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Erdogan, héraut de la cause palestinienne ?

Au lendemain des massacres perpétrés par l’armée israélienne à Gaza, le président turc, Recep Tayip Erdogan, a convoqué un sommet extraordinaire de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) qui s’est tenu ce vendredi 18 mai à Istanbul.

Dans le communiqué final du sommet, les 57 pays participants ont appelé à une “commission d’enquête internationale” pour faire la lumière sur ces tueries ainsi qu’à “une protection internationale pour le peuple palestinien, y compris par l’envoi d’une force de protection internationale”.

Avant l’ouverture du sommet, le président turc avait harangué les foules au centre d’Istanbul où des milliers de personnes s’étaient rassemblées en soutien aux Palestiniens. Erdogan a affirmé que “les violations commises [par Israël] à Jérusalem et en Palestine s’expliquent par les divisions et les différends entre les musulmans eux-mêmes” en ajoutant que si ces derniers étaient plus unis, “Israël ne pourrait pas poursuivre ses violations”.

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Le président turc avait déjà convoqué un sommet similaire de l’OCI en décembre 2017 au lendemain de la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis. Ce n’est pas la première fois que Recep Tayip Erdogan se pose en héraut de la cause palestinienne puisqu’il est un habitué des effets de rhétoriques explosifs contre Israël ce qui lui vaut une grande popularité dans son électorat de base et dans le monde arabe.

Mais ceci peut-il cacher que son pays, la Turquie, soit un allié de longue date d’Israël avec qui il entretient un partenariat stratégique multiforme, y compris dans le domaine militaire ?

La Turquie, seul pays musulman allié d’Israël

Le sultan ottoman Abdulhamid II avait bien tenté de s’opposer aux premières colonies agricoles juives en Palestine vers la fin du XIXe siècle, au début de l’émergence de la mouvance sioniste, mais cette dernière profitera du partage des possessions de l’empire ottoman entre la France et le Royaume-Uni conformément aux accords de Sykes-Picot de 1916, et du transfert de la Palestine sous domination britannique, pour amplifier sa présence, ce qui débouchera sur la proclamation de l’État israélien en 1948.

Retournement de l’histoire, Ankara a été le premier État musulman à reconnaître Israël en 1949 ce qui sera le début d’une solide alliance entre la Turquie et Israël.

En 1958, David Ben Gourion, alors Premier-ministre, et Golda Meir, alors ministre des Affaires étrangères israéliens, effectuent une visite à Ankara pour signer un accord secret de non-agression et d’échange de renseignements et portant sur la mise à profit mutuelle des lobbys à Washington.

À l’issue de la guerre des Six jours en 1967, la Turquie votera le retrait des troupes israéliennes des territoires occupés mais refusera de reconnaître Israël comme l’agresseur et de rompre ses relations diplomatiques avec le régime sioniste.

Les accords d’Oslo voient un rapprochement turco-israélien accéléré avec la signature en 1996 d’un accord militaire et d’échange de haute technologie qui permet à l’armée israélienne d’utiliser les espaces aériens et maritimes turcs pour s’y entraîner. En 2002, la Turquie, riche en eau, signe un accord d’un milliard de dollars pour l’approvisionnement de 50 millions de m3 d’eau douce par an à Israël qui solutionne ainsi son problème d’eau. La Turquie accueille également de nombreux touristes israéliens chaque année et coopère régulièrement avec Israël sur le plan culturel. Les échanges commerciaux s’élevaient quant à eux à près de 5 milliards de dollars en 2015.

Rupture et réconciliation

Mais les relations entre les deux pays traversent régulièrement des zones de turbulences. La Turquie a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en 2010 après que la marine israélienne ait pris d’assaut le Mavi Marmara, un ferry turc faisant partie d’une flottille humanitaire pour Gaza. L’attaque israélienne qui a eu lieu dans les eaux internationales, fera 10 morts, tous de nationalité de turque. La Turquie a rappelé son ambassadeur en Israël, exigé des excuses pour la mort de ses ressortissants ainsi que la levée du blocus sur Gaza en échange de la normalisation des relations.

En 2013, le premier-ministre israélien, Benjamin Netanyahu, présente ses excuses à la Turquie et en juin 2016 Israël et la Turquie signent un accord portant sur le versement par Israël de 20 millions d’euros aux familles des victimes. Cet accord porte aussi sur l’acheminement de 10 000 tonnes d’assistance humanitaire turc à Gaza et la construction d’une centrale électrique, d’une usine de dessalement d’eau et d’un hôpital dans l’enclave palestinienne.

Même si la Turquie ne parvient pas à obtenir la fin du blocus sur Gaza, elle rétablit ses relations diplomatiques avec Israël fin 2016.

Les observateurs avaient à l’époque évoqué plusieurs facteurs ayant contribué à cette réconciliation. Le premier est qu’après avoir rompu ses relations avec Israël en 2010, à un moment où elle voulait s’affirmer comme puissance régionale, la Turquie s’est sentie isolée avec la guerre civile syrienne et menacée par l’alliance des forces kurdes avec les États-Unis contre l’organisation de l’État islamique.

Le deuxième est qu’aussi bien la Turquie qu’Israël voient d’un mauvais œil le regain d’influence de l’Iran dans la région. Le troisième tient au fait que les États-Unis aient fait pression sur leurs deux vrais alliés dans la région pour qu’ils se réconcilient.

Le dernier facteur est celui d’intérêts énergétiques partagés entre Turquie et Israël qui voudraient exploiter les gisements de gaz de l’est de la Méditerranée, car Ankara voudrait réduire sa dépendance au gaz russe tandis qu’Israël veut exporter ce gaz vers l’Europe.

Quel sens donner aujourd’hui à l’activisme d’Erdogan sur la Palestine alors qu’Israël, dont l’ambassadeur a été invité à quitter Ankara pour “un certain temps”, est l’un des alliés les plus proches de son pays ? Peut-être est-il en train de se préparer aux élections présidentielles et législatives anticipées du 24 juin prochain en Turquie ? C’est souvent l’astuce de dirigeants se trouvant dans une impasse sur la scène nationale que de soigner leur stature internationale pour des considérations internes purement électoralistes.

Avec une Ligue arabe phagocytée, incapable de se mobiliser efficacement sur la cause palestinienne, Erdogan ne pouvait rater une occasion en or de jouer les leaders du monde musulman et de tirer sur une corde sensible de son électorat de base.

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