Politique

Entretien avec Zoubida Assoul : « Je suis pour que le hirak s’auto-organise »

En tant que présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP), êtes-vous pour ou contre le dialogue avec le pouvoir ?

On ne peut pas parler de dialogue alors que le chef de l’État, depuis son investiture, n’a jamais appelé au dialogue. Aussi, les millions d’Algériens et d’Algériennes qui sortent depuis dix mois ont posé des préalables avant tout dialogue.

Ces préalables, en tant que présidente de l’UCP ou en tant que membre du PAD, on les a énumérés : libération de tous les détenus politiques et d’opinion, ouverture des médias privés et publics à tout le monde, levée de l’embargo sur la capitale et garantie de la liberté de circuler partout en Algérie, ouverture du champ pour la pratique politique et les réunion publiques.

Une fois que toutes ces conditions sont réunies, on pourra parler de dialogue, mais encore une fois, il faut que le chef de l’État fasse un appel dans ce sens. Il l’a fait dans une conférence de presse le lendemain de son élection, mais pas dans son discours d’investiture et dans aucune autre occasion depuis qu’il a pris ses fonctions. Pour moi, politiquement, il n’a pas appelé au dialogue. Comment voulez-vous que j’accepte quelque chose qui ne m’a pas été offerte ?

Je dois préciser que nous n’avons jamais été contre le dialogue par principe. À l’UCP, avant même le début de la révolution en février, on a toujours appelé au dialogue. Je l’ai fait même avec le mouvement Mouatana. Quand le hirak a débuté en février, on avait dit qu’on était favorables à un dialogue national inclusif avec tous les Algériens et avec le pouvoir pour trouver une solution politique à la crise. C’était le pouvoir qui rejetait le dialogue.

Maintenant, il y a un président de fait qui, quand bien même une majorité des Algériens n’a pas voté pour lui, pourrait, s’il a une volonté politique sincère et constructive, justement rattraper ce manque de légitimité en allant vers un dialogue inclusif pour régler la crise politique.

De toute façon, on ne peut pas régler les problèmes économiques et aller vers la bonne gouvernance tant que le peuple est dans la rue. On ne peut pas gouverner contre le peuple. Je le dis depuis des mois et je le confirme : je ne suis pas contre le dialogue sinon je serai quelqu’un d’anormal, mais je ne peux pas accepter le dialogue dans n’importe quelles conditions et je ne peux pas accepter quelque chose qui ne m’a pas été proposée.

Si dialogue il y aura, sur quoi il devra porter ?

Le dialogue, c’est sur la manière d’aller vers la construction d’un État de droit, le changement de ce système en profondeur, comment réformer la Constitution pour aller vers la séparation et l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance de la justice, comment renforcer les libertés individuelles et collectives et mettre en place les contre-pouvoirs.

C’est ce qu’on doit faire et on doit le faire à travers le dialogue et des textes de lois qui vont changer la pratique politique, comme la loi électorale, la loi sur les partis politiques, les associations, l’information, l’audiovisuel, la publicité.

Voilà les textes qu’il faudra changer et qui pourront demain nous apporter de nouvelles bases de gouvernance. Et tout cela devra passer par un dialogue.

J’aimerai préciser un élément important. Dans sa campagne et son discours d’investiture, le chef de l’État a parlé de l’amendement de la Constitution. Je dis qu’il ne faut pas reproduire les mêmes approches que par le passé. Bouteflika a aussi fait un amendement de la Constitution en 2016, mais il l’a fait d’une manière unilatérale. Il faudra donc que le changement de la Constitution soit le fruit et l’aboutissement du dialogue politique. On ne veut plus qu’on nous ramène une commission d’experts en droit pour nous élaborer des changements et nous dire voilà le cadre dans lequel vous devez discuter. On ne veut plus de cette approche.

La libération de certains détenus peut-elle être considérée comme un début d’apaisement ?

Il faut d’abord saluer le peuple algérien qui sort dans la rue depuis dix mois et qui a maintenu la pression pour la libération des détenus d’opinion. Ces libérations peuvent paraître comme un signe d’apaisement. J’espère, et c’est ce qu’on demande en tout cas, que ça touchera l’ensemble des détenus politiques. Il ne faut pas oublier que Karim Tabbou, Fodil Boumala, Samir Benlarbi et d’autres sont toujours en prison.

Je m’apprête d’ailleurs à l’instant à prendre la route pour Tlemcen et Oran parce que nous avons des détenus qui doivent passer devant la justice lundi et mardi. J’espère que ça touchera tout le monde, dans toutes les régions du pays, sans oublier les autres mesures qui doivent être décrétées. On peut prendre ces libérations comme un début d’apaisement même s’il y a beaucoup à dire sur la manière dont cela a été fait. Ça reste une décision politique qui est venue d’en haut et pas une décision judiciaire. Le pouvoir a encore une fois confirmé que la justice n’est pas indépendante et qu’elle fonctionne toujours avec les ordres. Et ça, ça nous rend tristes. Le grand perdant, c’est la justice.

