Économie

ENTRETIEN. Hassen Khelifati : « La suppression de la règle 49/51 est une bonne décision, mais… »

Le projet de Loi de finances complémentaire 2020 a été adopté dimanche dernier en Conseil des ministres. Le texte prévoit la suppression de la règle 49/51 sauf pour les secteurs stratégiques. Pourriez-vous nous raconter le contexte de son instauration en 2009 ?  

La suppression de la règle 49/51 généralisée à tous les secteurs est une avancée indéniable pour un retour à la normale dans le fonctionnement d’une économie orientée vers le développement universel.

Je rappelle que l’instauration de cette règle dans la foulée de la crise économique mondiale des subprimes de 2008 et la chute des prix de pétrole avait donné lieu à des soutiens sans réserves de la part des acteurs socioéconomiques de l’époque y compris le FCE.

À l’époque, j’étais membre de l’exécutif du FCE. Nous avions émis des réserves sur cette règle générale du fait de son application à tous les secteurs et nous avions plaidé pour une règle sélective par secteur stratégique.

Malheureusement l’euphorie générale ressentie à l’époque avait eu raison de nos aspirations et nous avons été mis en minorité. Certains acteurs ont tout fait pour encourager et imposer cette règle générale sans distinction en espérant récupérer des business ou des secteurs à moindre coût, en se positionnant avec des partenaires étrangers comme interlocuteurs privilégiés au détriment des intérêts de l’économie nationale.

Nous avons tout de même continué à militer pour son assouplissement et pour la suppression du caractère généralisé de cette règle qui a eu, des conséquences sérieuses sur l’image de notre économie ainsi que le stock IDE qui n’a cessé de diminuer, hormis certains secteurs comme les hydrocarbures qui obéit lui, à d’autres critères.

Je dois dire que malgré cela, nous avons quand même continué à défendre le choix souverain de l’Algérie ; il faut savoir qu’à son application, beaucoup de partenaires étrangers voyaient l’Algérie comme un marché dédié plus, à l’export qu’aux investissements à long terme.

Est-ce que sa suppression est une bonne chose pour l’économie nationale ?

La suppression de la règle du 49/51 est une bonne décision, car cela pourrait lever des entraves juridiques et psychologiques pour booster les investissements directs étrangers (IDE) dans notre pays mais, cela ne sera pas suffisant sans d’autres réformes structurelles profondes notamment dans le domaine de l’administration et du secteur financier.

Certes, c’est un bon début pour rétablir l’attractivité de l’Algérie sur la scène régionale des investissements étrangers car n’oublions pas que malgré nos atouts indéniables, nous sommes en concurrence avec d’autres pays dans la sous-région. Ces derniers offrent non seulement des avantages pour l’investissement et même un cadre de vie plus attractif pour les expatriés ce qui exacerbera leur désir de venir en Algérie mais aussi, les encouragera à transférer leur savoir-faire dans les meilleures conditions.

Par ailleurs, les experts ne prédisent pas de bonnes perspectives à court et moyen terme pour l’économie mondiale suite aux conséquences de cette pandémie de coronavirus Covid-19. Beaucoup d’acteurs économiques mondiaux sont entrain de subir des conséquences qui menacent leur survie et auront besoin de se concentrer sur leurs propres sauvetage et de ce fait, ils seront moins enclins à s’internationaliser faute de ressources financières suffisantes disponibles. La bataille de l’attractivité sera dure car les ressources disponibles seront limitées.

Les défenseurs de cette règle disaient qu’elle était bénéfique pour les entreprises algériennes… 

De notre avis, cette règle n’a pas été très bénéfique pour l’économie algérienne et encore moins pour nos entreprises. Les partenaires étrangers ont vu dans le marché algérien une opportunité très intéressante et ils se sont adaptés à cette règle par des montages juridiques très complexes qui leur ont permis de garder le contrôle de la situation et maintenir un contrôle du business sans engagement clair de transfert de technologie. Certains cas de partenariat notamment avec des partenaires publics locaux sont connus et rares sont les investissements qui ont créé de la valeur. Au contraire les pouvoirs publics se sont retrouvés obligés de réinjecter à l’infini des fonds avec des résultats financiers en déficit chroniques et permanents, ce qui laisse posée la question de l’efficacité de cette formule de partenariat et de la nécessité de contrôle et de rentabilisation des deniers publics.

