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La France agitée par la mémoire franco-algérienne

La France agitée par la mémoire franco-algérienne

« L’Algérie française », célébrée au cœur de l’Assemblée nationale en France. Ce n’est pas un canular mais bien la réalité.

L’année où l’Algérie commémore les 60 ans de son indépendance après 130 ans de colonisation française, le doyen des députés français, José Gonzalez, a célébré cette date à sa manière. Il n’a pas salué la paix entre les deux pays, mais plutôt le souvenir d’un pays qu’on lui aurait volé.

« L’Algérie-française » ramenée au coeur du pouvoir

Pour l’inauguration de la 16e législature, l’Assemblée nationale a pour tradition de laisser le député le plus âgé présider la première séance des débats. C’est le député d’extrême-droite José Gonzalez, membre du Rassemblement National qui a eu ce privilège.

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Le député des Bouches-du-Rhône, qui a adhéré au parti d’extrême-droite en 1978 a profité de cette occasion pour parler de son passé. Il a, semble-t-il, choisi avec précaution la partie qui l’a le plus marqué : son enfance dans l’ex-colonie de la France, l’Algérie. Né à Oran, le député âgé de 79 ans a trouvé opportun de sortir la carte de la nostalgie. Il a livré – non sans émotion – une tribune à sa "terre natale« dont il a été »arraché par le vent de l’histoire« . Le député s’est présenté comme »un homme qui a vu son âme à jamais meurtrie". Un discours qui a été aussi bien applaudi dans l’assemblée que vilipendé.

Pourquoi ramener l’Algérie dans ce lieu symbolique, l’année où l’extrême-droite a mené les débats politiques lors des élections présidentielle et législative ? "J’ai tenu à l’exprimer, car nous les rapatriés d’Algérie, nous sommes des vrais patriotes, nous avons aimé la France de là-bas et nous aimons la France d’ici", s’est justifié José Gonzalez.

L’extrême-droite veut réviser l’histoire de la France et de l’Algérie

Le député ne s’est pas arrêté là, puisqu’il a poursuivi sa réflexion après la séance. Interrogé par les journalistes, il a tenu des propos hallucinants en supposant un désir des Algériens de voir la France revenir sur leurs terres. »Venez avec moi en Algérie, je vais vous trouver beaucoup d’Algériens qui vont vous direquand est-ce que vous revenez, vous, les Français ?' » Au moment où, pour la première fois de l’histoire de la Ve République, l’ex-Front national obtient 89 sièges dans l’hémicycle, ce discours est d’autant plus marquant.

Fort d’un groupe parlementaire – le premier depuis 1986 qui avait été composé par Jean-Marie Le Pen – le Rassemblement National impose sa présence et ses sujets. José Gonzalez a d’ailleurs rendu hommage au groupe parlementaire de Jean-Marie Le Pen, dans lequel on trouvait d’ailleurs deux ex-membres de l’Organisation armée secrète (OAS) qui a semé la terreur en Algérie avant le départ des troupes françaises. C’est cet héritage que José Gonzalez semble vouloir ramener auprès de ceux qui légifèrent sur les lois françaises.

Interrogé sur le rôle de l’OAS durant la guerre d’Algérie, le député a tout simplement répondu : "Je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes ou pas. L’OAS, je ne sais même pas bien ce que c’était". Sans aucun contrôle, le député est allé jusqu’à imposer un révisionnisme de l’histoire franco-algérienne. En jetant un doute sur le rôle de l’OAS, le représentant de l’État efface un pan essentiel de la mémoire franco-algérienne.

L’Algérie outil de manipulation politique

L’utilisation de l’Algérie au cœur des jeux politiques français est très surprenante. Le discours nostalgique de « l’Algérie française » en direct dans un organe du pouvoir n’est pas le seul épisode des rapports compliqués entre la France et l’Algérie.

Durant les législatives, une autre affaire ou du moins une rumeur est venue mettre le bazar entre des personnalités politiques. Les députés de La France Insoumise, Raquel Garrido et Alexis Corbière, ont fait l’objet de graves accusations.

Une enquête menée par le journaliste franco-algérien Aziz Zemouri et publiée dans le magazine Le Point, dénonçait le comportement abusif des deux députés avec leur femme de ménage algérienne. Parce qu’elle était sans papiers, ils en auraient profité pour la faire travailler illégalement dans des conditions inhumaines. Les députés étaient également accusés de lui faire miroiter une régularisation de sa situation en France.

