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Gestion de l’économie : ces puissants lobbies qui mènent le pays droit dans le mur

Gestion de l’économie : ces puissants lobbies qui mènent le pays droit dans le mur

Le président d’International Crisis Group a tenté une explication à la méfiance chronique qu’ont les autorités algériennes vis-à-vis des réformes économiques : la crainte de provoquer un mécontentement généralisé.

Robert Malley, dans un entretien à TSA, va même jusqu’à lier les événements tragiques vécus par le pays dans les années 1990 avec la tentative de réformes entamée quelques années plus tôt.

Phobie des réformes

D’où, selon son analyse, la phobie que semblent nourrir aujourd’hui les autorités algériennes pour tout changement de modèle économique. « Les autorités gardent toujours en mémoire le traumatisme de la guerre civile et des 200.000 Algériens morts au cours d’affrontements entre l’État et les groupes islamistes dans les années 1990. Elles gardent à l’esprit le fait que cette décennie noire a précisément commencé suite à une expérience hasardeuse de libéralisation économique qui a mal tourné », a-t-il analysé.

Le président d’ICG relève une autre relation de causalité, celle existant entre la générosité du gouvernement et le rétablissement de la paix. Du moins, le suggère-t-il, c’est la conviction des tenants de la décision en Algérie. « Elles (les autorités) se souviennent que ce sont les dépenses publiques généreuses sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika qui ont largement aidé à rétablir la paix dans le pays et éviter un nouveau scénario de conflit ».

Caractère social de l’État

Traduits, les propos de Robert Malley signifient à peu près ceci : le maintien de la paix sociale est l’unique souci des politiques adoptées par les gouvernements qui se sont succédé aux affaires ces vingt ou trente dernières années. Même si cela doit coûter à l’économie nationale de tourner en rond, sans perspective de mettre fin à la dépendance des hydrocarbures qui demeurent presque l’unique source de devises du pays.

En situation de quasi faillite, l’Algérie a été contrainte au milieu des années 1990 d’appliquer un programme d’ajustement structurel strict dicté par le FMI, sans pour autant remettre en cause l’orientation sociale.

Si des centaines d’entreprises publiques avaient été fermées ou privatisées et quelque 400 000 salariés contraints au départ volontaire, les subventions sur les produits de consommation de première nécessité et les prestations publiques comme l’eau et l’énergie avaient été maintenues.

Le caractère social de l’État était inscrit dans la déclaration du 1er Novembre comme l’un des objectifs de la Révolution. Il est sans doute louable que les autorités s’efforcent pour ne pas revenir sur une telle constante, même si le système actuel des subventions, sans aucun ciblage, ne profite pas souvent à ceux qui en ont besoin.

Ce qui est moins compréhensible, c’est leur réticence à faire bouger les choses sur d’autres segments qui n’ont aucune incidence sur l’orientation sociale de l’État. On pense à la bancarisation de l’économie, la réforme de la fiscalité (qui est l’une des plus lourdes au monde), la lutte contre les activités informelles, la recherche d’autres niches fiscales au lieu de presser davantage l’assiette existante, la levée des contraintes bureaucratiques et l’amélioration du climat des affaires. Soit des chantiers urgents mais que le gouvernement refuse inexplicablement de lancer.

Puissants lobbies

Pour le président d’ICG, cet immobilisme pourrait être induit par des pressions qu’exerceraient de puissants lobbies. « Comme dans toute architecture économique ou sociale, certains groupes d’intérêts en ont profité et ont prospéré ; ils résistent donc fermement à tout changement qui risquerait de leur nuire ».

Plus explicite, M. Malley désigne « certains membres du secteur privé, en particulier le Forum des chefs d’entreprise (FCE), dont le pouvoir s’est accru depuis 2014 ». « Soyons clairs : il n’y a rien de mal à l’essor du secteur privé qui est générateur d’emplois, et qui rend possible la diversification économique. Cela ne devient un problème que lorsque ce secteur se mue en oligarchie privée capable d’influencer la politique de l’État en fonction de ses propres intérêts plutôt que de ceux de la nation dans son ensemble. »

Les réformes : un vieux serpent de mer

Comme pour illustrer les propos de Robert Malley, une voix, et pas des moindres, s’est élevée presque simultanément pour dénoncer la mainmise de certains oligarques sur la décision économique du pays.

Issad Rebrab, président du plus grand groupe privé du pays, a une nouvelle fois crié au blocage de ses projets par l’administration. Même si Rebrab parle de « main invisible », il l’identifie presque. « C’est une main invisible, celle qui bloque nos projets. Certains disent, mais je ne sais pas, que ce sont certains milliardaires », déclare-t-il sur France 24, vendredi 23 novembre.

Cité nommément par le président de l’ICG, le FCE a réagi par le biais de son vice-président qui rejette « les attaques d’où qu’elles viennent » et rappelle que « malgré la conjoncture difficile, l’environnement économique actuel est totalement différent de celui observé à la fin des années 90, où le terrorisme avait détruit l’activité économique ». Mais le responsable du FCE ne répond ni sur le blocage des projets de Cevital, pourtant créateurs de richesses et d’emplois, ni ne conteste la mise à l’arrêt du train des réformes économiques.

Au contraire, il reconnait implicitement l’existence d’entraves devant l’entrepreneuriat en soulignant le « combat quotidien (du FCE) en faveur de l’entreprise publique et privée ».

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Il y a comme une unanimité autour de la nécessité d’aller au plus vite vers des réformes. L’échec du modèle actuel est incontestable puisque l’économie nationale ne connaît même pas un début de diversification et demeure largement tributaire des prix des hydrocarbures, dont la moindre baisse crée la panique.

L’été dernier, dans un contexte de forte hausse des prix du brut, le gouvernement a élaboré un projet de loi de finances 2019 aux forts relents électoralistes, mais alors que le texte est toujours au stade de projet, les prix ont plongé, rendant toutes les prévisions budgétaires pour l’année à venir irréalistes.

Mais le gouvernement est désarmé, et il pourrait l’être encore plus lorsque les prévisions les plus pessimistes se réaliseront à l’horizon 2022-2023, avec l’épuisement total du matelas des réserves de change.

Main invisible

Son seul plan de sauvetage, c’est d’attendre une hypothétique embellie des prix du pétrole. Quant aux réformes, on sait maintenant qu’elles ont pris les allures d’un vieux serpent de mer. On en parle, on en reconnait la nécessité, mais, inexplicablement, on ne fait rien ne serait-ce que pour les amorcer. Elles sont devenues otage des lobbies qui mène le pays droit dans le mur.

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