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Grande mosquée de Paris : l’affront de trop ?

Grande mosquée de Paris : l’affront de trop ?

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Ce n’est pas la première fois que la Grande mosquée de Paris a décidé de quitter le CFCM. Une première prise de distance entre les deux institutions s’était faite en 2012, Dalil Boubakeur accusant le CFCM de vouloir étouffer l’influence de la Grande mosquée.

Non conviée, le 4 janvier dernier, aux vœux que le gouvernement formulait aux autorités religieuses, la Grande mosquée de Paris (GMP) a pris la décision de quitter le Conseil français du culte musulman (CFCM). Un nouveau divorce qui marque peut-être le déclin de l’institution dirigée par Dalil Boubakeur dans la bataille à la représentation de l’islam en France.

C’est un oubli qui n’est pas passé. Ayant l’habitude d’être invité aux vœux que le gouvernement français adresse chaque année aux autorités religieuses, le recteur de la GMP (liée à l’Algérie), Dalil Boubakeur, n’a pas apprécié de ne pas figurer cette fois sur la liste des invités. Sa décision ne s’est pas fait attendre : il a ainsi décidé de se retirer du CFCM, l’autre grande institution musulmane, dont il a été le président de 2003 à 2008 puis de 2013 à 2015.

CFCM – GMP, une relation émaillée de tensions

« Il est surprenant que l’institution religieuse musulmane la plus emblématique de France, fruit d’une loi d’État pour manifester la reconnaissance de la Nation aux milliers de soldats musulmans morts pour la France durant la Première Guerre mondiale, soit ainsi marginalisée voire ostracisée », pouvait-on lire dans le communiqué de presse publié sur le site internet de la Grande mosquée.

L’Élysée n’a pas tardé à répondre. « Ce n’est pas nous qui avons choisi qui envoyait qui », a-t-elle souligné. « Nous avons invité tous les représentants des cultes via leur organisation représentative : pour les musulmans le CFCM, dont le président était Ahmed Ogras. Chaque culte pouvait désigner deux personnes en tout pour venir. » Mais visiblement, ni l’Élysée ni le CFCM n’ont manifesté le souhait de voir Dalil Boubakeur être présent à cette cérémonie.

Ce n’est pas la première fois que la Grande mosquée de Paris a décidé de quitter le CFCM. Une première prise de distance entre les deux institutions s’était faite en 2012, Dalil Boubakeur accusant le CFCM de vouloir étouffer l’influence de la Grande mosquée. « Les graves dysfonctionnements du CFCM et sa gouvernance autocratique, qui a tenté de minorer la surface et l’influence de la Grande Mosquée de Paris sont les principales raisons ayant contraint notre institution à prendre cette décision », expliquait-il.

Manuel Valls, ministre de l’Intérieur à l’époque, dénonçait quant à lui « les divisions, les égoïsmes, la concurrence » qui « ne peuvent pas différer plus longtemps le dialogue indispensable qui doit s’ouvrir sur les sujets cultuels ».

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Trop de conflits d’intérêts

Voilà en partie la raison pour laquelle les organisations majoritaires du CFCM peineraient à s’entendre. Chemseddine Hafiz, vice-président du CFCM, parlait d’« hégémonie et de rapports de force ». Des dissensions qui s’expliqueraient aussi par le fait que certains acteurs ne souhaiteraient pas voir le CFCM devenir l’institution la plus influente au détriment de leur propre entité.  Invité ce matin sur les antennes de France Culture, l’islamologue Ghaleb Bencheikh, également présentateur de l’émission Islam sur France 2, annonce : « La Grande mosquée de Paris, qui longtemps a été l’organisme autour duquelle s’agrégeait une grande partie des fidèles musulmans de France, n’a pas su, n’a pas pu, n’a pas voulu jouer ce rôle de fédérateur. De là, d’autres organisations ont émergé. » Avant quoi, il avait précisé : « Dalil Boubakeur, le recteur de la Grande mosquée de Paris, n’est pour l’instant pas représentant officiel. Le CFCM est en quelque sorte l’organisme qui gère les questions cultuelles dans notre pays. C’est une instance qui se veut l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. »

Tous ces désaccords récurrents ont ainsi provoqué une inefficacité dans le traitement des questions de la pratique culturelle. Un exemple significatif de ces désagréments date de l’été 2013, où il était question de fixer la date officielle du ramadan. Les trois membres majoritaires du CFCM s’étaient entendus sur le 9 juillet, excepté la GMP, qui a annoncé vouloir reporter d’un jour le début du jeûne. Une confusion générale s’était alors emparée des musulmans français.

En 2015, dans des propos rapportés par un article du journal Slate.fr, Bernard Godart, expert de l’islam en France, disait : « En même pas 13 ans, le CFCM s’est fossilisé. Ils n’ont pas réussi à associer tous les organes de représentation des fidèles musulmans. Le Conseil est constitué de plusieurs acteurs distincts, capables de se réunir pour parler de problèmes communs, mais il n’y a pas de place pour les discussions dogmatiques et théologiques de fond. »

Un échec qui s’est notamment traduit lors des nombreux débats qui se sont noués autour du terrorisme et durant lesquels la responsabilité des organes musulmans de France a été soulevée, jugés « désemparés » face au phénomène. Dans sa volonté de renouveau, Emmanuel Macron a estimé lors de ses vœux qu’il était « indispensable » de mener « un travail sur la structuration de l’islam en France » afin de ne pas sombrer dans la « crise » que celui-ci est en train de vivre.

Une nouvelle étape dans le dialogue entre le gouvernement et les représentants de l’islam a donc été franchie. Un dialogue dans lequel Dalil Boubakeur, 77 ans, semble, pour l’heure, ne plus avoir son mot à dire.

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