Ces révélations ont finalement été démenties par Le Point le 29 juin dernier. Dans un article intitulé "À nos lecteurs : enquête sur une fausse information", Le Point s’excuse d’avoir publié une enquête erronée et dénonce une manipulation.

"Ce fiasco est le résultat, entre autres, d’un enfumage à double détente. Enfumage externe, d’abord. Des personnes ont vraisemblablement cherché à vendre une fausse histoire pour jeter le discrédit sur Raquel Garrido et Alexis Corbière", écrit Le Point dans son article. Le média pointe du doigt la coïncidence avec le 2e tour des législatives. Raquel Garrido et Alexis Corbière ont, quant à eux, déposé une plainte contre X auprès du Parquet de Paris.

Ce qui interpelle dans cette affaire montée de toute pièce est encore l’utilisation de la nationalité algérienne de cette pseudo femme de ménage sans papiers. La France Insoumise est l’un des seuls partis à prendre la défense des étrangers sur le territoire français.

Jean-Luc Mélenchon qui était très craint durant les législatives a sans cesse été attaqué sur ses rapports avec des personnes issues de l’immigration notamment d’origine algérienne. On se souvient de l’acharnement politique qu’a connu son candidat Taha Bouhafs, qui revendique volontiers ses origines algériennes.

Il avait dû retirer sa candidature aux législatives face à la pression de l’ensemble de la classe politique française. Et maintenant voilà que le cliché de la femme de ménage algérienne et sans papiers est utilisé pour discréditer les élus d’extrême-gauche. Parce que, symboliquement, ce type d’histoire en France peut facilement entacher la réputation d’un homme ou d’une femme politique.

Comment peut-on interpréter la présence constante de l’Algérie dans les préoccupations des représentants politiques ? Surtout cette approche de l’Algérie, qui est encore perçue à travers un prisme colonial et dépassé ?

Alors que la question mémorielle a été un enjeu de taille lors du dernier mandat d’Emmanuel Macron, un dernier coup de pied dans l’histoire franco-algérienne a été donné par des députés. Il ne s’agit pas là de complot, mais seulement d’un imaginaire collectif autour de l’Algérie qui étonne. Quand est-ce que les politiques français percevront-ils l’Algérie actuelle et indépendante, en dehors de tout schéma historique ?

Le rapport malsain de la politique française vis-à-vis de l’Algérie

Le sujet Algérie a été utilisé de manière récurrente durant cette année à forts enjeux politiques. Eric Zemmour en avait presque fait un thème de campagne. Le candidat d’extrême-droite citait très souvent l’exemple de l’Algérie perdue pour légitimer son programme de "Reconquête". Ses souvenirs d’Algérie française ont fondé ses aspirations politiques. Une souffrance de perdre ce pays qui aurait influencé son parcours de vie et professionnel. Parce qu’il a trop aimé ce pays, Eric Zemmour en est-il venu à détester les Algériens ?

L’Algérie n’est pas seulement une obsession d’enfants ou de petits-enfants de pieds noirs et harkis qui ont quitté le pays au moment de l’indépendance. Il y a tout une littérature autour de ce pays qui a été entretenue jusqu’à aujourd’hui en raison des liens entre les deux pays qui n’ont jamais été coupés.

Pour illustrer les thématiques immigration et droits des étrangers en France, la majorité des candidats à l’élection présidentielle ont pioché l’exemple de l’Algérie. À tort ou à raison. Freiner l’arrivée des Algériens, remettre en question les accords de 1968 entre la France et l’Algérie, empêcher le transfert de devises de la diaspora algérienne vers leur pays d’origine, réviser l’histoire entre les deux pays… Tout a été envisagé durant la présidentielle. Pourvu que l’on se positionne sur la question algérienne.

60 ans après les accords d’Evian, la classe politique française semble créer un lien forcé avec l’Algérie. Le discours de José Gonzalez à l’Assemblée nationale n’est pas seulement choquant, il évoque quelque chose dans l’air. La possibilité de remettre en question le passé douloureux de l’Algérie, devant une salle remplie de représentants de l’État français, légitime presque une rancœur jamais effacée, voire justifiée. Les relations entre la France et l’Algérie n’ont jamais été aussi mauvaises, cela semble être parti pour durer.

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