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ENTRETIEN. Pr Khiati : le séquençage est une « question de sécurité nationale »

ENTRETIEN. Pr Khiati : le séquençage est une « question de sécurité nationale »

Après avoir lancé l’alerte sur les risques d’importer les variants du coronavirus, le président de la Forem, le Pr Mostefa Khiati, déplore le retard immense qu’enregistre l’Algérie dans le domaine du séquençage de la Covid-19. Pour lui, le séquençage est une question de sécurité nationale. Le Pr Khiati pointe les défaillances, dans ce domaine, de l’Institut Pasteur d’Algérie et de l’Agence de sécurité sanitaire (ANSS).

Grâce à la technique du séquençage, des versions mutantes du Sars-CoV-2 ont été découvertes notamment en Angleterre et en Afrique du Sud. Des mutations plus contagieuses et apparemment plus mortelles. Un commentaire ?

Je dois d’abord rappeler que l’IHU Méditerranée de Marseille (France) a été l’un des premiers laboratoires à se préoccuper de cette question en effectuant des milliers de séquençages. C’est d’ailleurs (l’IHU) qui a attiré l’attention sur le variant 4 à l’origine de la 2e vague de la pandémie en France.

De son côté, l’Angleterre, le 2e pays à faire des séquençages à une échelle importante, a démontré grâce à cette technique qu’un variant du Covid est à l’origine des flambées des contaminations dans le pays. C’est ce qu’a fait l’Australie, ou encore l’Afrique du Sud, etc.

Beaucoup de pays font des séquençages. Je considère indispensable de lancer cette technique de séquençage.

Aujourd’hui, peut-on dire quel type de souche du Covid-19 circule en Algérie ?

C’est clair qu’on ne le sait pas. Les experts de la délégation chinoise qui avaient séjourné en Algérie en mars-avril dernier, ont avancé que le Covid qui circulait à cette période-là en Algérie était de la même souche que celui qui sévissait en France.

Sur quoi s’étaient-ils basés ? Je dirais que c’est fantaisiste de tirer des conclusions de cette façon, lorsqu’on n’a pas fait l’étude génétique.

Avec les opérations de rapatriement des Algériens bloqués à l’étranger, et quand bien même les frontières sont toujours fermées, y aurait-il tout de même des chances qu’un des variants du Covid arrive en Algérie ?   

Aujourd’hui, je ne le pense pas, autrement on aurait assisté à une flambée de l’épidémie. Au moins des clusters avec des cas nombreux, etc. Il ne semble pas, je dis bien il ne semble pas, sans être sûr, que ce soit le cas.

On ne peut pas arrêter les rapatriements, les Algériens ont le droit de rentrer chez eux. Cependant, même si on exige aux voyageurs un test PCR avant l’embarquement, il est également indispensable de réaliser des tests PCR à l’arrivée en Algérie.

Si on n’arrive pas à le faire, il faut appliquer un confinement pendant au moins dix jours. On ne peut pas aujourd’hui jouer avec la santé de la population.

Qui est censé réaliser le séquençage en Algérie ?

C’est à l’Institut Pasteur d’Algérie (IPA) d’identifier les différents virus (mutants). Il dispose d’un département de virologie à Sidi Fredj, et donc il était appelé à assumer cette mission.

Malheureusement, l’IPA s’est transformé en EPIC et passe son temps à vendre ce qu’il importe, notamment des allergènes pour la désensibilisation aux médecins privés.

Il a des missions qui, normalement, ne doivent pas relever de sa compétence comme les examens physicochimiques. Il y a aujourd’hui des laboratoires mieux équipés avec un meilleur personnel, à l’instar du Centre de recherche scientifique et technique en analyses physicochimiques (CRAPC), relevant de la direction de la recherche au ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique (MESRS), ou bien le Centre algérien du contrôle de la qualité et de l’emballage (CACQE) sous tutelle du ministère du Commerce.

Ils sont les plus habilités. L’IPA devrait orienter son activité essentiellement vers la recherche. Aujourd’hui, on vit des moments difficiles et d’ailleurs on sent ce manque important de possibilités de recherche.

Pour faire le séquençage du Covid-19, l’Algérie manque-t-elle d’équipements, de personnels ? Ou s’agit-il d’un problème d’anticipation ?

Il est vrai qu’il y a des séquenceurs en Algérie, un à Constantine et un second à Oran. Néanmoins, ce sont des équipements d’ancienne génération, alors qu’aujourd’hui on a plus besoin de séquenceurs dits à flux importants et qui pourraient répondre à la demande du fait de l’existence de nombreux virus, ce qui nécessite des examens quotidiens afin de détecter des modifications.

C’est un travail permanent qui ne peut pas être occasionnel. Nous avons des personnels capables de faire ce travail, ce qui m’amène à dire qu’il ne s’agit pas d’un problème d’encadrement humain, mais essentiellement un problème de réactifs et d’équipements.

Clairement, il y a un manque d’anticipation. Et c’est là aussi qu’on aurait dû voir s’exprimer l’Agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSS, présidée par l’immunologue le Pr Kamel Senhadji, ndlr). C’est son domaine. C’est à elle de dire ce qu’il faut faire à l’avenir, etc.

Or, l’ANSS  ne s’est toujours pas exprimée sur ce point, évoquant néanmoins la vaccination. Or, cette dernière est du ressort du ministère de la Santé. Le rôle de l’ANSS c’est de faire des projections, et à ce titre elle aurait dû se prononcer sur l’importance de séquencer.

Hormis les variants du Covid-19, quels sont les autres avantages du séquençage ?  

En fait, le séquençage va beaucoup plus loin, et on aurait dû commencer par séquencer le génome humain algérien. Aujourd’hui, connaître son génome potentiel de sa population fait partie de la sécurité nationale d’un pays.

Le but est de savoir quelles pourraient être les maladies qui risquent de survenir dans le futur. C’est un élément très important. Grâce au séquençage, on peut prévoir si certaines personnes, dès la naissance, vont développer une maladie comme le diabète (cas d’antécédents familiaux, ndlr).

C’est la même chose pour beaucoup d’autres maladies qui ont une assise génétique. Aujourd’hui, nous sommes face à une pandémie, l’on sait que les virus se multiplient très rapidement et par voie de conséquences ils changent. Soit en perdant un fragment d’un composant génétique ou bien en intégrant un autre. Ou alors carrément en mutant ce qui implique un changement dans la structure de leur potentiel génétique.

Tout cela doit être connu, car (de cette connaissance) dépend parfois l’évolution de la pandémie. Prenons l’exemple de la grippe : il y a un séquençage qui se fait par des laboratoires à l’échelle internationale, justement à la recherche d’une mutation.

Et c’est pourquoi le vaccin antigrippal change chaque année pour s’adapter à la mutation. Ce grâce à la connaissance du potentiel génétique du virus. C’est valable pour tous les autres virus : il faut les suivre et effectuer des séquençages.

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