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Karim Zeribi : « L’accord de 1968 est agité pour dégrader la relation entre la France et l’Algérie »

Karim Zeribi : « L’accord de 1968 est agité pour dégrader la relation entre la France et l’Algérie »

Karim Zeribi, ancien député européen, accuse, dans cet entretien, les nostalgiques de l’Algérie et ceux qui veulent nuire à la relation entre la France et l’Algérie d’agiter le chiffon rouge de l’accord de 1968 dont un projet de révocation présenté jeudi 7 décembre par Les Républicains (droite) a été rejeté par l’Assemblée nationale française.

Le projet de résolution présenté par la droite pour dénoncer l’accord de 1968 a été rejeté par l’assemblée nationale ce jeudi. Quelle est votre réaction ?

Karim Zéribi : C’est une bonne nouvelle de constater qu’une majorité de parlementaires français ont voté contre un projet de résolution porté par une descendante d’un des fondateurs de l’OAS qui n’avait à cœur que de raviver des tensions entre la France et l’Algérie sur l’autel d’un accord qui date de 1968 sur la mobilité des travailleurs algériens et leurs familles.

Cet accord a déjà été révisé à trois reprises depuis 68 (1985-1994-2001) et les chiffres récents sur l’immigration en France démontrent qu’en réalité il n’avantage pas les Algériens au détriment d’autres ressortissants qui ne bénéficient d’aucun accord particulier en matière de mobilité des personnes avec la France.

Les parlementaires ont repoussé cette proposition qui est en réalité une provocation puisqu’il s’agit d’un accord bilatéral qu’il eut été problématique d’abolir sans discussion avec l’autre partie signataire qui est l’Algérie.

L’ex-ambassadeur de France en Algérie Xavier Driencourt, qui a lancé le débat sur cette question, a plaidé une énième fois pour sa suppression. Pourquoi cette insistance à vouloir à tout prix se débarrasser de cet accord ?

Karim Zéribi : Depuis la fin de son double mandat (2008/2012 et 2017/2020) en qualité d’ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt a enchaîné les écrits et sorties médiatiques à charge contre l’Algérie.

Il est surprenant de rancœur, voire de haine à l’égard de ce pays qui l’a pourtant bien accueilli en qualité de diplomate. Il donne le sentiment de s’être radicalisé car son expression n’est pas celle d’un diplomate aguerri mais plutôt celle d’un homme politique qui a un contentieux personnel avec l’Algérie.

« C’est une provocation »

D’ailleurs, cela ne trompe personne, les gens qui applaudissent ses tribunes sont des extrémistes comme Jordan Bardella, Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal, Éric Zemmour, Éric Ciotti qui sont nostalgiques de l’Algérie française ou des opportunistes comme Edouard Philippe et Manuel Valls qui veulent plaire à un électorat anti-algérien.

Cet accord de 68 est agité par Xavier Driencourt et ceux qui valident son analyse tél un chiffon rouge destiné à dégrader la relation politique et diplomatique entre la France et l’Algérie.

Récemment lors d’un débat, je lui ai dit franchement ce que je pensais de ses écrits et sorties médiatiques car après 7,5 ans passées à Alger, il attaque en permanence l’Algérie sans discernement à l’image de quelqu’un qui a échoué dans sa mission et qui entretient une rancœur liée à cet échec.

C’est triste car il aurait pu, au contraire, jouer un rôle positif s’il avait été animé de meilleures intentions pour rapprocher encore et toujours ces deux grands pays qui ont tant à faire ensemble sur de nombreux sujets (partenariat économique, alliance géopolitique, liens culturels, sportifs, etc.)

Lors de ce débat avec Xavier Driencourt, qui a eu lieu mercredi sur la radio Beur FM, vous avez dénoncé la façon avec laquelle une partie de la classe politique en France mène une guerre contre cet accord. Vous avez dit que cela était un manque de respect vis-à-vis de l’Algérie. Pourquoi ?

Karim Zéribi : C’est un manque de respect total à l’égard de l’Algérie qui est un pays souverain n’en déplaise à certains qui font état d’une nostalgie malsaine.

Un accord bilatéral est un accord paraphé entre deux nations souveraines, et qui plus est, un accord international nécessite l’acceptation des deux parties pour être révisé, ou plus encore aboli.

« Un projet de résolution porté par une descendante d’un des fondateurs de l’OAS »

Il est donc malvenu de menacer l’Algérie de mettre fin à cet accord de manière unilatérale sans engager une discussion sereine basée sur le respect et la confiance.

Cette manière de faire est indigne et elle signifie que ceux qui se prêtent à de telles postures recherchent en réalité à créer un incident diplomatique.