En ce qui concerne le secteur privé, cela a permis à certains investisseurs de nouer des partenariats mais personnellement je ne connais pas le bilan financier et l’étendue du transfert de technologie qui aurait dû en découler.

L’un des obstacles à cette règle est la faiblesse des capacités financières disponibles des entreprises privées algériennes ainsi que la faiblesse de la place financière locale à les accompagner avec des montages et ingénierie financière et surtout une bureaucratie tatillonne, ce qui a rendu la participation des acteurs locaux à des projets structurants à fortes valeurs technologiques et capitalistiques, quasi nulle.

L’un des obstacles majeurs de cette règle est le contrôle du business bien que les textes ont essayé de rassurer les partenaires étrangers sur ce volet mais cela n’a pas suffi.

Nous avions proposé de compléter le dispositif par la facilitation aux partenaires étrangers à recourir à la Bourse d’Alger pour mobiliser l’appel à l’épargne public populaire pour les 51% notamment pour les projets à forte capitalisation et à apport technologique pour le pays avec une orientation export. Cela aurait eu comme avantage de disperser l’actionnariat local et donner aux partenaires le plein contrôle du business dans le cadre de la loi. Ça aurait dynamisé la Bourse d’Alger et lui aurait donné une profondeur et créé une nouvelle dynamique dans les IDE. Mais malheureusement la proposition n’a pas été retenue, mais elle reste valable même pour l’avenir dans des secteurs que l’État  algérien considère comme stratégiques et à forte capitalisation.

Sa suppression va-t-elle améliorer l’attractivité de l’Algérie vis-à-vis des investisseurs étrangers ? 

La suppression de cette règle pour tous les investissements étrangers est une bonne chose pour améliorer l’attractivité de l’Algérie auprès des investisseurs étrangers surtout en ces moments difficiles sur le plan économique néanmoins, à notre avis, il ne faut pas croire que les investisseurs vont faire se bousculer dès la promulgation de la LFC 20.

Pourquoi et que faut-il faire ?

Parce que le rétablissement de la confiance et de l’attractivité a besoin de temps car il est nécessaire que le dispositif soit complété par d’autres mesures telles que la levée des entraves bureaucratiques, bancaires et même consulaires lorsqu’il s’agira de délivrer des visas aux étrangers pour leur installation dans notre pays.

Donc, cette suppression est un premier pas important mais pas suffisant. Des réformes structurelles globales, profondes et irréversibles doivent être menées pour que cette nouvelle mesure prenne tout son sens.

L’Algérie et son marché sont en concurrence avec d’autres marchés de la sous-région qui offrent un environnement beaucoup plus attractif. Nous devons prendre cela en considération pour améliorer notre environnement des affaires et ce pour une meilleure attractivité de notre économie.

Oui, l’Algérie a des atouts indéniables mais elle doit les appuyer à des mesures attractives fortes et surtout dessiner une nouvelle vision, une stratégie claire, avec une stabilité réglementaire et juridique afin de donner des assurances et garanties aux futurs partenaires.

Le projet de LFC 2020 définit cinq secteurs stratégiques où la règle 49/51 n’est pas supprimée, dont la pharmacie, les ports, les industries militaires… Qu’est-ce qu’un secteur stratégique pour vous ?

L’Etat algérien a le droit régalien de choisir des secteurs stratégiques sur lesquels il souhaite développer des partenariats publics ou privés ; d’ailleurs ce choix, il est même proposé de le constitutionnaliser dans l’article 61 de la nouvelle mouture de la Constitution. Les secteurs à privilégier, sont ceux qui sont stratégiques, à forte capitalisation et apports technologiques qui peuvent avoir une incidence sur la vie de la population ou sur la sécurité de l’État comme la Défense nationale, les secteur de l’énergie, de l’eau, les ports et aéroports et probablement le secteur financier et bancaire, les télécommunications et certaines industries qui peuvent avoir un lien direct avec la sécurité du pays, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire etc…

Cependant, cela ne doit être élargi à l’infini pour revenir à la situation antérieure où l’investissement dans un petit site touristique était devenu stratégique.

Il est plus que nécessaire de prendre en considération les capacités financières du pays et l’équilibre de la balance de paiement en devises, car certaines activités sont de potentiels sources de sortie de dividendes et cela impactera les réserves de change. Il faut trouver le juste équilibre.

