de responsabilité. Mais il faut dire qu’il est difficile pour des partis de réussir leur activité quand ils sont interdits d’accès aux médias publics et aux salles de réunion.

Nous sommes dans un pays où l’exercice politique et la compétition politique ne sont pas garantis. C’est l’une des raisons qui nous ont poussés déjà en 2012-2013 de lancer l’initiative pour aller vers la conférence de Mazafran avec une plateforme pour les libertés et la transition démocratique. On s’était dit que nous, en tant qu’acteurs de l’opposition, quelles que soient nos sensibilités, nous devons agir de façon solidaire pour mettre la pression de manière à créer ces conditions. Mais je considère qu’on aurait pu faire un peu plus. Il y a toujours eu des tentations de certains acteurs de se compromettre avec le pouvoir.

Quel bilan tirez-vous du Pacte pour l’alternative démocratique six mois après son lancement ?

La constitution du PAD est un grand pas du fait qu’il a réussi à rassembler des acteurs politiques de différentes obédiences qui se retrouvent autour de l’idée de la transition constituante. C’est une réussite aussi parce que malgré la répression du pouvoir et l’interdiction qui est faite au PAD d’organiser ses activités, ce regroupement a réussi à se maintenir et à organiser des activités de qualité. Le 26 juin, il y a eu le fameux pacte pour l’alternative démocratique, puis il y a eu la conférence de septembre où les propositions ont été détaillées et, plus récemment, on a organisé les assises avec des propositions de qualité. Le PAD a réussi à s’élargir au maximum.

La présence d’une personnalité comme Abdelaziz Rahabi aux dernières assises du PAD est-elle le prélude à un rapprochement ou une action commune avec les signataires de la plateforme de Aïn Benian ?

Les signataires de la plateforme avaient signé l’arrêt de mort de leur regroupement à Aïn Benian justement. Depuis, on n’entend plus parler de ce regroupement. Une bonne partie de l’opinion publique leur reprochait de reprendre des éléments de langage du commandement militaire dans leur littérature politique, qui était de s’inscrire dans la démarche du pouvoir en place pour l’organisation d’une élection présidentielle.

Mais ce ne sont pas tous les acteurs de la conférence de Aïn Benian qui étaient compromis. Rahabi par exemple avait déjà assisté à notre rencontre du 26 juin. Le PAD s’est dit dès le départ ouvert à tous les acteurs qui croient à l’idée d’une transition constituante. Maintenant, il y a des acteurs qui assistent à nos activités en tant qu’observateurs, il y a aussi des universitaires.

Je considère que les Algériens attendent des acteurs politiques et sociaux de construire des convergences les plus larges possibles. Nous sommes dans une crise qui risque d’emporter la nation algérienne, nous devons nous mettre d’accord sur des solutions consensuelles, mais après des débats sérieux.

Qu’avez-vous à dire sur les consultations menées par le président Tebboune avec certaines personnalités ?

D’abord, la démarche nous renseigne sur l’échec anticipé de Tebboune dans la gestion de la crise politique. Tout le monde s’attendait à ce que un chef de l’Etat nouvellement élu lance d’abord une dynamique pour relancer la gestion des affaires courantes qui étaient à l’arrêt depuis la fin de l’année 2018 en réalité. Il devait aller aussi vers une forme de dialogue au minimum avec sa famille politique, ce qu’il n’a pas réussi à faire. En réalité, ces rencontres bilatérales ne pouvaient pas réussir parce qu’elles étaient conçues comme instrument de légitimation institutionnelle d’un pouvoir qui se sait illégitime.

Le président a lancé le chantier de la révision constitutionnelle. Que pensez-vous de la procédure retenue et des grands axes de la réforme tels que annoncés ?

Pour la démarche, il n’y a pas de nouveauté par rapport à celles suivies par Abdelaziz Bouteflika, y compris dans les personnes choisies, même si Tebboune a fait un effort du point de vue de la représentation géographique des membres de la commission, comme si c’était cela l’enjeu. Concernant les grandes lignes annoncées, on est toujours dans les généralités qu’on entend depuis 1988, comme l’équilibre des pouvoirs, etc.

