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Exclusif. Exploration de Mars : la mission Perseverance expliquée par le Pr Noureddine Melikechi

Exclusif. Exploration de Mars : la mission Perseverance expliquée par le Pr Noureddine Melikechi

Que pouvez-vous nous dire sur le lancement du rover Perseverance ?

Le lancement du rover Perseverance de la NASA, prévu le 30 juillet (fenêtre de lancement jusqu’au 15 août 2020), est le prolongement logique des précédentes missions sur Mars et dont le lancement se fera à partir de la base aérienne de Cap Canaveral en Floride.  Si le lancement de ce rover d’un peu plus d’une tonne, la navigation, l’entrée et la descente sur Mars se passeront bien, Perseverance ‘’atterrira’’ le 18 février 2021 dans le cratère Jezero. Cet endroit a été choisi par les scientifiques car c’est un ancien lac asséché qui n’est pas loin d’un delta de rivière fossilisée et est donc susceptible d’avoir une histoire intéressante et potentiellement utile à connaitre en lien avec l’eau. Cette date marquera le début d’une nouvelle ère scientifique. Perseverance s’annonce déjà comme une mission passionnante car susceptible de révéler de nouveaux secrets sur la planète Mars et éventuellement sur la planète Terre.

Qu’espérez-vous accomplir avec Perseverance que vous n’avez pas pu faire avec Curiosity ?

Les deux rovers ont des objectifs scientifiques différents mais complémentaires. Le rover Curiosity qui a ‘’atterri’’ sur Mars en août 2012 est toujours opérationnel. Conformément à ses objectifs scientifiques, ses investigations ont fourni de nouvelles informations sur la géologie et l’environnement de Mars et ont révélé que, il y a quelques milliards d’années, Mars avait de l’eau liquide dans les lacs et les rivières à sa surface.

Le rover Perseverance, comme son successeur, est équipé d’une charge utile instrumentale et analytique capable d’éclairer des questions scientifiques que Curiosity ne peut pas aborder. Par exemple, Perseverance sera en mesure d’identifier un large éventail de molécules organiques susceptibles de fournir de nouvelles informations sur les bio signatures formées dans les anciens environnements martiens et de contribuer à la planification de futures missions sur Mars axées sur l’astrobiologie. Le rover Curiosity n’est pas équipé pour de telles études. Par contre, Perseverance est conçu pour pouvoir recueillir des échantillons scientifiquement prometteurs qui pourront être récupérées plus tard par d’autres rovers qui seront lancés pour le compte d’autres missions spatiales pour être analysés sur Terre.

Que signifie la mission Mars 2020 en termes d’exploration de la surface de la planète rouge par des astronautes humains au cours de la prochaine décennie ? Le rover ouvrira-t-il la voie aux futurs astronautes ?

L’un des objectifs scientifiques du rover Perseverance est de contribuer à la préparation de l’exploration humaine de Mars. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, des études pourront être menées sur la planète Mars pour ouvrir la voie à l’exploration humaine de la planète Mars. Ceci se fera, entre autres, en caractérisant la géologie et le climat de la partie de la planète où Perseverance sera utilisé, c’est-à-dire le cratère Jezero, et en mettant en œuvre des technologies capables de produire de l’oxygène à partir de l’atmosphère martienne. L’idée est d’éventuellement utiliser cet oxygène produit sur la planète Mars pour la propulsion d’engins qui ramèneront sur Terre les humains qui auraient fait le voyage sur Mars.

Quel est l’intérêt d’explorer la planète Mars ?

L’exploration de la planète Mars est une aventure scientifique et technologique très complexe qui diffère des autres missions spatiales dans le sens où elle n’est pas figée dans le temps.  Elle peut apporter des réponses à des questions fondamentales sur la vie et en même temps en poser de nouvelles.  D’une certaine façon, elle se fait pour satisfaire la curiosité de l’être humain qui aspire depuis la nuit des temps à savoir s’il y a une vie ailleurs que sur Terre, mais aussi pour ouvrir la voie et préparer l’exploration humaine de la planète rouge.

Nous savons que Mars avait à un certain moment de son histoire des rivières en surface, et que l’eau liquide y était présente, un peu comme notre Sahara quand l’Afrique du Nord était bien plus humide qu’aujourd’hui. La question que l’on se pose alors :  où est passée cette eau ? Est-elle sous la surface de Mars, si oui, qu’y a-t-il d’autres ? En plus de son côté purement scientifique et prestigieux, la mission Mars est une véritable opportunité pour le développent de nouvelles technologies telles celles pour la recherche de l’eau, l’exploration minière, la navigation, la détection de traces de gaz, l’imagerie, et bien d’autres applications. D’ailleurs, nous voyons que certains pays se mettent à investir leurs ressources humaines, scientifiques et autres pour justement étudier Mars, voire même pour son exploration. Trois missions spatiales vers la planète Mars sont lancées ce mois de juillet 2020.

