Économie

« Il faut éviter la solution de l’austérité »

Le professeur en économie Mohamed Cherif Belmihoub recommande d’éviter la solution de l’austérité pour faire face à la crise économique qui frappe l’Algérie. Entretien.

La LFC2020 est établie sur la base d’un baril à 30 dollars au lieu de 50 dollars initialement. Quelles sont les incidences sur les finances du pays ?

Belmihoub Mohamed Cherif, professeur d’économie. L’une des raisons de l’élaboration de la loi de finances complémentaire est justement la prise en charge de cette variable dans l’élaboration du budget de la nation. On ne peut pas rester sur 50 dollars alors que les prix ont chuté brutalement et très fortement au cours du premier trimestre. Les recettes fiscales pétrolières dans la loi de finance initiale représentaient le 1/3 des recettes fiscales totales. Donc le passage à 30 dollars entrainera une baisse de 40% des recettes fiscales pétrolières.

Comment et avec quoi compenser cette perte si l’on maintient les dépenses publiques à leur niveau initial ?

La première réponse des pouvoirs publics a été de réduire les dépenses de fonctionnement de 50% sur le budget de fonctionnement hors salaires et subventions, ce qui peut donner une baisse de 15-17% du budget de fonctionnement. Ceci sur le plan budgétaire et financier ; mais sur le plan économique le problème reste entier tant que la dépense publique demeure l’un des leviers de la résilience face à la crise et de la relance économique. Les pouvoirs publics devront trouver des solutions à ce problème par la mobilisation de l’épargne nationale et la rigueur dans l’amélioration du rendement fiscal. De mon point de vue, ce qu’il faut éviter c’est la solution de l’austérité. Cette approche risque de limiter les capacités de l’économie nationale à résister à la crise et à toucher le pouvoir d’achat dans l’économie, chose indispensable pour la relance économique ; sinon comment reprendre la production s’il n’y a un marché solvable ? Donc tout sauf une politique d’austérité.

La LFC2020 signe le retour à l’importation des véhicules neufs et sonne le glas du CKD/SKD. L’Algérie ne pouvait plus continuer dans ce processus qui a montré ses limites voire a été préjudiciable à son économie ?

Absolument. Finalement dès le départ, l’intention était de transférer les capitaux vers l’étranger à travers deux canaux : d’abord au moment de l’acquisition des équipements sommaires (Capex) pour le montage et dont la facturation ne peut être contrôlée, car il s’agit d’un type d’équipement unique et non d’une marchandise quelconque. À la livraison de ces Capex, l’investisseur a déjà remboursé son capital par la surfacturation ; ensuite par les commandes des collections de CKD/SKD ; comble de la supercherie, les voitures montées en Algérie sont vendues en exonération de TVA, mais plus chères que si elles avaient été importées montées et avec une TVA à l’entrée. Au final, l’économie a perdu, (pas d’industrialisation ni d’apprentissage dans l’industrie automobile), le Trésor public (TVA) et le consommateur final (prix plus élevé). Donc mettre un terme à cette « arnaque » est totalement justifié.

Le texte institue un impôt sur la fortune avec différents paliers d’imposition. Un pas vers une justice fiscale ?

Cet impôt est en circulation dans les ministères depuis très longtemps. Face à la difficulté de le mettre en place et l’action des lobbys, on l’a reporté chaque fois ou en lui donnant un autre qualificatif comme l’impôt sur le patrimoine ; son taux était dérisoire et son recouvrement quasi impossible. Le retour à l’impôt sur la fortune suppose qu’on a, au moins, préparé des fichiers solides et des moyens de recouvrement aussi solides que justes et transparents. Il se justifie amplement d’autant plus qu’au cours des dernières années, de grosses fortunes ont été constituées à partir des budgets publics et malheureusement ces surplus n’ont pas été investis massivement dans l’économie mais plutôt affectés à la constitution de patrimoines oisifs (foncier, immobiliers, devises ….). Il faut mettre en place un régime fiscal qui encourage la capitalisation (investissement des surplus et des profits) au détriment de la patrimonialisation (acquisition de patrimoines) qui sera hors circuit économique. C’est une forme de justice fiscale ; et dans ce cas l’impôt sur le patrimoine aura un sens moral et économique. On impose moins le capital que le patrimoine.

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