Il y a des secteurs à forte valeur ajoutée pour les investisseurs étrangers mais avec peu de transfert technologique pour le pays. Je cite par exemple l’immobilier commercial et le secteur du commerce et de la distribution qui doivent rester dans le giron national sinon cela risque de devenir une source de transfert de dividendes qui pourra déstabiliser notre balance devises qui est déjà très fragile.

À titre d’illustration, je pourrais citer le secteur de l’industrie pharmaceutique et son apport non seulement dans la recherche et du développement qui nécessitent des investissements capitalistiques colossaux que nous ne possédons malheureusement pas. Je me dois de souligner que le maintien, selon des échos de presse, de l’obligation de partenariat dans les secteurs stratégiques et plus particulièrement dans l’industrie pharmaceutique en cette période de crise sanitaire est une bonne décision.

Certes, des investisseurs locaux de qualité existent en Algérie avec à leur actif des réalisations concrètes et pour cela il faut faciliter les contacts avec des laboratoires de renom et de qualité. Il faut leur permettre de réaliser avec eux des partenariats afin de répondre à la demande nationale et aux besoins en médicaments stratégiques et réduire ainsi les ruptures de stock afin de satisfaire les besoins de santé publique, en apportant de l’innovation et du savoir-faire en Algérie et réduire ainsi, la dépendance aux produits importés et se positionner sur les marchés régionaux d’export.

Lors de la dernière sortie médiatique du président de la République, il a fait une annonce importante concernant la réouverture de l’investissement dans le secteur bancaire aux capitaux algériens même à travers la finance islamique.  C’est une avancée indéniable. Idem pour la décision du Conseil des ministres de créer l’Agence nationale de l’aviation civile qui est peut être le prélude à la réouverture du secteur aérien à la concurrence nationale nécessaire à son développement et son épanouissement dans le cadre de l’amélioration de la disponibilité et la qualité de service avec la sécurité des passagers.

La LFC 2020 prévoit l’annulation du droit de préemption et son remplacement par l’autorisation préalable des investissements étrangers, et l’annulation de l’obligation de leur financement à travers le recours aux financements locaux. Est-ce que cela va améliorer l’attractivité de l’Algérie ?

C’est une mesure qui va compléter le dispositif et annuler non seulement une entrave bureaucratique qui n’a jamais rien ramené à l’Algérie notamment pour les investissements dans la PME/PMI hors secteur des hydrocarbures.

Elle a plus créé des entraves et des frustrations, détruit des projets et porté atteinte à l’image du pays et de son administration vis à vis de l’étranger.

Le recours exclusif à des financements locaux pour les IDE a pénalisé l’Algérie car l’investisseur étranger au lieu d’injecter des capitaux et créer un flux entrant de devises étrangères pour avoir le droit de transférer les dividendes résultant de cet investissement, il a trouvé une opportunité légale offerte par la réglementation algérienne, d’investir à moindre flux financier entrant de l’étranger. Pire encore, il avait le droit de transférer des dividendes en devises résultant de son financement en Dinars. L’Algérie était doublement pénalisée avec un flux devises minimum et un transfert de dividendes maximum. La suppression de cette règle n’est qu’un juste retour aux règles universellement admises.

Dans l’automobile le régime préférentiel du système CKD/SKD est annulé, et les concessionnaires peuvent à nouveau importer des véhicules neufs. C’est un constat d’échec de l’ancien modèle. Quel impact sur le secteur automobile ?

L’instauration de ce régime n’a pas atteint ses objectifs ni sur le plan industriel, ni sur le plan de développement de la filière, ni sur le plan de la disponibilité.

La gestion de ce dossier a donné lieu à des abus et des dérapages qui sont connus et qui ont pénalisé le Trésor public et les consommateurs et provoqué des dégâts importants  à cette filière.

La révision de ce dispositif ainsi que le retour des concessionnaires vont faire baisser la tension sur la disponibilité des véhicules, rétablir le droit du Trésor à percevoir les impôts et taxes, rétablir les réseaux  de service après-vente des concessionnaires avec des emplois et un savoir-faire.

Quant à l’industrie du montage, elle peut se développer avec un dispositif particulier par l’encadrement, l’encouragement de l’installation des sous-traitants pour la fabrication de pièces de rechange et en transfert technologique ainsi que le relèvement graduel du taux d’intégration réel local en contrepartie d’avantages financiers et fiscaux.

