Société

ENTRETIEN. Baisse des cas de Covid en Algérie : le diagnostic du Pr Senhadji

Le Pr Kamel Senhadji est le président de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS). Dans cet entretien, il explique les raisons de la faiblesse des contaminations au Covid-19 en Algérie. Il évoque aussi la fabrication du vaccin russe Spoutnik V en Algérie, l’immunité collective, etc.

Quel est l’état d’avancement du projet de fabrication du vaccin russe anti-Covid, le Spoutnik V en Algérie ?

La fabrication d’un vaccin est une nécessité et la vaccination doit elle aussi battre son plein. Dans l’absolu, il va falloir vacciner nuit et jour, week-ends compris.  En fait c’est un enjeu et un rapport de vitesse pour gagner cette vitesse de vaccination par rapport à celle de la propagation du virus, c’est de cette façon que la stratégie doit être pensée.

Ce qui se passe actuellement dans la fabrication et la disponibilité des vaccins pose un gros problème. On peut même dire que c’est la conséquence aussi d’un énorme retard dans le processus général de développement qu’on a accusé depuis de nombreuses années pour pouvoir disposer d’une industrie développée, en ce qui concerne les médicaments et les vaccins en particulier.

Penser à fabriquer localement le vaccin est une stratégie pertinente et payante. En fait, on subit les aléas et les caprices des firmes qui fabriquent les vaccins et qui n’arrivent pas à honorer les commandes.

Même s’il y a eu des engagements, on a vu que tout au long du développement et de la production de ce vaccin, on peut à tout moment tomber dans des travers comme des ruptures dans les chaines de production, etc.

Est-ce que le projet de fabriquer le Spoutnik V en Algérie avance ?

Cette opération de la fabrication du vaccin pour sortir de ce guêpier qui est celui de la dépendance par rapport aux approvisionnements, est en très bonne voie. Elle est en bonne voie. Lorsque les conditions techniques et d’adaptation de certains équipements et seront réunies, les choses iront vite.

Je pense que c’est une question de 5-6 mois pour que cette la production du Spoutnik V en Algérie voie le jour.

C’est la meilleure façon d’augmenter la cadence et à ce moment-là, il ne faut pas arrêter de vacciner. Chaque jour de gagné, ce sont des vies qui seront épargnées.  Ce sera aussi un espoir pour que la vie normale puisse reprendre.

Comment jugez-vous la situation épidémique en Algérie ?

La situation est intéressante. En même temps ce serait intrigant de se dire que pendant que le nombre des contaminations est en train d’augmenter ailleurs, il est stable ou même en baisse en Algérie.

Actuellement, on n’a pas d’explication scientifique claire par rapport à ce bon résultat, mais il va falloir mettre en place une étude séro-épidémiologique pour rechercher les anticorps et dépister un très grand nombre de citoyens et ainsi apprécier le niveau des personnes immunisées.

Soit par contamination naturelle ou bien par la vaccination. C’est une étude qui s’impose pour pouvoir apprécier le niveau d’immunité collective de la population.

Une étude a été réalisée sur 1 000 personnes mais ce n’est pas encore suffisant pour extrapoler sur la population générale et dire qu’elle est totalement immunisée.

Parce que ce n’est pas le cas ailleurs. Il y a un autre élément objectif qui peut justifier ce bon résultat : c’est que ces contaminations qui progressent ailleurs sont constatées sur la partie nord de la planète, alors que les niveaux de contaminations en baisse sont enregistrés dans la partie sud.

C’est une particularité qui peut être liée au climat : au Nord où il ne fait pas encore trop chaud le virus trouve une vitesse de propagation assez importante, et dans le sud et notamment en Algérie et d’autres régions d’Afrique où il fait plus chaud, il n’y a pas eu d’explosion des contaminations.

Il y a un autre argument : la caractéristique jeune des populations des régions du sud et en particulier la population algérienne dont 70% a moins de 40 ans. Et souvent les jeunes n’est pas la frange la plus touchée par la maladie.

