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Karim Moussaoui, réalisateur d' »En attendant les hirondelles » : « Je ne crois pas au printemps arabe »

Karim Moussaoui, réalisateur d' »En attendant les hirondelles » : « Je ne crois pas au printemps arabe »

TSA
Karim Moussaoui et l'équipe du film "En attendant les hirondelles"

Karim Moussaoui est présent au 10e Festival international d’Oran du film arabe (Fiofa) avec son premier long métrage « En attendant les hirondelles », en compétition officielle jusqu’au 31 juillet 2017. Le titre en arabe de ce film coproduit par l’Algérie et la France est « la nature du temps ». Le long métrage a été présenté dans la section « Un certain regard » lors du dernier festival de Cannes en mai 2017. Nous l’avons rencontré. Entretien.

Après votre court métrage, « Les jours d’avant », primé dans plusieurs festivals, vous êtes passés au long métrage avec « En attendant les hirondelles ». Comment s’est fait ce passage ?

J’ai commencé l’écriture du long métrage avant le court métrage. Je me suis inspiré de la deuxième histoire d’ « En attendant les hirondelles » pour écrire « Les jours d’avant », une histoire d’un amour impossible que j’ai contextualisée dans les années 1990 en Algérie. Beaucoup de réalisateurs veulent, à un moment donné, se lancer plus de défis pour réaliser un long métrage.

Dans « En attendant les hirondelles », on est dans l’Algérie post années 1990, loin des peurs et des violences évoquées dans « Les jours d’avant ».

Ce qui m’intéresse, c’est de parler de ma perception de l’Algérie d’aujourd’hui. Une Algérie avec des endroits où plein de choses se fabriquent, se créent et se défont. C’est un territoire intéressant. C’est comme un laboratoire où l’on expérimente plein de choses. Cela est révélateur d’une dynamique très visible. Les années 2000, pour moi, étaient une période de renaissance. Nous découvrons les mêmes problématiques que le reste du monde. La mondialisation arrive par effraction. Nous recevons beaucoup de nouvelles images et de technologies de l’extérieur. On est parfois en train de prendre tout et n’importe quoi. Avec le temps, les choses vont se décanter.

Il y a trois histoires dans « En attendant les hirondelles » : l’histoire de Mourad (Mohamed Djouhri), le promoteur immobilier, un peu perdu. L’histoire de Aïcha (Hania Amar), partagée entre l’amour et la raison. Et l’histoire de Dahmane (Hassan Kechache), rattrapé par son passé. Vous auriez pu faire plus. Mais, vous avez choisi ces trois récits. Pourquoi ?

J’évoque l’expérimentation et le chemin que les personnages doivent choisir. Ce n’est jamais évident. Je voulais montrer la complexité de faire un choix, notamment celui de rompre avec quelque chose qui devient pesant dans la vie. Je ne dis pas comment, mais j’ai raconté ce processus de remise en question des décisions déjà prises. Des décisions qui, à un moment donné de notre vie, étaient en conformité avec nos visions mais nous nous rendons compte après qu’il ne fallait pas les prendre. Il y a toujours ce désir de vouloir une autre vie. Faire des choix implique forcément des renoncements. Parfois, on ne veut pas renoncer à une certaine forme de sécurité : sécurité du travail et de la famille. On fait tout pour installer ces sécurités et au moment de faire bouger les lignes, ça devient compliqué. En se remariant, Mourad a voulu se refaire une nouvelle image de lui-même. Son ex-épouse et sa nouvelle femme sont dans des endroits où elles sont révélatrices de ce qui est leur époux. Mourad est censé être heureux, mais il ne l’est pas.

© TSA

Il y a aussi l’histoire de Aïcha

C’est l’histoire classique de l’amour et de la raison. Aïcha cherche peut-être une forme de stabilité en se mariant. Mais, la passion qu’elle a eue avec son ex-ami est toujours forte. Mais, cet ex-ami ne peut pas lui offrir la sécurité. J’ai appris que les enfants nés sous X en Algérie ne peuvent pas avoir de noms. Vu ce qu’a vécu le pays (dans les années 1990), je trouve que c’est un problème de trop. Je voulais montrer comment le passé nous hante. D’où la troisième histoire. J’ai choisi un personnage (le médecin Dahmane) qui ne se considère pas comme responsable de ce qui s’est passé. La question de la responsabilité à ce niveau là, m’interpelle énormément. Souvent, j’entends autour de moi, les gens dire qu’ils ne sont pas responsables, qu’ils n’ont pas fait ceci ou cela. Dahmane pense qu’il a été victime lui aussi (il a été enlevé par les terroristes pour soigner les blessés au maquis). Lorsque la femme (Nadia Kaci) est venue lui demander de l’aide, il a commencé à sentir la responsabilité même s’il est déstabilisé. Parallèlement, il était en train de préparer son mariage et attendait une promotion au travail…