Les mesures contenues dans la LFC 2020 peuvent-elles permettre la relance de l’économie en panne depuis 2019 ? 

À notre avis, ce sont les premières mesures d’encadrement qui auront besoin de textes réglementaires d’application et qui doivent être promulguées dans la foulée pour ne pas perdre en efficacité.

La relance économique a besoin de plus qu’une loi de finances pour être efficace surtout après plusieurs années d’absence de réformes sérieuses, profondes et irréversibles.

La relance économique ne peut réussir si la science et le savoir ne sont pas placés au cœur des reformes à la place de la bureaucratie et de la gestion de l’économique sans rendre des comptes sur les résultats.

La relance ne peut être réussie sans la réforme de l’administration, la numérisation, la débureaucratisation, la redevabilité, le recours à la justice en cas d’abus ou de fait du prince.

La relance ne peut être effective et réelle sans la mère des réformes qui est celle du marché financier et bancaire, son ouverture, le développement du e-commerce et des moyens de paiement.

La relance économique ne peut réussir sans la mise en place d’instances de régulation réellement indépendantes et qui arbitrent entre les acteurs en toute impartialité.

La relance ne peut être réussie si on garde un système de dichotomie public/privé avec son corollaire discriminatoire et de concurrence déloyale.

La relance ne peut réussir sans développer le débit internet et les services qui vont avec afin de libérer les initiatives entrepreneuriales et la nouvelle économie.

Donc pour résumer, les premières mesures annoncées dans la LFC 20 seront les premières briques de cette relance attendue mais elles ont besoin de beaucoup d’autres briques afin de consolider les fondations d’une relance solide, réussie et irréversibles.

Les mesures d’austérité déjà annoncée comme la réduction de 50% du budget de fonctionnement et le gel des projets d’équipements non lancés ne vont-elles pas fragiliser davantage les entreprises ?

C’est l’une des fragilités de notre modèle économique basé sur la commande publique dont dépendent des pans entiers de nos entreprises. Et toutes les décisions d’augmentation ou de réduction de la commande publique ont un impact direct sur les entreprises. Et cela a toujours un effet boule de neige sur le chômage, la consommation et la croissance du PIB. D’où l’urgence de sortir de ce modèle en termes de financement exclusif des infrastructures sur budget de l’État et la nécessité de libérer notre économie de la dépendance, de la rente pétrolière et assurer sa diversification par la libération des initiatives et investissements locaux, les réformes structurelles nécessaires, le développement des partenariats IDE tourné vers l’export.

Il est plus que nécessaire que les entreprises algériennes sortent du modèle du financement par la rente et la commande publique.

Que faut-il faire pour relancer l’économie ? 

Pour relancer l’économie, à notre modeste avis, il faut mettre le savoir et la science au cœur de la réflexion au lieu des palabres et visions bureaucratiques pour la prise du pouvoir et le contrôle de la sphère économique sans efficacité réelle.

Il faut que l’État

– Définisse une vision, des objectifs et des outils pour y arriver et mesurer à chaque étape afin d’améliorer ou corriger.

– Définisse un modèle économique clair et définitif, sur ce point, nous pensons qu’il peut y avoir un consensus sur un modèle proche de l’économie de marché à caractère profondément social.

– Change de doctrine et accepte la compétitivité et la compétition en toute égalité entre les acteurs de la place.

– Redéfinisse son rôle de législateur-régulateur garant des lois et abandonner le rôle d’acteur économique concurrent des entités privées.

– Ait un rôle d’arbitre indépendant et à équidistance de tous les acteurs de la scène économique et garant de l’indépendance des instances de régulation.

– Engage un débat sans interrompre les réformes intermédiaires, écouter les acteurs du terrain afin de mieux cibler les actions correctives efficaces.

– Engage un plan de réformes structurelles courageuses profondes et irréversibles dans tous les domaines et secteurs et en mesurer l’efficacité et l’efficience à chaque étape.

C’est à ce prix que l’Algérie pourra relancer son économie et construire une économie moderne, créatrice de richesses, de valeurs et d’emplois. Il faut que la rente pétrolière devienne un élément constitutif de ce modèle et pas le moyen central avec toute la vulnérabilité des enjeux mondiaux liés au prix des hydrocarbures sur lequel nous n’avons aucune possibilité d’influence majeure.

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