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La condamnation de Saïd Djabelkhir : un verdict politique, attentatoire à des libertés fondamentales

La condamnation de Saïd Djabelkhir : un verdict politique, attentatoire à des libertés fondamentales

CONTRIBUTION. Un tribunal algérien vient de condamner à trois ans de prison un chercheur, Saïd Djabelkhir, islamologue connu pour ses capacités de travail sérieux et argumenté.

Cette condamnation revient finalement à interdire d’écrire sur l’origine historique de certaines pratiques dans l’islam. Elle refuse toute vision historique dans l’étude des faits sociaux et dicte ainsi la voie que doit emprunter le chercheur pour analyser les sociétés.

C’est ainsi un coup porté à l’indispensable autonomie des chercheurs et au crédit de leurs conclusions. Le verdict qui condamne le chercheur Djabelkhir est donc du même ordre que celui qui au 17e siècle a condamné Galilée parce qu’il écrivait que la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, contrairement à ce que pensaient l’Eglise et les ignorants.

Il est heureux que nombre de chercheurs et d’universitaires dénoncent un tel verdict et soulignent ses dangers pour l’avenir des études en Algérie. Un tel verdict remet en cause l’avenir des politiques de recherche scientifique dans notre pays. Il est donc urgent, pour tous ceux qui sont soucieux du sérieux des études de leurs enfants, de prendre la mesure des conséquences dangereuses de ce verdict.

Nombreux sont aussi les citoyens qui dénoncent à juste titre une atteinte à la liberté de conscience qui est également touchée dans la mesure où la condamnation impose à Djabelkhir les explications ou les bases qui doivent constituer ou guider sa croyance.

C’est la voie ouverte à la création d’un Conseil national de la morale religieuse qui dicterait aux citoyens les bonnes interprétations de la foi dont les violations seront sanctionnées par des années de prison ou par des bastonnades… De ce point de vue aussi on voit le lien direct de ce verdict avec l’évolution du système politique.

Replacée dans le contexte actuel, la décision du tribunal sent la manœuvre politique. Tout d’abord, les conditions dans lesquelles la justice a été saisie et les réquisitions du Procureur.

Alors que les plaignants n’avaient aucun intérêt à agir et que Djabelkheir n’a pas troublé l’ordre public puisqu’il n’a fait qu’exprimer des opinions étayées par une méthode de travail comme tout chercheur scientifique sérieux travaillant sur des faits sociaux, le Procureur fait semblant d’être au-dessus de la mêlée et demande l’application de la loi.

Ce faisant, ne voyait-il pas qu’il le livrait à ses ‘’justiciers’’ ? Le procureur ne doit-il pas défendre l’intérêt national qui dans cette affaire devrait se traduire par la défense de la liberté de recherche scientifique, si indispensable à nos étudiants et au développement de notre pays ?

En fait, l’utilisation de la justice à des fins politiques est une vieille pratique dans le système politique algérien. Au cours des années, chacun a pu observer comment des tribunaux ont condamné ou menacé quelques personnes pour avoir adhéré à une autre religion ou déjeuner pendant le Ramadan.

Ces procédures apparaissent et disparaissent comme par enchantement. A moins que, le monde politique ne connaissant pas l’enchantement, ceci ne résulte en réalité des petits calculs sans vision pour obtenir des appuis de circonstances de la part de groupuscules baptisés ‘’partis politiques’’ en surfant, pour la circonstance, sur la crédulité des croyants pour cacher leur absence de représentativité.

Comment dès lors ne pas se demander aujourd’hui si la condamnation de Djabelkhir ne rentre pas dans ce type de manœuvre politique à la veille des élections du 12 juin 2021, décidées par le pouvoir alors que le peuple clame sa détermination de ne pas y participer ?

Comment ne pas voir que certains dirigeants croient pouvoir obtenir quelques appuis auprès des groupuscules précités en donnant des gages sur leur volonté de défendre ce qu’ils présentent comme une vision de l’islam ?

Seul un pouvoir coupé du peuple peut espérer sauver la crédibilité des élections grâce au soutien de tels groupes, sans véritable ancrage social, comme le montre d’ailleurs l’inefficacité de leur appui non seulement aux élections précédentes mais aussi au système politique rejeté par la majorité du peuple.

*Professeur émérite, ancien Doyen de la faculté de droit d’Alger.


Important : Les tribunes publiées sur TSA ont pour but de permettre aux lecteurs de participer au débat. Elles ne reflètent pas la position de la rédaction de notre média.

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