Économie

Planche à billets : le grand dérapage

L’intervention du Gouverneur de la Banque d’Algérie devant l’APN, dimanche 23 décembre, a de fortes chances de rester dans les annales. Elle confirme en effet les craintes exprimées depuis de nombreux mois par beaucoup d’économistes algériens et étrangers à propos des risques de dérapage de la planche à billets dans un contexte où les comptes publics sont de façon croissante dans le rouge.

Les informations livrées aux députés, avec force détails, par Mohamed Loukal, décrivent une évolution dangereuse du dispositif mis en place voici un peu plus d’un an aussi bien du point de vue des montants financiers en question que de leur utilisation.

 

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5200 milliards de dinars en un peu plus d’un an

Coté montants, on est maintenant à près de 5200 milliards de dinars en comptant l’annonce surprise par M. Loukal d’une nouvelle tranche de financement de près de 1200 milliards de dinars au mois de novembre. En un peu plus d’une année, c’est l’équivalent d’environ 45 milliards de dollars, soit 25,3 % du PIB – selon les calculs de l’économiste Nour Meddahi– qui ont été mis à la disposition du gouvernement par la Banque d’Algérie dans le but de combler des déficits publics qui s’accumulent de toutes parts sans que rien ne soit fait pour tenter de les résorber.

Depuis le mois d’octobre dernier et l’évocation imprudente de la possible « fin prochaine » du recours au financement non conventionnel par le directeur général du Trésor, la Banque centrale a déjà annoncé 2 tranches supplémentaires de financement d’un montant total de 1600 milliards de dinars.

Cette évolution est d’autant plus inquiétante que rien n’indique qu’elle doive se ralentir dans les mois à venir. La chute actuelle des prix du pétrole va réduire les ressources courantes de l’État. Elle va inciter le gouvernement, dans un contexte politique très agité, à poursuivre dans la même voie en continuant de minimiser les risques associés à cette démarche ainsi que le Premier ministre Ahmed Ouyahia le fait de puis l’annonce de la mise en place de ce dispositif d’exception.

La part du lion pour la dette de l’État

En déroulant, avec beaucoup de transparence, le film des événements depuis septembre 2017, le Gouverneur de la Banque d’Algérie a fait une description détaillée des différents usages de la planche à billets. On s’aperçoit qu’elle est loin d’avoir servi au seul financement du déficit budgétaire et que c’est surtout le remboursement de la dette de l’État à l’égard de Sonelgaz et Sonatrach qui s’est jusqu’ici taillé la part du lion.

Mohamed Loukal révèle ainsi que dès le dernier trimestre de 2017, la première tranche du financement non conventionnel, qui s’est élevée à 2185 milliards DA, a été consacrée à hauteur de « seulement » 570 milliards au financement du déficit global du Trésor

Le reste, dans sa plus grande partie, près de 1000 milliards de dinars, a servi à racheter les dettes contractées par l’État à l’égard de Sonatrach et de Sonelgaz en contrepartie du maintien des prix très fortement subventionnés de l’énergie (électricité, gaz et carburants). Une petite partie, environ 10 %, a également permis de commencer à rembourser l’emprunt national d’avril 2016.

Selon le Gouverneur de la Banque d’Algérie, la situation était à peu près identique à fin septembre dernier avec un montant de financement de 4.005 milliards de dinars reparti à hauteur de 1.470 milliards pour couvrir le déficit du Trésor public et de 2.260 milliards pour le financement de la dette de l’Etat.

Le FNI au secours du système de retraites

Le Fonds National d’investissement (FNI), qui a également fait partie des bénéficiaires du dispositif dès son lancement, va voir sa part renforcée à partir des prochains mois grâce à la dernière tranche émise en novembre 2018 pour laquelle il émargera à hauteur de 735 milliards de dinars.

Malheureusement la nouvelle tâche confiée par le gouvernement au FNI a consisté d’abord à se substituer aux banques publiques, principalement le CPA, dans le financement des programmes AADL pour un montant de 320 Milliards de dinars. A partir de l’année prochaine c’est surtout le comblement du déficit de la Caisse des retraites (CNR), prévu à hauteur de 600 milliards de dinars qui sera sa principale mission.

Le mécanisme mis en place consiste à remplacer les dotations budgétaires au profit de la CNR qui se sont élevées à 500 milliards de dinars en 2018 par un prêt accordé par le FNI à la caisse des retraites. Elle aura 40 ans pour le rembourser avec un taux d’intérêt symbolique de 0,5%. Autant dire que le FNI n’a pas beaucoup de chances de récupérer « son argent ».

Le gouvernement Ouyahia face à un engrenage de déficits

L’origine de ce dérapage annoncé du dispositif de la planche à billets ne fait pas beaucoup de mystère. En ajournant les différentes réformes économiques qui avaient été engagées timidement par son prédécesseur en 2016, le gouvernement Ouyahia se trouve actuellement pris dans un véritable engrenage de déficits.

Celui du budget est gonflé par un niveau de dépenses sans précédent, décidé et maintenu en raison des prochaines échéances électorales. Il risque d’augmenter encore en cas de maintien de la tendance actuelle des prix du pétrole.

De son côté, le report de la réforme des subventions énergétiques crée chaque année une quantité énorme de dettes récurrentes en raison des prix fortement subventionnés imposés aux entreprises du secteur.

Le déficit croissant du système de retraites est enfin le dernier en date à avoir fait son apparition dans le débat public. Sans qu’aucune proposition sérieuse de réforme n’ait été faite pour tenter d’en limiter le montant.

Face à des comptes publics qui sont uniformément dans le rouge, le gouvernement a pris le parti de ce qui s’apparente de plus en plus à une fuite en avant dans le financement monétaire de l’économie. C’est une ardoise d’un montant considérable qu’il est en train d’alimenter et que les rapports de la Banque d’ Algérie documente au fil des mois. En dehors de Ahmed Ouyahia, tout le monde est d’accord sur un point : il faudra payer la facture dans les années à venir. Peut-être même à partir de 2019.

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