Brahim Guendouzi, professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou dissèque dans cet entretien à TSA les enjeux du projet de Loi de finances 2024 (PLF 2024). Il met en garde contre la persistance du cycle inflationniste.
Quelles sont les principales mesures du projet de Loi de finances 2024 ?
Deux logiques prévalent dans le PLF 2024 : la première relative à la consommation et la seconde touche l’investissement.
S’agissant de la consommation, il est question essentiellement de l’effort soutenu fourni par l’État, conformément à l’engagement des plus hautes autorités du pays, en vue de renforcer le pouvoir d’achat des ménages, dont la dégradation s’est accélérée depuis l’apparition de la spirale inflationniste en 2021.
Deux catégories de mesures sont prises à ce titre. Sur le plan des revenus, tout d’abord, une hausse des salaires des fonctionnaires est prévue, complétant celles qui ont eu lieu en 2022 et 2023, afin d’atteindre une augmentation globale de l’ordre de 47 % sur les trois années.
Ensuite, il y a la volonté de réduire les prix des produits de première nécessité sur le marché national avec la suppression temporairement de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), appliquée aux légumineuses, aux viandes blanches et aux œufs.
Au demeurant, le maintien du système des subventions, directes et indirectes, contribue de fait à freiner la forte hausse des prix qui touche particulièrement les produits de large consommation.
Pour ce qui concerne l’investissement, à défaut de nouvelles taxes, c’est plutôt la suppression de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP) qui retient l’attention.
Sur un autre plan, les constructions servant aux activités exercées par les promoteurs d’investissements, au titre des différents dispositifs, sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés bâties.
Le taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé à 9 % pour les déchets valorisables (aluminium, fer, verre, carton, plastique, papier, etc.) dans le souci d’une gestion intégrée des déchets et pour faciliter en même temps la transition vers l’économie circulaire.
Enfin, il y a la réouverture du compte d’affectation spéciale intitulé Fonds de soutien pour la promotion des exportations alimenté par 5 % de la taxe intérieure de consommation (TIC).
Le projet de Loi de finances 2024 propose la suppression de la TAP. Cette mesure est-elle suffisante pour réduire la pression fiscale sur les entreprises en Algérie ?
La suppression pure et simple de la taxe sur l’activité professionnelle (TAP), qui a été longtemps décriée par les opérateurs économiques, est plutôt bien accueillie par ces derniers.
Cependant, le manque à gagner sur le paiement de la TAP sera ressenti essentiellement par les collectivités territoriales (les communes) du fait que cela représente 75 % ou plus de la totalité des recettes fiscales communales.
Le PLF 2024 prévoit l’insertion d’une nouvelle disposition qui permettra de combler les pertes engendrées par la suppression de la TAP, à travers notamment l’affectation au profit des collectivités locales, d’un pourcentage des revenus de la fiscalité pétrolière.
Le produit de la taxe sur les produits pétroliers, est réparti pour 50 % au profit de la commune, 29 % au profit de la wilaya et 21 % au profit de la caisse de solidarité et de garantie des collectivités locales.
S’agit-il d’une bonne mesure que de faire dépendre les recettes des communes de la fiscalité pétrolière, sujette à des fluctuations ?
Au demeurant, il n’y a pas de nouvelles taxes ni d’impôts prévus par le PLF 2024, ce qui contribuera certainement à alléger la pression fiscale sur les entreprises et les investisseurs.
D’autant plus que les avantages fiscaux octroyés aux porteurs de projets dans le cadre de la loi n° 22-18 relative à l’investissement sont considérés comme une dépense fiscale supportée par le Trésor.
Le PDG d’Alliance assurances, Hassen Khelifati, propose d’accompagner la suppression de la TAP par une révision de la fiscalité pour le secteur de la distribution pour inciter ses acteurs à intégrer la sphère économique réelle. Quel est votre avis ?
C’est vrai que la TAP a été contraignante pour le secteur de la distribution dès lors qu’elle était assise sur le chiffre d’affaires et non pas sur le résultat.
Cependant, les problèmes qui se posent ne concernent pas spécifiquement la fiscalité en elle-même, qui d’ailleurs gagnerait à être améliorée.
Il n’y a qu’une seule fiscalité qui touche l’ensemble des activités, même si la question de l’équité devant l’impôt est posée.
La meilleure façon d’intégrer la sphère réelle dans de bonnes conditions reste à travers l’investissement. La loi 22-18 offre des garanties et des incitations intéressantes pour chaque investisseur. Les exonérations fiscales peuvent être importantes en fonction du type d’investissement à réaliser.
Le projet de Loi de finances 2024 prévoit une hausse des dépenses de l’État à plus de 15.000 milliards de dinars, alors que les recettes n’atteindraient pas 9.000 milliards dinars. Comment combler ce déficit ? Est-ce que l’État ne doit-il pas réduire son train de vie ?
Le différentiel entre les recettes budgétaires, composées des produits de la fiscalité ordinaire mais également de la fiscalité pétrolière qui est en hausse corrélativement au niveau des cours du pétrole, et les dépenses publiques réalisées essentiellement dans le cadre du budget de fonctionnement, marque un déficit budgétaire, caractéristique dominante de l’économie nationale et ce, d’année en année.