J’ajoute que si cet accord de 68 était aboli unilatéralement, cela amènerait à revenir aux accords d’Évian de mars 1962, qui stipulaient une mobilité sans visa tant pour les Algériens que pour les Français.

Xavier Driencourt soutient que cet accord facilite l’immigration algérienne en France. Est-ce que les Algériens sont favorisés par rapport aux Marocains par exemple ?

Karim Zéribi : Xavier Driencourt est de ce point de vue décevant car il sait que l’immigration algérienne représente 12,5 % de l’immigration en France et que dans le même temps l’immigration marocaine représente 12 % donc où est l’avantage relatif à l’accord de 68 pour les ressortissants algériens ?

De plus, l’ancien ambassadeur de France explique dans son livre « L’énigme algérienne » qu’en 2017, la France avait délivré 400 000 visas aux demandeurs algériens et qu’en 2018, le nombre a été réduit à 260 000.

Cela veut bien dire que l’accord de 68 n’est aucunement un verrou qui empêcherait la France de réduire l’attribution des visas aux Algériens. En réalité cet accord de 68 qui a été révisé trois fois est agité tél un chiffon rouge qui a vocation à créer une brouille entre la France et l’Algérie.

Quel est l’impact des polémiques sur cet accord sur la diaspora algérienne en France ?

Karim Zéribi : Les masques tombent avec cette polémique et cela permet à la diaspora algérienne installée en France de voir le vrai visage de certains responsables politiques.

La diaspora algérienne en France est attachée à la France mais aussi à son pays d’origine, pays de leurs parents et grands-parents.

Cette double appartenance est naturelle, totalement décomplexée et assumée par cette diaspora qui veut être utile et contribuer à une relation apaisée basée sur le respect et la confiance entre la France et l’Algérie.

Elle est un formidable levier pour créer un pont durable entre ces deux pays, cette diaspora possède dans ses rangs des femmes et des hommes de grandes qualités, dans tous domaines.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune est le seul à l’avoir intégré car il lance souvent des appels positifs à ces Français d’origine algérienne.

À l’inverse, la France ne s’est jamais appuyée sur cette diaspora pour renforcer une relation basée sur la confiance, le respect et l’amitié sincère avec l’Algérie.

Ce vide français permet à certains dirigeants politiques et ancien diplomate pleins de rancœur de s’engouffrer pour créer des polémiques stériles qui ont un seul objectif : éloigner ces deux pays qui ont pourtant tant à faire ensemble

Je le dis et le répète souvent, une relation euro-africaine innovante, dynamique et efficace passera inéluctablement par l’axe franco- algérien car ces deux nations souveraines représentent la force pivot entre les deux continents.

Au lieu de se projeter de la sorte avec une ambition commune, certains préfèrent créer des polémiques stériles autour de l’accord de 68, c’est-à- dire la faiblesse intellectuelle de la classe politique française à l’aube de l’année 2024 !

Ceux qui réclament la suppression de cet accord se permettent même de donner un ultimatum à l’Algérie. Comment expliquez-vous cette démarche ?

Karim Zéribi : Cela démontre le manque de respect de certains responsables politiques français à l’égard de l’Algérie. Est-ce qu’ils réagiraient de la même manière s’il s’agissait de discuter d’un accord historique avec l’Allemagne ? Certainement pas !

En fait, je crois que c’est un prétexte pour créer des tensions entre les deux pays car lorsque la France et l’Algérie entretiennent des relations apaisées, eh bien cela dérange les nostalgiques de l’Algérie française qui ne supportent pas qu’il y a une relation d’égal à égal entre ces deux grandes nations.

En France, la droite veut supprimer l’accord de 1968 et le gouvernement veut sa renégociation. N’y a-t-il pas un partage des rôles pour se débarrasser de cet accord ?

Karim Zéribi : C’est le compromis que Gérald Darmanin, qui porte la loi sur l’immigration en qualité de ministre de l’Intérieur, tente d’obtenir car il n’y a actuellement pas de majorité à l’assemblée nationale pour voter cette loi et éviter ainsi l’utilisation du 49/3.

Le ministre de l’Intérieur français joue gros car s’il obtient la majorité parlementaire sans passer par le 49/3 il imagine qu’il sera en mesure de succéder à Elisabeth Borne à Matignon.

En fait, sous couvert d’une loi sur l’immigration, ce qui se joue, ce sont les plans de carrières politiques des uns et des autres. Quelle tristesse de voir le débat politique français s’affaiblir de la sorte pour ne laisser place qu’aux intérêts particuliers au détriment de l’intérêt général.

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