C’est en plein cœur de l’été, au cours de la première semaine du mois d’août, que la Banque d’Algérie a repris le mouvement de dépréciation de la valeur du dinar par rapport au dollar qui avait été interrompu depuis plus de 2 ans .
Une décision surprise, qui contredit les engagements récents des autorités financières algériennes, mais qui devrait être accueillie plutôt favorablement par les milieux économiques à l’exception du puissant lobby de l’importation.
Voici encore quelques mois, à l’occasion de la présentation de la Loi de finances pour 2018 devant les parlementaires, le ministre des finances, Abderrahmanre Raouya, affirmait pourtant que le cours du dinar resterait à un niveau d’ « au moins de 115 dinars pour un dollar jusqu’en 2020 ».
La politique de stabilisation-réévaluation de la valeur officielle du dinar, inaugurée en juin 2016, devait donc se maintenir non seulement en 2018 mais également au cours des 3 années à venir.
Une promesse qui n’est déjà plus qu’un souvenir. Dans les cotations officielles de la Banque d’Algérie, le dollar américain s’est établi mercredi 8 août à 118,14 dinars algériens. Jeudi 9 août, il était cédé à 118,22 dinars. La reprise de la politique de « glissement » du dinar semble donc bien amorcée.
Une politique économique fortement contradictoire
Un banquier algérien résume la situation actuelle : « Depuis juin 2016, le gouvernement accélère et freine en même temps. D’un côté il affirme vouloir éliminer les déficits internes et externes et de l’autre, il se prive du principal moyen d’y parvenir qui est la flexibilité du taux de change ».
La décision prise début août semble donc mettre fin à une période de plus de 2 années au cours desquelles la gestion de la monnaie nationale conduite par le gouvernement apparaissait comme profondément contradictoire avec les objectifs affichés de la politique macroéconomique.
Le gouvernement a en effet adopté depuis 2016 une nouvelle stratégie économique dont le principal objectif est l’élimination en trois ans des « déficits jumeaux » du budget de l’État et de la balance des paiements courants. C’est cette stratégie qui a été communiquée aux partenaires internationaux de l’Algérie. Problème, la politique de stabilisation- réévaluation du dinar conduite depuis 2 ans a compliqué très fortement la réalisation de ces objectifs.
Des importations qui ne diminuent plus…..
Depuis près de 2 ans maintenant, tout le monde a relevé que les importations ne diminuent plus malgré la mise en place successive de licences et de listes de produits suspendus à l’importation. La principale explication est connue et a été mentionnée par la quasi totalité des économistes algériens : la surévaluation du dinar joue un rôle majeur dans le déficit commercial et celui du compte courant de la balance de paiements qui sont à un niveau historique depuis 2015. Depuis la chute des prix pétroliers en juin 2014, les importations ont baissé en même temps que la valeur du dinar et sont relativement stables depuis que le dinar a été stabilisé en juin 2016 .
Les statistiques les plus récentes du commerce extérieur montrent que le premier semestre 2018 a ressemblé dans ce domaine comme un frère à l’année 2017.
Les espoirs placés dans les suspensions d’importation de près d’un millier de produits ont de nouveau être déçus par une résistance des importations stimulées en partie par un dinar renforcé. Sans compter le phénomène de surfacturation qui a puisé une incitation supplémentaire dans la solidité, entretenue artificiellement, de la monnaie nationale.
……Et un déficit budgétaire qui fait de la résistance
En matière budgétaire aussi, il semble bien que les autorités financières ont fait leurs calculs. Le « dopage » de la valeur du dinar mis en œuvre pendant 2 ans a eu un coût important pour le budget de l’État en retardant la réalisation des objectifs de rétablissement de l’équilibre des finances publiques.
Explication : la dépréciation du dinar par rapport au dollar gonfle automatiquement les recettes de la fiscalité pétrolière et permet donc de réduire la taille du déficit budgétaire sans même toucher aux dépenses. Chaque différence de un dinar sur la valeur officielle du dollar rapporte 20 milliards de DA au budget de l’État. Passer d’un dollar valant 115 DA à 120 DA rapporterait annuellement 100 milliards de DA (0,5% du PIB) et porter le dollar à 130 DA rapporterait annuellement 300 milliards de DA (1,5% du PIB). C’est dans le cadre de ce nouveau scénario que semble s’inscrire aujourd’hui la reprise de la politique de glissement du dinar.
Dans la normalité régionale
Les évolutions constatées depuis le début du mois d’août sont encore loin de lever toutes les incertitudes au sujet de la gestion future de la monnaie nationale. Fidèle à ses habitudes, la Banque d’Algérie s’efforcera sans doute de les présenter comme purement « techniques ».
Elles ont en réalité une forte connotation politique. Dans l’ensemble du bassin méditerranéen, du Maroc à la Turquie en passant par la Tunisie et l’Égypte, la flexibilité du taux de change est le principal instrument d’ajustement économique et de correction des déficits internes et externes mis en œuvre, suivant les cas, de façon autonome par les gouvernements de la région ou sous la pression du Fonds monétaire international. C’est également cette politique qui a été conduite de façon souveraine entre 2014 et 2016 en Algérie. Une stratégie défendue encore récemment dans une intervention publique par son principal artisan Mohamed Laksaci.
Vers une politique monétaire plus indépendante
C’est, suivant des sources concordantes à l’initiative de la présidence de la République que depuis juin 2016, la valeur de dinar avait perdu son caractère d’instrument de politique économique pour être érigée en une sorte d’ « emblème national » soustrait aux contraintes de l’ajustement économique.
La loi sur le financement non conventionnel adoptée à l’automne dernier confie désormais théoriquement la gestion de la valeur du dinar à un « comité de suivi » constitué de la Banque d’Algérie et du ministère des Finances. C’est sans doute à ce comité qu’on doit les récentes décisions sur la reprise du glissement du dinar.
Jusqu’ à quel point pourra-t-il maintenir son indépendance de décision par rapport aux arbitrages présidentiels ? Quelles est la cible en matière de parité du dinar retenue par les autorités monétaires au terme de l’opération de dépréciation en cours depuis le début du mois ?
Les réponses à ces questions ne sont pas encore disponibles. Une chose est sure cependant, avec un dinar qui retrouve son rôle d’instrument d’ajustement c’est, dans l’attente de réformes structurelles de profondeur, l’ensemble de la politique économique conjoncturelle du gouvernement qui retrouve une meilleure lisibilité et la cohérence qui lui a fait défaut depuis plus de 2 ans.