Pensez-vous que le hirak doit s’organiser et se choisir des représentants ?

Le peuple a été magnifique jusque-là et il faudra qu’il maintienne cette mobilisation et cette pression, mais il faudra aussi qu’on passe à une autre étape. Je suis pour que le hirak s’auto-organise, c’est-à-dire discuter et faire des débats pour que le changement vienne de la base et non pas d’en haut.

Si à travers ces rencontres, le hirak décide à un moment donné de se choisir des représentants, il est libre de le faire. Mais personnellement, je ne veux pas de tutorat sur le hirak. Même si un jour on arrive à élire des représentants, il faut que ça soit l’émanation de la représentativité démocratique des citoyens.

Certains partis du PAD, dont vous faites partie, ont pris position individuellement par rapport au dialogue…

Il appartient aux militants de chaque parti de décider des positions de leur parti. Dans le cadre du PAD, nous avons appelé à un processus constituant qui implique le dialogue. On a même proposé dans le dernier document rendu public le 9 septembre une conférence nationale inclusive pour sortir avec une feuille de route consensuelle. On a une réunion le 9 janvier et on va certainement arriver à une position commune. Sinon, je ne peux pas faire de commentaire sur la position de chaque parti.

Quelle lecture faites-vous de la composante du nouveau gouvernement ?

Déjà, il y a le retour de certains ministres qui étaient dans l’ancien gouvernement et même dans plusieurs gouvernements de Bouteflika. Ils sont comptables des échecs des anciennes politiques. C’est incompréhensible et ce n’est pas du tout un signe de changement.

Deuxièmement, nous sommes en crise économique et je ne comprends pas qu’on puisse constituer un gouvernement avec autant de ministres (39, ndlr). Cela ne va pas donner une stratégie cohérente entre l’ensemble des ministères. Il aurait fallu créer des méga-ministères.

Je retiens justement que nous n’avons toujours pas de ministère de l’économie, alors qu’il y a une crise économique à régler. Aussi, il n’y a rien pour la réforme et la modernisation de l’administration.

Autre anomalie que je voudrais soulever : comment se fait-il que les femmes, très présentes dans cette révolution et qui constituent même l’une des garanties du pacifisme du hirak, ne sont que cinq dans le nouveau gouvernement sur 39 ministres, et aucune à la tête d’un département ministériel important ? Cela veut dire qu’on est toujours dans cette vision machiste qui veut que le pouvoir c’est pour les hommes et que les femmes ne sont là que comme faire-valoir. Dans les examens scolaires, les filles représentent entre 65 et 70% du taux de réussite, mais cela ne se traduit pas dans ce gouvernement, de même qu’on ne voit pas la concrétisation du principe de la parité consacré par la Constitution.

Cela dit, on ne peut pas nier qu’il y a des compétences dans certains ministères, même si j’aurais aimé les voir avec d’autres portefeuilles. Le professeur Chitour par exemple est un polytechnicien compétent qui a une vision sur l’énergie, notamment la transition énergétique, je l’aurais mieux vu à l’énergie. Même si l’enseignement supérieur c’est très important et un homme comme lui peut beaucoup apporter pour permettre à l’université de s’ouvrir sur le monde.

Qu’avez-vous à dire sur la suppression du poste de vice-ministre de la Défense et le maintien du ministre de la Justice ?

Dans l’annonce du nouveau gouvernement, on n’a pas parlé du poste de la Défense. Jusqu’à présent, on ne sait pas qui est le ministre de la Défense. Il fallait le préciser car le président n’est pas systématiquement ministre de la Défense. L’article 91 de la Constitution dit seulement que le président est chef suprême des forces armées et est responsable de la Défense nationale. Ce n’est pas parce que la Constitution stipule qu’il conduit la politique étrangère du pays qu’il est ministre des Affaires étrangères. Est-ce que c’est un oubli ou parce que le président veut lui-même être le ministre de la Défense, en tout cas, sur le journal officiel, on n’a pas encore vu qui est le ministre de la Défense.

Maintenant, et c’est ce que demande le hirak, tant mieux qu’il n’y ait pas un militaire en fonction vice-ministre de la Défense, parce que nous avons toujours demandé à ce que l’armée s’occupe de la sécurité du territoire et qu’elle ne se mêle plus de la décision politique.

Pour ce qui est de la justice, si on voulait vraiment écouter la voix du peuple qui considère, au même titre que nous les avocats, qu’il y a eu des incarcérations injustes, le garde des Sceaux aurait dû changer.

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