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ENTRETIEN – Saâdeddine Marzoug : « Les juges subissent toujours des pressions et des menaces »

ENTRETIEN – Saâdeddine Marzoug : « Les juges subissent toujours des pressions et des menaces »

Saâdeddine Marzoug est porte-parole du Club des magistrats, un syndicat en cours de constitution. Il parle dans cet entretien des pressions et des menaces à l’encontre des magistrats, répond à ceux qui leur reprochent de privilégier l’amélioration de leur situation sociale et dévoile le point de vue des juges vis-à-vis de l’élection présidentielle prévue le 12 décembre.

La grève illimitée des magistrats constitue un précédent dans le secteur de la justice. Que pensez-vous de cette initiative ?

Il n’y a pas doute, la grève des magistrats constitue un précédent. Elle permet de tirer la sonnette d’alarme sur la situation des juges individuellement et de la justice en tant que pouvoir censé être indépendant mais qui ne l’est pas.

La grève est un cri de détresse de jeunes et de cadres qui perçoivent une rémunération qui ne leur garantit pas une vie décente. C’est aussi le cri de juges devenus des serviteurs du pouvoir exécutif et de ses mafias qui soutiennent l’appareil répressif officiel.

C’est le cri de magistrats dont la dignité est bafouée quotidiennement par le ministère de la Justice et ses relais au sein des juridictions, nommés depuis 1962 sur la base des seuls critères de l’allégeance et de la corruption. C’est le cri de juges qui vivent éloignés de leurs familles, qui supportent des conditions difficiles, parfois de l’humiliation, pour assurer à leurs familles un minimum de vie décente.

Votre grève est-elle destinée à libérer la justice ou c’est juste un mouvement social ?

La question est pertinente mais elle est devenue vexante pour beaucoup de juges intègres, en ce sens qu’elle traduit la vision des clans au pouvoir depuis l’indépendance qui ont intérêt à ce que le juge soit perçu comme un corrompu. Leur but est de provoquer une cassure entre le peuple et le juge afin d’utiliser celui-ci pour exécuter des agendas politiques.

En vérité, comme dans tous les autres secteurs, il y a dans la justice des hommes intègres, comme on peut y trouver des corrompus, des soumis et des opportunistes. Par exemple, le Club des magistrats d’Algérie a affiché plus d’une fois son soutien au hirak populaire depuis son déclenchement, refusé de superviser les élections du cinquième mandat et le prolongement (du quatrième mandat, NDLR), appelé au départ du président de la République de l’époque, demandé au ministre de la Justice du système corrompu de s’éclipser et attaqué l’État profond et ses services de renseignement.

Il a aussi refusé de superviser les élections prévues le 4 juillet dernier sans la révision des textes relatifs aux élections et exigé le départ des « B ». Tout cela, malgré ce que les membres du Club avaient subi comme pressions, menaces et sanctions dans le cadre d’un système judiciaire fondé sur la peur et l’obligation d’obéissance.

Quant aux revendications sociales, certains peuvent considérer que le moment n’est pas propice pour les soulever, et c’était l’avis d’une partie des membres du club des magistrats à un moment donné, mais il faut comprendre que la grève des juges, même si une partie de ses revendications relève des questions socioprofessionnelles, est importante dans le processus de l’indépendance de la justice.

Elle a permis d’unir tous les magistrats malgré leurs différences et de briser le mur de la peur face au pouvoir exécutif. Elle constitue un point positif pour le hirak populaire et le processus d’édification de la nouvelle Algérie basée sur les libertés collectives et individuelles et sur l’Etat et la société de droit.

Quelle est la position des juges vis-à-vis de l’élection présidentielle du 12 décembre ?

Le Club des magistrats d’Algérie a toujours été en tête de ceux qui ont apporté leur soutien au hirak populaire depuis le 22 février. Mais il faut reconnaître que le hirak n’a plus l’ampleur qu’il avait avant fin avril, au moins du point de vue de la mobilisation, pour différentes raisons.

C’est pour cela que la majorité des membres du Club des magistrats ont estimé opportun de garder nos distances vis-à-vis de tous, conformément au principe de la neutralité, même si chaque membre à ses propres convictions. Mais je réitère que la position du Club et de tous les magistrats sera en faveur du peuple, source de tout pouvoir.

Le juge continue-t-il à subir des pressions dans l’exercice de ses fonctions ?

Je réaffirme que les juges ont subi et subissent toujours des pressions, venant parfois du plus haut niveau, directement ou implicitement, et cette grève en est une preuve supplémentaire.

Les pressions et les menaces de couper le gagne-pain est un élément essentiel dans le fonctionnement du système judiciaire algérien. Leur but est de briser la volonté du juge de s’affranchir de la domination du pouvoir exécutif.

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