Économie

Fortes taxes sur les importations : un autre coup d’épée dans l’eau ?

Encadrement des importations, acte II. Après les licences, les fortes taxes. Le gouvernement s’apprête en effet à lever le système des interdictions, des quotas et des licences. En lieu et place, de fortes taxes sur certains articles, pouvant aller de 30 à 200% du prix du produit. C’est dans l’avant-projet de Loi de finances complémentaire 2018 qui passe ce jeudi en Conseil des ministres.

L’on ne sait pas quel sort sera réservé à cette disposition, tout comme d’ailleurs à celle relative à la hausse des taxes sur les documents biométriques, mais il est certain que si elle est entérinée et passe ensuite le cap du Parlement, ce serait un autre grand chamboulement pour le commerce extérieur de l’Algérie dont la législation connaît une instabilité chronique depuis quelques années.

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Des taxes allant de 30 à 200 %

Dans le brouillon du PLFC, aucune précision autre que la fourchette des taxes n’est fournie. La première interrogation a donc trait aux catégories de produits concernées et dans quelles proportions. Logiquement, c’est le canevas des licences qui devrait être reproduit, en ce sens que les nouvelles taxes, appelées le droit additionnel dans le jargon douanier, sont censées remplacer le dispositif des licences et des quotas.

Premier responsable à s’exprimer officiellement sur la question depuis la fuite dans la presse du texte de l’avant-projet de Loi de finances complémentaire, Saïd Djellab, ministre du Commerce, l’a confirmé implicitement mardi à Bouira. « Nous allons travailler pour décourager l’importation des produits finis existants en AlgérieIl n’y aura pas de produits interdits puisque tous les produits interdits à l’importation auparavant nous allons les verser dans le droit additionnel, c’est-à-dire ils seront découragés par des taxes allant de 30 à 200% avec l’objectif de protéger et d’encourager la production nationale ». Traduits, les propos du ministre désignent essentiellement les biens de consommation. Pour avoir une idée plus précise, procédons par élimination.

Les équipements destinés à l’industrie et à l’agriculture ainsi que les intrants et les produits semi-finis ne peuvent être raisonnablement découragés, sachant que le pays ne les produit pas et aspire à se doter d’un tissu industriel compétitif et d’une agriculture performante. Reste donc la consommation, et là aussi une grande partie des importations est « intouchable ».  Car si la facture d’importation des biens de consommation est élevée, ce n’est pas à cause des fruits exotiques ou des cosmétiques, mais essentiellement parce que les volumes de céréales, de poudre de lait et de médicaments importés sont importants.

Or, le gouvernement ne peut pas sciemment causer la hausse des prix de ces trois catégories de produits en les surtaxant, au risque de créer de sérieux troubles sociaux. Les nouvelles taxes annoncées toucheront donc les autres biens de consommation « produits en Algérie », ce qui nous amène à une palette d’articles certes large, mais qui ne pèse presque rien en valeurs importées. On va semble-t-il droit vers la parfaite reproduction de l’expérience de la fameuse liste des 851 produits interdits à l’importation pour une baisse insignifiante de la facture globale (moins de 1 milliard de dollars sur un total d’environ 46 milliards).

Un commerce extérieur gangréné

L’objectif recherché à travers toutes les dispositions prises pour encadrer les importations est de freiner l’érosion inquiétante du matelas des réserves de change, passé de 200 à moins de 100 milliards de dollars en moins de trois ans. On est en droit de se demander si l’on n’assistera pas à un autre coup d’épée dans l’eau et si l’unique incidence palpable et douloureuse des nouvelles taxes c’est celle que subira le pouvoir d’achat du citoyen qui payera encore plus cher la banane, la pomme, les viandes, l’électroménager et bien d’autres produits encore…

En réalité, le problème auquel est confronté l’Algérie n’est pas lié à des taxes douanières. L’activité de l’importation est gangrenée depuis au moins deux décennies par des pratiques malsaines, dont la plus répandue est la surfacturation des produits importés afin d’obtenir un maximum de devises au taux officiel et les transférer à l’étranger ou les échanger sur le marché parallèle.

Dans certains cas, l’importateur n’a même pas besoin de revendre sa marchandise, puisqu’il peut déjà réaliser une plus-value de 60% rien qu’en obtenant des devises auprès de la Banque d’Algérie, au cours officiel (1 euro vaut 138 dinars en banque et 213 au marché parallèle).

Aspirer à juguler ce genre de pratiques en taxant fortement les importations, c’est opter pour la facilité et prendre le risque d’essuyer un autre échec retentissant, car les magouilleurs ont plus d’une brèche où s’engouffrer, dont la plus béante c’est la possibilité de changer de créneau en optant pour les produits les moins taxés ou ceux qui ne le sont pas du tout.

L’encadrement et le redressement de l’économie nationale nécessitent des solutions plus profondes et bien plus réfléchies. Le gouvernement doit essayer autre chose dès maintenant. Comme lutter contre les passe-droits et appliquer la loi dans toute sa rigueur à tout le monde, penser à bancariser les milliers de milliards du secteur informel, généraliser le paiement électronique des transactions et surtout mettre fin à cette dualité des taux de change. Car dans une jungle, les mots encadrement et régulation n’ont aucun sens…

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