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Importations : instabilité chronique et stratégie de court terme

Importations : instabilité chronique et stratégie de court terme

NEWPRESS

Dévaluation du dinar, licences d’importations, augmentation des droits de douanes, listes de produits suspendus à l’importation… Depuis un peu plus de 3 ans, et l’apparition de déficits commerciaux records dans le sillage de la chute des prix pétroliers, la politique d’endiguement des importations, qui avait été oubliée pendant plus d’une décennie, est (re)devenue le credo des gouvernements algériens ; en donnant l’impression d’occuper l’essentiel de l’espace des politiques économiques publiques et des réponses à la crise .

Trois dispositifs différents en 3 ans

Pendant cette courte période de 3 ans, les autorités économiques ont testé successivement différents instruments de lutte contre l’emballement des importations, ce que les critiques les plus sévères ont interprété récemment comme un  « cafouillage », du « bricolage » ou encore de l’« agitation réglementaire » suivant l’heureuse formule d’un commentateur.

Dans une première étape, entre la fin de l’année 2014 et le milieu de 2016, c’est la Banque d’Algérie qui est aux commandes et le principal instrument de lutte contre le gonflement de la facture des importations est la dévaluation du dinar qui va s’avérer d’une efficacité redoutable. Les importations de marchandises qui avaient frôlé la barre des 60 milliards de dollars à fin 2014 vont revenir d’abord à 52 milliards à fin 2015 puis à un peu moins de 47 milliards à fin 2016.

L’année 2016 marque un tournant, sur instruction explicite de la Présidence, la dévaluation du dinar est interrompue à partir du mois de mai. La valeur de la monnaie nationale ne doit plus être la « variable d’ajustement ».

Place donc aux restrictions quantitatives et à la gestion administrative d’une partie du commerce extérieur. Les licences d’importation, en place à partir de janvier, vont contribuer pour partie (essentiellement celles qui concernent les véhicules) à la réduction des importations en 2016.

En 2017, les importations ne diminuent plus

Depuis début 2017, le dispositif des licences, reconduit et élargi à de nouvelles catégories de produits, était scruté avec attention… Et un scepticisme croissant.

Au fil des mois, une conclusion semble s’imposer : les importations ne diminuent plus. On connaîtra dans quelques jours les résultats définitifs du commerce extérieur pour 2017. Les importations seront proches de 46 milliards de dollars (déjà 42 milliards à fin novembre). Une toute petite diminution d’environ 2% par rapport à 2016 et un gain d’à peine un milliard de dollars sur la facture de nos achats à l’extérieur.

Pas assez pour justifier le maintien d’un dispositif dont le ministre du Commerce lui-même a fini par constater l’échec en décembre dernier. « Le dispositif des licences a été considéré comme pas suffisamment transparent. Il s’agit d’une mesure à caractère bureaucratique et administratif, nous avons décidé qu’il n’y aura plus de licences », a commenté Mohamed Benmeradi.

2018, un remake de l’année 2017 ?

Nouveau changement de décor en ce début de mois de  janvier de cette année. Depuis mercredi dernier, le gouvernement étrenne une nouvelle boîte à outils. Il s’agit cette fois de droits de douanes plus élevés qui concerneront 32 familles de produits ainsi que, dernière concession à la gestion administrative du commerce extérieur,  d’une liste de produits suspendus « provisoirement » à l’importation qui regroupe 46 familles de produits. Le dispositif des licences est, en outre, reconduit en 2018 pour les véhicules.

Il n’y a, selon toute vraisemblance, pas beaucoup de bouleversements à attendre de ce nouveau dispositif. L’année qui commence s’annonce comme un remake de 2017. Au cours des mois à venir, on va, tout comme l’année dernière, surveiller attentivement les résultats du commerce extérieur et recenser les dysfonctionnements provoqués par la nouvelle liste de produits interdits d’importation.

Vers une réduction modeste de la facture d’importation

Une analyse coûts-avantages dont on peut déjà tenter d’esquisser les contours en se basant sur les prévisions du gouvernement mais aussi sur les premières réactions des opérateurs économiques.

Au chapitre des avantages, le gouvernement s’attends d’une part à des rentrées fiscales supplémentaires dont il est difficile pour l’instant de mesurer le montant avec précision mais qui devraient rester modestes en raison du nombre réduit de produits concernés par l’augmentation des droits de douanes.

Les économies sur la facture d’importation, imputables à la liste de produits suspendus, devraient être plus importantes. Elles ont déjà été chiffrées par le ministère du Commerce : entre 1,5 et 2 milliards de dollars en rythme annuel.

Notons quand même que ce dernier chiffre est très éloigné du déficit commercial prévu cette année qui dépassera 11 milliards de dollars et encore plus de celui de la balance des paiements qui devrait atteindre près de 20 milliards de dollars.