En plus de Perseverance, il y a la mission Hope des Émirats Arabes Unis qui utilisera trois instruments scientifiques pour étudier l’atmosphère, la météo et le climat de la planète rouge partir d’une sonde spatiale et la toute première mission chinoise sur Mars, Tianwen-1 qui se compose d’un orbiteur, d’un atterrisseur et d’un rover de 240 kilogrammes.

Que pensez-vous de l’envoi d’êtres humains sur la planète Mars ?

En 1969, la NASA a présenté à l’administration de l’ex-président Nixon un plan pour l’envoi d’êtres humains sur la planète Mars.  La première question qui se pose est pourquoi partir sur Mars ?  A mon humble avis, si on devait y aller, ce serait pour le challenge scientifique, pour inspirer les jeunes et aussi pour répondre à des questions que l’être humain se pose sur notre planète voisine, Mars. Ceci dit, est-ce nécessaire d’envoyer des êtres humains au vu des progrès considérables de la robotique ? Progrès qui ont déjà permis des découvertes très importantes sur la planète Mars, notamment par les rovers Curiosity, Spirit et Sejourner.

Certains scientifiques pensent que l’envoi d’êtres humains sur Mars permettra de résoudre ou d’éviter bien des problèmes techniques que la robotique n’a pas encore résolus et estiment aussi qu’envoyer des humains sur Mars fait partie du processus scientifique ‘’normal’’. Ces visiteurs pourront bâtir une infrastructure sur Mars qui pourrait servir de base pour continuer l’exploration spatiale.  Personnellement, je pense qu’il serait plus sage d’investir sur la robotique et la technologie de manière générale que sur l’envoi d’humains sur la planète Mars et tenter de relever les défis qui se posent. Ce faisant, le développement de la robotique, de l’imagerie, de la détection et des technologies de transfert et de traitement des données trouveraient incidemment des applications directes pour les humains sur Terre. Dans notre monde terrestre, il y a malheureusement encore trop de maux sociaux, écologiques, disparités, pauvreté, et j’en passe.

A mon humble avis, il serait plus sage d’apprendre à prendre soin de notre planète Terre qui est si fragile à présent et à prendre soin de ceux et celles dont la vie en dépend, humains, animaux et végétaux avant qu’il ne soit trop tard. Pour que cela puisse se faire et commence à prendre forme, il serait peut-être utile de se rendre à l’évidence : nous vivons tous et toutes sur une seule et même planète, nous avons beaucoup à faire et encore plus à apprendre les uns(e)s des autres.

Vous travaillez aussi sur la détection du cancer ? Pouvez-vous nous en dire plus ? Est-ce que cette recherche est liée à celle sur Mars ?

Justement, parlant de prendre soin de vies, je veux consacrer une partie de mon temps à contribuer au combat contre le cancer, une maladie qui emporte chaque année des millions de vies humaines.  Pour comprendre l’approche que nous suivons, notez qu’en général, nous consultons les médecins une fois que nous ne nous sentons pas bien, c’est-à-dire après avoir ressenti une douleur ou un malaise. Mon équipe de recherche travaille sur le développement de technologies qui puissent permettre la découverte précoce de signatures de cancers c’est-à-dire bien avant que nous ressentions un malaise ou une douleur. Les chances de guérison de la maladie seront alors bien plus élevées. Nous cherchons à le faire de manière mini-invasive, c’est-à-dire par l’étude des fluides biomédicaux tel le sang, les urines, et/ou les salives de façon à ce que ce type de technologies soit accessible à un nombre relativement élevé de personnes. Pour cela, nous combinons la puissance des lasers, l’intelligence artificielle et/ou les nanotechnologies.

À ce jour, nous avons obtenu des résultats très encourageants mais le chemin à parcourir est encore long car il y a encore des défis scientifiques à relever. Si nous pouvions détecter précocement les signes de maladies comme les cancers, nous aurions fait un énorme pas en avant en contribuant au développement de la médecine préventive.


Noureddine Melikechi, D. Phil.

Membre des missions scientifiques de la NASA Curiosity et Perseverance

Professeur de Physique et Doyen du Kennedy Collège des Sciences, University of Massachusetts Lowell

Fellow de l’Association Américaine pour le Développement des Sciences (AAAS), de la Société Américaine de Physique (APS) et de la Société Américaine d’Optique (OSA)

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