Concrètement, on s’est rendu compte à chaque fois après ce genre de promesses qu’on a affaire à des constitutions qui ne règlent pas les problèmes du pays. Ils s’arrangent toujours à avoir un certain nombre d’articles qui ne sont pas facilement applicables. De plus, dans cette conjoncture, tout le monde parle de l’importance d’aller vers un processus constituant précédé de débats sérieux, y compris quand on fait le choix d’aller vers un groupe constituant comme c’est le cas avec cette commission d’experts. La constitution n’est pas seulement un projet de loi, c’est un pacte social, un projet politique.

Vous avez appelé à la dissolution des institutions illégitimes mais beaucoup ne comprennent pas pourquoi vous maintenez vos députés à l’assemblée…

Nous avons appelé dès le lendemain de la marche du 22 février à la démission du président et du gouvernement et à la dissolution de l’Assemblée et du Sénat. En réalité, il s’agit d’un paquet de propositions qu’il s’agit de prendre dans leur ensemble et non de façon sélective. Nous sommes toujours dans la même idée au niveau du PAD. Il y a des institutions illégitimes, à commencer par la présidence de la République. C’est pareil aussi pour certains appareils comme le FLN, l’UGTA…

Pour réussir une transition démocratique, il faut entrer dans une opération de déconstruction-construction. Quant à la démission d’un député, elle peut être prise pour une forme de désertion. Il faut se demander quel impact aura la démission. On voit par exemple que les députés du RCD font leur travail même en dehors de l’assemblée, ils sont dans les commissariats pour défendre les personnes arrêtées, dans les tribunaux pour accompagner les détenus… 

S’il y a dissolution des assemblées, il y aura des élections législatives anticipées. A quelles conditions le RCD participera-t-il ?

Rien n’est garanti pour ce pouvoir tant que le hirak continue. D’ici une année, il peut y avoir une autre conjoncture politique, avec de nouveaux éléments. En tout cas, je ne crois pas que le pouvoir réussira son passage en force. Pour la constitution, je ne vois pas comment il pourra mobiliser autour du référendum. Pour le code électoral, quelle légitimité aura-t-il s’il est adopté par une assemblée qui n’a aucune légitimité ?

Il y a aussi des conditions légales qui vont rendre difficile la réalisation des objectifs que le pouvoir s’est fixé pour l’année 2020. Il n’est pas dans l’intérêt du pouvoir de renouer avec le statu quo d’avant le 22 février. Parce qu’avant cette date, il y avait aussi des élections et des référendums, mais ils n’ont pas prémuni l’Algérie de la crise. Nous sommes dans une conjoncture où le pouvoir politique est entre les mains du hirak et le pouvoir de fait est dans une forme d’opposition au hirak.

On parle très peu de la situation interne du RCD. Le parti se porte bien ?

Je pense que si on a réussi à avoir une telle présence soutenue dans le hirak, c’est que les choses se passent plutôt bien au sein du parti.

Le RCD a eu une intense activité depuis le congrès en février 2018. Cette intense activité nous a aidés aussi pour la mobilisation de l’année 2019, puisque dès le début du hirak, le RCD a réussi à avoir une présence de qualité, en faisant des propositions sérieuses. Aussi, nos militants ont une présence régulière dans les marches populaires dans pratiquement dans toutes les wilayas.

Bien sûr, il y a eu le revers de la médaille avec l’arrestation de plusieurs de nos militants. Nous sommes présents dans le suivi des dossiers des détenus politiques par notre communication et par le biais de nos avocats et députés.

Pour la situation organique et l’évolution du nombre d’adhérents, je dois dire qu’on s’est imposé la règle de ne comptabiliser les adhésions que lorsqu’elles sont suivies de cotisations. Nous sommes l’un des rares partis à avoir augmenté le montant des cotisations. Nous ne faisons pas dans le recrutement de complaisance. Notre objectif c’est d’avoir des adhésions de qualité parce que, il ne faut pas l’oublier, un parti politique est d’abord un vivier de cadres pour les institutions de l’Etat.

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