Des projections confirmées par le Premier ministre. Commentant, il y a quelques jours, devant les députés les restrictions imposées par le gouvernement sur les importations, Ahmed Ouyahia a justifié ces restrictions par une baisse des réserves de change « de 20 à 25 milliards de dollars par an ».

Le chiffre de près de 2 milliards de dollars d’économies est, en outre, en ligne et cohérent avec les projections du gouvernement qui table, dans ses perspectives triennales annexées à la dernière loi de finances, sur des importations réduites à 43,5 milliards de dollars pour l’année 2018. Très loin évidemment des « objectifs » de 30 milliards de dollars annoncés périodiquement par le ministère du Commerce.

Des producteurs inquiets pour leurs intrants

Il y aura bien sûr des ombres au tableau et au cours de l’année 2018. On risque aussi, un peu comme l’année dernière, de noircir progressivement la colonne des dysfonctionnements provoqués par l’introduction de la nouvelle réglementation.

Les premières réactions dans ce domaine n’ont pas tardé. De nombreux opérateurs économiques s’inquiètent principalement des entraves à leur activité en raison de la suspension d’importation qui frappe certains de leurs intrants. La liste risque de s’allonger et comporte déjà les producteurs de boissons qui dénoncent la présence des arômes dans la liste des produits interdits à l’importation. Des industriels de la céramique ont également évoqué voici quelques jours la présence dans cette liste de « deux intrants » devant le ministre de l’Industrie et des Mines qui a promis d’étudier la question.

Interrogé par TSA, Brahim Hasnaoui, patron du Groupe des sociétés Hasnaoui, résumait un point de vue largement répandu. « Je ne pense pas que l’interdiction d’importer soit vraiment une solution. Je ne suis pas pour le blocage des importations à n’importe quelle condition. Il faut préserver certains équilibres et surtout ne pas bloquer le développement par l’absence de certains nombre de matériaux. Il faut toujours laisser une ouverture ».

Le retour des pénuries et du cabas

La liste des produits interdits à l’importation nous rappelle également de mauvais souvenirs en nous ramenant à une époque qu’on croyait révolue. Les téléphones mobiles haut de gamme se font plus rares tandis que le chocolat, les biscuits et les fromages importés disparaissent déjà progressivement des rayons des magasins qui se vident des produits réputés de luxe et décrétés « superflus » par l’oukase des fonctionnaires du gouvernement.

« En tant que peuple, nous devons nous mettre d’accord pour vivre selon nos moyens », commente Ahmed Ouyahia. Le spectre de l’économie de « pénurie » pointe le bout de son nez.

Sans doute bien inutilement. En 2018, l’économie du cabas va faire son grand retour et un pan entier de l’économie formelle va basculer dans l’informel. La conséquence est double : une partie des produits interdits va revenir sur le marché mais à des prix plus élevés en alimentant l’inflation.

Une situation particulièrement inopportune à un  moment où la planche à billet et la hausse des taxes vont entretenir des tensions inflationnistes qui sont déjà fortement ressenties en début d’année.

Autre conséquence : une demande supplémentaire de devises va s’adresser au marché noir en faisant grimper le taux de change parallèle et creuse davantage l’écart avec le taux officiel stabilisé par les autorités monétaires.

Stratégie de court terme

La suite du scénario est déjà écrite en toutes lettres dans le communiqué officiel qui annonce la création des listes de produits interdits : « Les suspensions à l’importation des biens et marchandises sont limitées dans le temps, il sera procédé à leur levée progressivement avec ou sans le maintien ou l’aggravation des taxes et autres droits frappant l’importation et la commercialisation de ces produits ».

Vers la fin de l’année en cours, le ministère du Commerce va donc probablement constater les inconvénients et les difficultés à maîtriser le nouvel épisode de gestion administrative en le remplaçant par une augmentation des droits de douanes. Pourquoi, dans ces conditions, n’avoir pas commencé par là en réduisant ainsi l’impact négatif des nouvelles mesures ?

La réponse est dans la gestion de court terme des importations. Il s’agit de faire apparaître dès cette année une réduction, fût-elle modeste, de la facture de nos achats à l’extérieur.

Des calculs qui mettent en pleine lumière une stratégie de court terme qui sacrifie la stabilité du cadre réglementaire et la sécurité de l’investissement au profit d’une économie immédiate, mais sans doute aléatoire, sur les réserves de change. Le gouvernement n’ignore certainement pas que cette solution, qui permet seulement, dans le meilleur des cas, de gagner du temps, conduit à une impasse. Mais l’agenda politique des autorités n’est toujours pas calé sur le mode des réformes pourtant urgentes de l’économie.

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