Autre point objectif : c’est celui d’avoir maintenue fermées les frontières extérieures pour faire barrage à l’intrusion et à la propagation des nouveaux variants, comme on le voit par ailleurs en Europe où le variant (dit) britannique a pris le dessus sur le virus historique, le Sars-Cov-2.

Deux tiers des contaminations sont dues à ce nouveau variant. C’est donc un point positif que d’avoir limité les brassages et les échanges pour qu’il n’y ait pas d’importation du virus mutant.

D’ailleurs les virus mutants diagnostiqués en Algérien, on voit bien que les foyers sont localisés dans des endroits un peu éloignés dans le sud (du pays) beaucoup plus proches des points frontaliers.

On sait que les variants du Covid-19 notamment britannique se propagent rapidement mais en Algérie on n’a pas constaté cela. Pourquoi ?

Mais c’est en train d’augmenter ! Quand on dépiste et on trace, sur une poignée d’une cinquantaine de cas, on peut facilement les isoler et ainsi casser la chaine de transmission.

Il ne faudrait pas laisser ces chiffres progresser par rapport aux contaminations à ces variants.

Parce que quand vous dépassez 400 ou 500 contaminations, vous ne pouvez pas par la suite pister les personnes qui ont été contaminées et retrouver les personnes source, etc., afin de faire des isolements et des quarantaines et casser la chaine de transmission.

Ces variants en Algérie sont connus et répertoriés, et ça c’est un point positif et c’est sûr que le risque pourrait se trouver dans des cas où des variants ne sont pas détectés et qui sont dans la nature.

Là ça peut constituer un danger et c’est pourquoi il va falloir toujours maintenir et renforcer toutes ces mesures de précaution et de protocoles sanitaires, d’une façon stricte et le plus longtemps possible.

Vous avez évoqué la nécessité de lancer une enquête de séroprévalence pour mesurer le niveau d’immunité collective. À qui échoit cette mission ?

Ces enquêtes de séro-épdiémiologie sont en principe lancées par les laboratoires qui dépendent du ministère de la Santé. Vous avez l’IPA, l’Institut de santé publique (SNSP), l’Agence nationale du sang, etc., qui sont en charge de ce volet.

Dans tous les cas, l’ANSS va aussi se positionner par rapport à cette enquête pour qu’elle puisse être mise en place le plus tôt possible et d’une façon concertée et coordonnée avec tous ces établissements qui sont impliqués dans le contrôle des épidémies et qui dépendent largement du département de la santé.

À l’occasion du Ramadan, le comité scientifique et le ministère de la Santé ont autorisé la prière des tarawih. Avez-vous des recommandations à donner ?

Le maintien de la prière des tarawih a été tranché par les autorités politiques avec l’accord du conseil du comité scientifique de suivi de la Covid.

Ce comité a travaillé en étroite collaboration avec les responsables en charge du culte pour pouvoir conseiller et mettre en place le dispositif sanitaire et faire en sorte que cette prière soit accomplie dans des conditions compatibles et avec un minimum de risques de transmission du virus.

Je ne suis pas très inquiet par rapport à la prière des tarawih dans la mesure où les dispositions de protocoles sanitaires doivent être strictement respectées.

En tant qu’expert international, avez-vous une idée de quand le monde sortira de cette pandémie ? 

Je suis optimiste parce que les personnes qui se contaminent sont en train de s’immuniser. Une immunité collective est en train de s’installer. Elle va se produire à un certain moment.

Mais on voudrait que l’on atteigne cette immunité collective le plus tôt possible. Les choses se compliquent par rapport aux variants, qui vont encore prolonger cette pandémie au-delà de ce qu’on prévoyait s’agissant de la souche historique.

Mais il y a la solution du vaccin. Il faudrait que cette « potion magique » soit disponible le plus tôt possible et le plus rapidement possible, tout le temps, et pour le maximum possible de populations.

Les plus lus