© Hichem Merouche

Dahmane, Aïcha et Mourad sont quelque part pourchassés par les fantômes du passé

Les trois personnages fuient effectivement ces fantômes du passé. C’est ce qui les rends intéressants. Ils ne sont ni héros ni lâches. Ils ne savent pas comment agir tout de suite avec ce qui leur arrive et comment vivre avec leur passé.

Vous avez choisi le road-movie pour raconter les trois histoires. Pourquoi le choix de cette forme ?

Nous sommes devant une mutation intérieure des personnages. J’avais envie que ce mouvement intérieur soit représenté dans le territoire. Je voulais faire un parallèle. On se retrouve dans des milieux urbains, semi-urbains et ruraux. Les changements de paysages étaient à l’image de ce mouvement que j’essayais de montrer dans le film. Les territoires ressemblent aux personnages. Des paysages sont parfois chaotiques, parfois beaux.

Pour vous, il faut montrer les choses telles qu’elles sont. Nous avons vu dans le film des scènes d’ordures, des chantiers abandonnés, des maisons en ruine, des espaces désertiques…

Pour moi, il n’y a pas d’endroit hideux. Lorsque nous avons été dans le bidonville, nous avons passé des moments incroyables. Il y a une forme de magie même s’il est pénible de vivre dans un bidonville. ça me parle de ce qui se passe chez moi. Donc, je ne veux pas le voir comme quelque chose de hideux. Je visite souvent des villes en Europe et je trouve qu’elles sont parfois plates, sans aucune beauté. C’est propre, c’est bien arrangé, mais il y a quelque chose d’uniformisé. Quand je réfléchis à un projet de film, je me dis toujours : qu’est-ce que je vais pouvoir filmer ? J’ai vécu dans une cité à Sidi Moussa. Ce n’est que plus tard que j’ai commencé à m’interroger sur la construction des immeubles où des gens apprennent à vivre ensemble. Donc, il n’y a pas que du négatif. Le cinéma, à mon avis, ne doit pas apporter de la laideur, mais de la beauté, là où on ne la soupçonne pas.

Il y a dans votre film un plaidoyer pour les changements intérieurs. Des changements personnels avant d’aller vers le grand bouleversement. Vous même, vous parliez de « printemps personnel »

Je ne crois pas à l’application d’un système sur des sociétés. Le système évolue avec les sociétés. Il en est l’émanation. Chaque société invente son pacte social. Il ne peut pas y avoir de changement sans mouvement intérieur. Le changement dans la manière avec laquelle, l’individu regarde les choses, l’émotion, la base morale…Le danger est de dire que le changement vient de l’extérieur. Le changement, qui implique une rupture quelque part, vient d’une profonde conviction d’aller vers quelque chose de nouveau. Nous sommes dans cette quête pour le moment. Parfois, je ne sais pas formuler les choses qui me passent par la tête. Et parfois, on est impatient, on veut raccourcir l’histoire du pays et voir les choses se produire très vite. Ailleurs, les choses se sont faites pendant des siècles. Les choses arrivent progressivement, pas du jour au lendemain. La nature, elle, est toujours en mouvement : les océans et la terre bougent, la faune et la flore se renouvellent.

Les critiques en Europe ont fait un lien entre ce qui est appelé « le printemps arabe » et le titre de votre film. Ils sont partis de l’idée que les hirondelles annoncent le printemps. Vous en pensez quoi ?

Dès la première ou la deuxième version du scénario, ce titre était là. J’évoque le printemps des individus. Je ne crois pas au printemps arabe. Je ne crois pas à l’existence d’un événement qui va tout changer. En Algérie, nous en avons fait l’expérience. Et nous sommes assez bien placés pour pouvoir en parler de la complexité du changement qui ne peut s’opérer que sur trois générations. Je me suis intéressé dans le film aux processus individuels. Les concepts ne m’intéressent pas. Cela dit, le changement est inéluctable. Nous devons tout le temps être prêts pour faire bouger les lignes et à revoir nos positions. Je ne crois pas à la vérité absolue.

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