Économie

Hausse des prix alimentaires : le poids de la location des terres

Quel point commun entre production de tomate de conserve, d’ail, de poivron ou de blé en Algérie ? La location de terres ! Une charge supportée par les agriculteurs au même titre que les semences ou les engrais.

Une charge automatiquement répercutée sur le panier de la ménagère. De façon étonnante, les pouvoirs publics restent sans réaction face à ce phénomène qui alimente pourtant l’inflation.

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Le coût élevé de la location de la terre est une question qui revient fréquemment dans la bouche des agriculteurs algériens. En pleine récolte de tomate de conserve sur les 200 hectares qu’il exploite dans la wilaya d’El Tarf, Abdelhamid Kramiya confie en ce mois d’août à la chaîne HippoNews que tout a augmenté : les engrais, les semences, la main d’œuvre et aussi le coût de la location de la terre.

Contre l’inflation, la parade des points de vente

Récemment un producteur d’ail de Mila chiffrait à 100.000 dinars le coût de location d’un hectare. Dans la région de Biskra, l’agro-économiste Ali Daoudi de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie (ENSA) estime que le loyer de la terre correspond à 15% de l’investissement consacré à une serre.

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Contre la hausse des prix, les pouvoirs publics prennent régulièrement des initiatives comme l’ouverture de points de vente liés à des entreprises publiques : Algérienne des viandes (Alviar) ou Coopérative de céréales et de légumes secs.

Mais l’encadrement du montant de la location des terres agricoles reste absent des mesures gouvernementales et pour cause, il n’existe pas de statut du fermage en Algérie.

Statut du fermage : pilier de la politique foncière

Dès 2016, dans les colonnes d’El Watan, l’agro-économiste Omar Bessaoud faisait remarquer : « Je me dois de rappeler – en tant que chercheur – que dans les pays industrialisés capitalistes libéraux, l’objectif premier des législations foncières adoptées n’était pas tant de favoriser l’accès à la propriété foncière aux exploitants agricoles que de leur assurer la stabilité nécessaire à la modernisation de l’exploitation et à l’accroissement de leur productivité. »

Face au risque d’effet d’aubaine d’une telle pratique, cet enseignant-chercheur de l’Institut agronomique méditerranéen de Montpellier précisait : « Ces pays ont privilégié le renforcement des droits des exploitants agricoles et ont soumis la propriété foncière à une fiscalité contraignante. »

« Il est utile de signaler qu’en France, le statut du fermage constitue l’un des piliers centraux de la politique foncière. Il est le mode de faire-valoir le plus répandu, car plus des trois quarts de la surface agricole utilisée sont cultivés par des agriculteurs qui n’en sont pas propriétaires. »

Diktat des cédants sur les modalités de location

En Algérie, la location de la terre concerne les terres privées mais également celles des ayants droits des exploitations agricoles collectives (EAC), exploitations agricoles individuelles (EAI) et des concessions agricoles.

Le montant de la location dépend de la qualité de la terre, des possibilités d’irrigation et du type de production possible : plein champ ou culture sous serre.

La location s’effectue le plus souvent pour une année et par un simple accord verbal ou un bail sous sous-seing privé. Le loyer est exigé en début de campagne agricole. Parfois, l’accord comporte une clause particulière : procéder à un forage. En contrepartie, la durée de location est portée à trois ans et le forage revenant aux ayants droits en fin de contrat.

La question de la location a été particulièrement bien documentée par des universitaires dans l’étude « La Mitidja vingt ans après » aux éditions Alpha.

Ainsi, il arrive que le bail soit renégocié en cours d’année à l’initiative du cédant. Un jeune agriculteur de Béni Tamou témoigne : « Souvent au bout de deux ou trois années, les ayants droit des EAC viennent réclamer plus d’argent aux locataires, et comme il n’existe aucun document prouvant la location, il se crée de fortes tensions entre les deux parties. »

Diktat sur le tarif des locations

Toujours en Mitidja, un locataire propose à Mourad, le propriétaire d’un forage dont la pompe immergée est en panne de s’occuper « de son forage pour tenter de le récupérer pour l’utiliser pendant deux ans. »

Il lui propose l’accord suivant : « Si je réussis, il aurait un forage en état de marche à la fin des deux ans. » L’accord est conclu. Le locataire installe pour 170.000 DA une pompe mécanique et règle le problème de l’irrigation.

Il loue alors à proximité du forage des terres qui avaient toujours été cultivées en céréales étant donné le manque d’eau. Cela lui permet d’obtenir de très bons rendements sur ces terres vierges n’ayant jamais reçu de poivrons.

Un problème surgit alors. Il raconte : « Ma production a engendré une augmentation des prix de location de la terre de 100%, passant de 40.000 à 80.000 DA/ha et par an. »

Le retard de l’administration

Le fait que le locataire ne soit pas reconnu par l’administration le prive de la carte de fellah et donc de l’accès aux intrants subventionnés ainsi qu’aux crédits bancaires bonifiés. Il peut bénéficier du crédit informel accordé par un grainetier mais cela implique d’accepter les prix pratiqués.

A Mouzaïa (Blida), un producteur de poivrons témoigne : « Nous, locataires, sommes obligés de surmonter des difficultés. Il s’agit de l’approvisionnement en intrants, en particulier en engrais, qui est devenu très difficile vu qu’il faut une autorisation pour s’en procurer. Cette autorisation est donnée à des agriculteurs reconnus à savoir les propriétaires de terre et les attributaires… Nous, locataires, n’avons aucun document qui peut prouver que nous sommes agriculteurs. »

Cette situation n’est pas sans conséquence. Le locataire précise : « Le développement d’un marché noir d’engrais où les prix pratiqués atteignent 4 fois le prix normal, ce qui nous oblige à réduire de moitié les apports d’engrais. »

Qu’attend l’Etat pour définir les règles ?

Omar Bessaoud s’interroge : « Qu’attend l’Etat pour définir les règles de la location des terres et encadrer le marché des droits de location des terres alors que depuis 1987 ce marché est actif et fonctionne au détriment des producteurs de richesses ? » Une manière de contribuer à freiner l’inflation à la source.

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