C’est la fiscalité pétrolière qui arbitre en dernier ressort sur le niveau à atteindre du déficit. Toujours est-il, la commande publique représente un important levier de la croissance économique.
Depuis 2022, les dispositions relatives à l’autorisation annuelle de perception des ressources et leur affectation ainsi que les montant des ressources prévues par l’État, sont définies par les dispositions de la loi organique des lois de finances (LOLF).
Aussi, un cadrage budgétaire à moyen terme est arrêté chaque année, lequel doit déterminer l’exécution du budget de l’État avec un objectif de soutenabilité.
L’endettement de l’État en est dépendant, notamment s’il y a lieu de rationaliser les dépenses publiques et adopter une rigueur dans les finances publiques.
L’accumulation du déficit budgétaire et de la dette interne du Trésor, est susceptible d’alimenter le processus inflationniste, si à moyen terme, l’équilibre du budget de l’État n’est pas restauré.
Les dépenses liées aux subventions des produits explosent. Elles ont atteint 2.683 milliards de dinars durant les 8 premiers mois de 2023. Pourquoi ? L’État peut-il maintenir ce niveau de subventions ?
Les subventions regroupent les aides financières accordées par l’État au soutien des prix de certains biens et services, de manière explicite (budgétisées) et implicite (par des prix administrés).
Il est clair que les subventions profitent de manière disproportionnée aux groupes à revenu moyen et élevé et sont donc inefficaces en tant qu’outil de protection sociale.
Ces trois dernières années, à maintes reprises, dans le cadre des lois de finances, il était question de réviser les subventions pour passer d’une aide sociale généralisée à une aide sociale ciblée.
À chaque fois, les pouvoirs publics reconnaissent que le dossier des subventions demeure une tâche complexe et sensible. Cette fois-ci, il est étroitement lié à la numérisation du secteur financier pour garantir autant que faire se peut la transparence et l’efficacité dans la distribution des aides sociales.
En attendant, le poids financier des subventions prend une part disproportionnée dans le budget de l’État et ce, compte tenu de contexte inflationniste dans lequel se trouve confrontée l’économie nationale.
Les dépenses d’équipement restent faibles par rapport aux dépenses de fonctionnement. Elles représentent 18 % des dépenses de l’État. Pourquoi ? L’État ne doit-il pas investir davantage pour relancer la machine économique ?
La dualité du budget de l’État entre fonctionnement et équipement n’est plus de mise depuis 2022 avec l’application des dispositions de la loi organique des lois de finances.
Il est question de classification par nature économique des dépenses. À ce titre, l’on distingue les dépenses de personnels, de fonctionnement des services, d’investissements, etc.
Les crédits de paiements sont intégrés dans les budgets globaux de chaque ministère.
Toutefois, Sur un aspect plus important encore, le financement des projets structurants (réalisation de voies ferrées, énergie solaire, projets miniers, etc.), de par leur spécificité en termes de gros besoins en crédits, le PLF 2024 autorise l’intervention du Trésor public pour garantir les financements indispensables aux mégaprojets.
Dans ce contexte, l’intervention financière du Trésor à travers le financement direct sur ses ressources propres, devient incontournable, sachant que le taux d’intérêt est de 1 % ou moins, soit inférieur aux taux des bons du Trésor, et surtout sur une durée de plus de 20 ans.
Cet aspect lié au financement par le Trésor est susceptible, en l’absence de maîtrise, d’accentuer son endettement interne et par là, d’alimenter le processus inflationniste.
Est-ce que c’est un PLF ambitieux économiquement ou socialement ?
Le cycle inflationniste a érodé le pouvoir d’achat des ménages mais également il a affaibli la situation financière des entreprises. Le PLF 2024 se veut une réponse à cette situation.
Les mesures préconisées sont certes importantes, mais tant l’inflation reste à un niveau élevé, les retombées négatives sur les consommateurs et sur les entreprises seront présentes.
L’augmentation de la production de biens et services grâce à un effort soutenu de l’investissement et la maîtrise de la sphère monétaire ainsi que l’ensemble des indicateurs, permettront de prendre prise sur le processus inflationniste qui demeure l’un des problèmes déstabilisant de l’activité économique.
Le commerce informel et le défaut de facturation demeurent l’un des grands freins de la relance économique. Des secteurs d’activité entiers échappement au contrôle. Les producteurs facturent pour les dépositaires et les grossistes mais ces derniers n’arrivent pas à facturer les points de ventes. Dans le PLF 2024, il y a peu de mesures pour lutter contre l’informel. Pourquoi ?
Il y a une prédominance de l’informel dans les activités commerciales avec tout ce que cela va avec, comme par exemple l’absence de facturation, le recours au paiement cash, des pratiques frauduleuses sur les marchandises, la concurrence déloyale, la contrefaçon, etc.
Ces aspects nécessitent évidemment une démarche consensuelle entre tous les acteurs, susceptible d’entraîner un processus à partir duquel l’ensemble des pratiques commerciales soient arrimées à la sphère économique réelle, et faire en sorte que l’on ait une véritable économie structurée, intégrée, concurrentielle et compétitive. Un consensus sur la question se construit et une Loi de finances ne suffit pas à le faire !